Œuvres I de Guillaume Dustan par Isabelle Zribi
La réédition des textes devenus introuvables de Guillaume Dustan par P.O.L est sans conteste une bonne idée. Et il n’y a sans doute aucune mauvaise intention chez Thomas Clerc, qui préface et annote ce premier volume intitulé « Œuvres I », dans le but de faire connaître Dustan au grand public. Mais il y a de quoi s’étonner du prix payé par les textes pour être ainsi universalisés. D’abord, et aux termes de trois préfaces scindant la belle continuité fluide des trois romans présentés, on n’aura de cesse de nous prévenir, de nous préparer, il ne faudrait pas qu’on se choque des ébats un peu trop homosexuels qui y sont décrits. On comprend par avance le lecteur, on veut qu’il vienne à Dustan, même s’il était aux manifs pour tous : « peu d’hétérosexuels aiment lire Dustan en raison d’une réticence compréhensible devant la représentation de la sexualité de l’autre monde » (préface, p.14). Pour arracher Dustan à ses particularismes par trop encombrants, on convoque de la grande pensée, Foucault, Deleuze, du mouvement littéraire, fût-il inexistant, l’autofiction. Prendrait-on autant de gants pour présenter Henry Miller ou Sade ? Plus énigmatiques encore, des notes multiples polluent les textes afin de donner au lecteur moyen – qui devrait peut-être finir par se vexer à force de voir ainsi insultées ses facultés intellectuelles- quelques repères instructifs de cet « autre monde » ; on apprendra avec un intérêt très modéré que le bar Le Quetzal est un bar, que la boîte La loco est une boîte, qu’une backroom est la « salle du fond des bars, réservée aux rapports sexuels », avec la référence d’un ouvrage savant consacré au sujet. Pour parfaire par la même occasion la culture gé du lecteur, peut-être présumé né en 2056, on mettra à notre disposition la biblio résumée d’inconnus tels que David Lynch ou Truman Capote ou encore la définition de la house music. En réalité, l’ensemble de ces notes donne au texte un air de zoo du bizarre, où tout semble folklorique. A mon sens, cette présentation aboutit à l’exact opposé de son but. A force de vouloir rendre le texte accessible à tous, elle le présente comme inaccessible. A force de vouloir rendre Dustan universel, elle le stigmatise et l’enferme dans un système de références qui semble hermétique. Plus encore, l’idée de la littérature et de la position de lecteur qui se dégage de cette réédition choque ; elle semble présupposer que le lecteur ne peut être affecté et concerné que par des expériences identiques aux siennes ; et nier que, comme l’a si bien dit Bruno Dumont à propos de la petite ville du nord de La vie de Jésus, c’est souvent dans le particulier qu’on trouve l’universel.