Madame Himself de Liliane Giraudon, extrait
(...)
Ici je dois passer sur beaucoup d’épisodes… Les amazones sommeillent mais toujours, derrière un nuage de poussière, le bruit des sabots.
Puis un jour, la découverte de Kleist et de son Penthésilée.
Je lis de très près plusieurs traductions. Enrage de ne pas lire l’allemand.
Essaie de convaincre Catherine Weinzaepflen de retraduire la pièce.
Mais Catherine travaille sur Ingeborg Bachmann.
Le rendez-vous de Wannsee près de Postdam et l’histoire d’Henriette Vogel (comment Kleist la tue avec son accord puis retourne l’arme contre lui) m’intrigue.
J’essaie de tisser un lien entre Penthésilée et Henriette/ Heinrich.
J’accumule des notes en vue de l’écriture de ce que j’appelle « My Penthésilée », range mes recherches dans une petite valise verte.
C’est le retour des amazones…
Dans la pièce de Kleist scintille une brassée de roses qui m’obsède.
En fait la pièce me devient de plus en plus opaque au fur et à mesure que je la relis.
Je ne comprends pas. Je ne comprends plus.
Ici entre Gertrude avec son glas : « le chef d’œuvre c’est de savoir qu’il n’y a pas d’identité et le produire alors que l’identité n’est pas ».
Je croyais avoir compris mais tout se brouille.
Je suis comme frappée d’imbécillité.
Ce que je tente d’écrire est incompréhensible.
Pour me calmer, je passe des heures à décalquer puis recopier des dessins de centauresses dans Bourdelle.
Cette même année (nous sommes en 2006) au cours d’un contrôle médical on diagnostique un cancer du sein gauche.
Opération et traitement. Rayons…
Je range tout dans la valise verte.
Abandonne « My Penthésilée ».
Passe à autre chose.
Cinq ans se passent. Je me crois à l’abri. Sortie d’affaire.
Je rouvre la valise. Reprends mes notes et travaille aux manœuvres de Penthésilée. Me dis « on va trouver des mots pour ça »…
Je me dis que je suis « un manœuvre ». Que ce travail d’écriture est une simple réparation d’objet et qu’il suffit que je me laisse porter par une scansion invisible qui navigue sous le texte et dont je perçois les voix emmêlées, incertaines, semblables à des bruits de sabots.
Je me répète à moi même que le sein tranché c’était une invention des grecs, une saloperie incessamment recyclée…
Les amazones ne tiraient pas à l’arc.
Elles se battaient au javelot et chevauchaient avec leurs seins à l’air.
Plutôt noires de peau… J’opte pour les peaux sombres.
Je retourne aux Black Panthers… Relis Genet. M’équipe.
Je pense pouvoir donner voix à une autre Penthésilée, déplacer son corps dans un autre corps.
Une nouvelle tumeur cancéreuse est diagnostiquée cette fois au sein droit.
Opération et traitement. Rayons…
Je remets tout dans la valise verte.
Dessine autre chose, autrement, et lis.
M’interroge sur ce que j’appelle l’effet fantomal.
Fatigue et souffrance se conjuguent selon une tresse assez étroite.
Je reviens au poème. Son écriture.
Les animaux me redeviennent proches. Je me pose des questions sur les rêves qu’ils font. Quel univers peuple leurs rêves. Quelles images les visitent au point de les terrifier et durant leur sommeil, faisant s’agiter leurs pattes.
Que disent nos corps ?
Penthésilée revisitée a-t-elle un pouvoir sur moi ?
Que me désigne-t-elle avec une telle violence ?
L’année précédant celle là, ma mère meurt. Je vérifie la présence des morts et ce qu’ils déposent en nous.
Entre l’opération et le traitement rayons il faut un temps de cicatrisation.
Je relis « Les guerres que j’ai vues » de Stein. A cause d’un portrait regardé à la loupe. Une photo d’elle sur la terrasse du Berghof, la résidence d’Hitler à Berchtesgaden. Gertrude est assise à l’écart d’un groupe de G.I.’s. Chapotée comme un homme. Souriante.
Dans le livre, une phrase me frappe. Plus épaisse qu’une couleur.
Je m’arrête. Recopie la phrase. De diverses manières et sur plusieurs pages.
« C’EST UN NOM MERVEILLEUX CELA, MLLE PIERRETTE D’AVIGNON ». (...)