14 oct.
2001
Rimbaud par Jean-Jacques Lefrère.
« ARTHUR RIMBAUD »
(éd.Fayard)
1242 p. 290 FF
Tous ceux qui aiment ou vénèrent Rimbaud pourront s'abreuver d'images, se droguer en lisant ce gros ouvrage, assez souple et maniable (mais fragile), d'autant que l'auteur est un excellent conteur, doublé d'un compilateur et compulseur d'archives émérite ; conteur moderne, qui choisit toujours l'angle le plus bas ou le plus trivial, les faits les plus vraisemblables, les formules les plus économiques. Tout cela bien dans l'esprit actuel où sera valorisée l'anecdote dont « la parfaite insignifiance garantit sans doute l'exactitude. » ! Aucun risque d'ennui, Rimbaud sort grandi et tout auréolé de ce traitement.
Mais ceux qui aiment et continuent à lire l'œuvre seront irrités par de nombreux aspects de cette recherche.
Le pire n'est pas l'inadmissible kyrielle de coquilles, fautes d'orthographe ou de syntaxe qui émaillent le texte même si elle gêne ici, (où l'on utilise forcément beaucoup le sic) plus qu'ailleurs (y a-t-il un correcteur chez Fayard ?) ; ni le côté policier goguenard de l'auteur, qui affecte l'ironie mais ne dédaigne pas les sursauts prudhommesques et convoque tous les témoins, y compris la concierge de la femme de l'homme qui a vu l'ours qui a servi de descente de lit pour le décor de la chambre de « Bottom », je caricature à peine. On eût aimé en revanche en savoir plus sur Rodolphe Darzens, « premier biographe de Rimbaud qui n'a pas connu le poète mais a rencontré de nombreux témoins », abondamment utilisé mais Jean-Jacques Lefrère semble croire que tout bon lecteur a lu l'ouvrage « Les saisons littéraires de Rodolphe Darzens », publié par lui chez le même éditeur ! De même, on sera bien en peine d'apprendre qui l'auteur a dissimulé, (p. 450, note 48) derrière les initiales R.F. : quelqu'un qui interpréta Voyelles « comme un blason du corps féminin, glose qui fit quelque bruit, car son auteur suggérait que Rimbaud avait appliqué cette codification sexuelle à d'autres pièces » ; les rimbaldiens bien informés savent qu'il s'agit de quelqu'un qui se rendra célèbre de façon bien plus détestable, le révisionniste Robert Faurisson : pourquoi cacher que la postérité de Rimbaud, c'est cela également : non seulement des poètes identifiés au génie et des universitaires (indispensables gardiens du temple, parfois peu inspirés) mais aussi cette catégorie de décrypteurs sauvages, ésotéristes allumés et schizophrènes de toutes espèces !
Plus grave me semble être la croyance, malheureusement partagée encore aujourd'hui par nombre d'historiens et de biographes, de cet auteur dans des déterminismes un peu mécaniques et faciles, chaque poème, chaque image et figure de style étant bien sûr causés par tel événement ou prenant leur source dans tel « épisode » ; un peu formé à l'école du « rimeur », il eût évité et peut-être mieux saisi certains processus de la création poétique (la puissance de l'embrayeur homophonique « rimbaud/rainbow », par exemple, indispensable quand on évoque la question du rapport à la langue anglaise). De même, sa fascination pour tout le champ du possible qu'ouvre le « SI » ne laisse pas d'étonner : et « SI Rimbaud ne s'était pas appelé Arthur ?!!! ». Et si Lefrère avait pu faire parler Germain Nouveau agonisant sur son grabat à Pourrières, il lui eût demandé pourquoi Rimbaud et lui s'étaient inventé des prénoms lors de leur inscription à la British Reading-room, le 4 avril 1874 !Ce jugement paraîtra sans doute sévère, presque une vengeance au terme de longues heures de plaisir brut !
C'est sans doute pourquoi j'ai envie de terminer en saluant la patience de Jean-Jacques Lefrère et son humilité, sa recherche iconographique, son indulgence dans l'évocation de la Mother, (presque une réhabilitation) et sa grande vigilance à l'égard de certains travaux peu diffusés comme celui, remarquable, de Patrick Beurard-Valdoye, judicieusement cité deux fois en note (24 p. 712 et 43 p. 714).
(éd.Fayard)
1242 p. 290 FF
Tous ceux qui aiment ou vénèrent Rimbaud pourront s'abreuver d'images, se droguer en lisant ce gros ouvrage, assez souple et maniable (mais fragile), d'autant que l'auteur est un excellent conteur, doublé d'un compilateur et compulseur d'archives émérite ; conteur moderne, qui choisit toujours l'angle le plus bas ou le plus trivial, les faits les plus vraisemblables, les formules les plus économiques. Tout cela bien dans l'esprit actuel où sera valorisée l'anecdote dont « la parfaite insignifiance garantit sans doute l'exactitude. » ! Aucun risque d'ennui, Rimbaud sort grandi et tout auréolé de ce traitement.
Mais ceux qui aiment et continuent à lire l'œuvre seront irrités par de nombreux aspects de cette recherche.
Le pire n'est pas l'inadmissible kyrielle de coquilles, fautes d'orthographe ou de syntaxe qui émaillent le texte même si elle gêne ici, (où l'on utilise forcément beaucoup le sic) plus qu'ailleurs (y a-t-il un correcteur chez Fayard ?) ; ni le côté policier goguenard de l'auteur, qui affecte l'ironie mais ne dédaigne pas les sursauts prudhommesques et convoque tous les témoins, y compris la concierge de la femme de l'homme qui a vu l'ours qui a servi de descente de lit pour le décor de la chambre de « Bottom », je caricature à peine. On eût aimé en revanche en savoir plus sur Rodolphe Darzens, « premier biographe de Rimbaud qui n'a pas connu le poète mais a rencontré de nombreux témoins », abondamment utilisé mais Jean-Jacques Lefrère semble croire que tout bon lecteur a lu l'ouvrage « Les saisons littéraires de Rodolphe Darzens », publié par lui chez le même éditeur ! De même, on sera bien en peine d'apprendre qui l'auteur a dissimulé, (p. 450, note 48) derrière les initiales R.F. : quelqu'un qui interpréta Voyelles « comme un blason du corps féminin, glose qui fit quelque bruit, car son auteur suggérait que Rimbaud avait appliqué cette codification sexuelle à d'autres pièces » ; les rimbaldiens bien informés savent qu'il s'agit de quelqu'un qui se rendra célèbre de façon bien plus détestable, le révisionniste Robert Faurisson : pourquoi cacher que la postérité de Rimbaud, c'est cela également : non seulement des poètes identifiés au génie et des universitaires (indispensables gardiens du temple, parfois peu inspirés) mais aussi cette catégorie de décrypteurs sauvages, ésotéristes allumés et schizophrènes de toutes espèces !
Plus grave me semble être la croyance, malheureusement partagée encore aujourd'hui par nombre d'historiens et de biographes, de cet auteur dans des déterminismes un peu mécaniques et faciles, chaque poème, chaque image et figure de style étant bien sûr causés par tel événement ou prenant leur source dans tel « épisode » ; un peu formé à l'école du « rimeur », il eût évité et peut-être mieux saisi certains processus de la création poétique (la puissance de l'embrayeur homophonique « rimbaud/rainbow », par exemple, indispensable quand on évoque la question du rapport à la langue anglaise). De même, sa fascination pour tout le champ du possible qu'ouvre le « SI » ne laisse pas d'étonner : et « SI Rimbaud ne s'était pas appelé Arthur ?!!! ». Et si Lefrère avait pu faire parler Germain Nouveau agonisant sur son grabat à Pourrières, il lui eût demandé pourquoi Rimbaud et lui s'étaient inventé des prénoms lors de leur inscription à la British Reading-room, le 4 avril 1874 !Ce jugement paraîtra sans doute sévère, presque une vengeance au terme de longues heures de plaisir brut !
C'est sans doute pourquoi j'ai envie de terminer en saluant la patience de Jean-Jacques Lefrère et son humilité, sa recherche iconographique, son indulgence dans l'évocation de la Mother, (presque une réhabilitation) et sa grande vigilance à l'égard de certains travaux peu diffusés comme celui, remarquable, de Patrick Beurard-Valdoye, judicieusement cité deux fois en note (24 p. 712 et 43 p. 714).