Sangs de Mika Biermann par Françoise Chaloin

Les Parutions

14 mars
2017

Sangs de Mika Biermann par Françoise Chaloin

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Ça commence comme un roman américain (dans l’idée que l’on s’en fait généralement, pas nécessairement dans sa réalité effective), où une scène de la vie ordinaire est décrite de façon littérale, dans un style clair et dépouillé : « Janet demande à Béa de se laver les mains et sert le repas. Les enfants ne posent pas de questions. Elvis souffle les bougies sur son gâteau une par une. Janet met les enfants devant la télé et sort dans le jardin pour fumer. De l’autre côté de la haie son voisin arrose la pelouse. »

Se glissent toutefois par intermittence dans la phrase des images, certaines jolies telle cette fillette qui, après avoir fouillé le sol à l’aide d’un bâton de glace, « emporte fougères et brins de paille dans ses boucles », d’autres ouvertement loufoques mais qui tiennent un juste équilibre : « Pendant longtemps elle avait porté sa beauté comme un verre de lait rempli à ras. »

Ces premières vingt pages sentent déjà le soufre mais le lecteur est ferré. Le rapt du père par un détraqué sexuel fait alors basculer le récit banal d’une famille simplement déliquescente à sa pulvérisation totale, n’était-ce l’équipée finale, composée du père et des trois enfants devenus adultes tout aussi dérangés les uns que les autres, qui tentera d’en sauver les restes. Les restes c’est-à-dire la dépouille abjecte, défaite, de la mère, seul motif capable de restaurer les apparences d’une cellule familiale, autour duquel s’improvise un semblant de road-movie.

Dans l’intervalle aura volé en éclats la sympathie éprouvée pour les personnages dans leur désarroi ou dénuement, pour Janet esseulée dans sa cuisine ou pour Jeff soumis à une série de supplices scabreux, laissant place à des situations plus grand-guignolesques peut-être que l’épisode de la séquestration même. Dans cette troisième partie l’auteur lâche complètement la bride. Le passage d’un réel possible à l’horreur et au macabre est assumé dans l’ensemble du récit et ne s’encombre d’aucune fausse subtilité. La transition se révèle pourtant périlleuse lorsque le sensible et le fantasque sont directement pliés l’un sur l’autre, surtout si ces deux registrent se trouvent être dans un rapport de trop grande proximité. Exemple dans un passage où Anne, l’une des deux filles et seule « vraie folle » de l’histoire, « pleurait pour les petites choses : une lézarde dans le plâtre, un ongle rogné jusqu’à la lunule (…), le souvenir d’un pont », avant un dîner à la clinique psychiatrique où celle-ci réunit des convives imaginaires dont le bavardage, certes délirant, ne dit que le délire dont elle est la proie.

 

 

 

Le commentaire de sitaudis.fr

 


P.O.L, 2017
160 p.
10 €

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