OCTOBRE de Daniel Biga
2 octobre et je suis furieux car ce que je voudrais dire je ne parviendrai vraisemblablement pas à le dire je n'essayerai pas véritablement et je suis triste car ce que je voudrais dire au fond exactement je ne le sais pas tout à fait et même pas du tout Je ne saurai pas l’écrire
Presque au tout début de ce journal, tenu rigoureusement chaque jour du mois d’octobre 1968 et dont ce sera le 3 ème livre publié, Daniel Biga fait preuve d’un souci constant de la vérité. Écriture sans afféterie aucune ni emphase, elle livre à la fois un manuel d’écriture intime anti narcissique pour tous ceux qui s’efforcent de tenir un journal, un témoignage sur le bouillonnant milieu artistique niçois de l’époque et, plus capital, sur les « événements de Mai » et sur le reflux qui s’en est suivi
Il écrit pourtant :
L'INTERNATIONALE Désolé je n’ai rien écrit sur les « événements de Mai » alors que presque tous y ont retrempé leur inspiration héroïque… Je n'ai su en tirer aucune leçon pour le bénéfice de mon éditeur que je n'ai pas Mais croyez bien que je n'insulte personne et je ne me moque même pas de moi MAIS en ces temps-là je marchais heureux les pieds dans les poubelles les yeux vers les étoiles
…
Et de livrer, à la suite de cet « aveu »(pages 27 et 28 de cette réédition), un des plus beaux et justes textes jamais écrits SUR le sujet. Mais peut-on vraiment écrire SUR ? Daniel Biga n’écrit pas SUR ni SÛR, il n’est sur rien ni sûr de rien, à moins que l’on emploie la préposition comme le font les jeunes aujourd’hui dans le sens de dresser un plan amoureux : « je suis SUR Lola », ainsi Daniel est SUR Mai et son triste reflux.
« Je me contredis ? Tant mieux, je contiens des multitudes. » a écrit Walt Whitman, filiation dans laquelle Biga s’inscrit mieux que dans celle de Mallarmé, il fallait des multitudes bienheureuses pour écrire ces deux pages si poignantes.
Il y a plusieurs trous de réel non mentionnés ni commentés dans ce journal, le samedi 12, le mardi 15, le samedi 19 et le mardi 22 octobre, le lecteur peut les comprendre et non comme des effets de réel : pourtant Biga écrit, il travaille donc et fabrique si bien qu’il efface les traces non du vrai mais du faux de ses impulsions premières.
Et le journal se termine par le vendredi 1er novembre car le poète ne se laissera jamais enfermer dans une contrainte, - fût-elle celle du titre.
La présente réédition (l’éditeur que D.B. n’avait pas au moment de l’écriture fut P. J. Oswald en 1973), contient une préface de Valérie Rouzeau qui montre bien qu’il y a eu transmission intergénérationnelle et non, comme le croient trop de gens aujourd’hui, confinement de l’œuvre dans une mythologie dépassée.
Et un entretien passionnant entre l’auteur et son jeune éditeur, poète et ami, François Heusbourg : celui-ci a le grand mérite de poser des questions si simples et directes qu’elles en deviennent presque brutales, à l’image de l’art de Biga.