14 oct.
2001
Sarcophage (O. Ganz)
(éd. EDIFIE L.L.N.) 155p.(595 FB)
Ce livre d'Otto Ganz déconcerte, dissuade, rebute, agace, irrite, énerve, rend le lecteur à la fois furieux de son enlisement, de son ensevelissement mais aussi... curieux ! Curieux d'abord parce que malgré son aspect de monument verbal très statique, ce « Sarcophage » contient une dynamique insolite qui draine le désir vers une résolution dont l'on sait pourtant d'emblée qu'elle n'aura pas lieu ; ensuite parce que ledit lecteur, tout au long de cette expérience, ne peut que s'examiner lui-même avec curiosité : quelles sensations éprouve-t-il en ce moment et que peut-il en faire ? dans quelle mesure sont-elles induites par l'auteur, voulues et contrôlées par lui ? Cet étrange triptyque dont seul le panneau central s'impose, réduisant les deux livres latéraux à un humoristique semblant d'existence, s'organise autour du « récit » introspectif d'un narrateur presque comateux et angoissé, à l'adresse de la femme qu'il aime, (Elha... hommage à Ella Fitzgerald, la célèbre chanteuse de jazz ? en tout cas « elle a » s'oppose à « elle est », c'est à dire à une essence intangible... ), elle-même agonisant et délirant, alitée dans son hôpital ; les citations qui émanent du monologue de l'héroïne pourraient aussi bien appartenir à celui du narrateur lui-même, (les contours des objets comme des êtres sont flous et tremblent dans un sfumato étudié), mais ils prennent tantôt l'allure narquoise des entrée en scène d'une jeune épouse, tantôt les traits plus ancestraux d'une pythonisse (le livre est sous-titré « Mythologies » et... « Rythmes »... ce qui est moins compréhensible, comme tant d'autres choses dans cette œuvre qui affectionne l'obscur).Il faut maintenant ajouter que ce livre II, constitué de courts chapitres (de I à XLV), cette fausse partition à deux voix, présente dans un style d'une grande maîtrise, des images baroques à la limite de la préciosité, des brusques passages au style familier du récit oral, puis des sauts tout aussi brusques dans la sentence (parfois affligeante, souvent admirable), des vues sur Louvain-la Neuve continuellement et ironiquement requalifiée, concrètement sondée dans l'imminence d'un cataclysme prophétisé (et souhaité !) mais transmuée dans un onirisme réaliste à la Rimbaud ; défilent également comme autant de défis, des allusions aux légendes servant de vecteurs à des observations sociologiques et des incursions cocasses ou écœurantes du côté des corps.« Sarcophage »... car le précieux du coffre dissimule mais déclare en même temps toute l'horreur de son contenu, sarcophage comme la boîte qui dit l'enfermement autistique du narrateur, comme la boîte où serait étendue Elha mais Elha devient aussi bien l'étendue elle-même : vie et ville qui parle, ville qui vrille et palpite, gigantesque enchevêtrement d'organes dans l'attente du cataclysme, de l'orage, de la lèpre, de la peste, de l'overdose... car tout décline et se décline dans ce texte aux accents d'apocalypse.Inversion par rapport à l'esthétique du sarcophage, c'est la couverture du livre, son couvercle qui affiche une viscéralité repoussante ; autre inversion, le leitmotive du narrateur nous apprend qu'il « plie en cercle » (pile en cercle ? p en cercle ? pis encercle ?) et, récusant tout alignement (vertical ou horizontal) n'est donc pas disposé à s'allonger. Il se confesse pourtant et se palpe, s'ausculte, se déchire ou s'opère avec une cruauté drolatique qui évoque Lautréamont ; comme celui-ci, il manipule avec jubilation l'antagonique et traque le dégoût aussi bien dans les arabesques cérébrales que dans la moiteur des intimités charnelles les moins dites. Ses points de suspension, récurrents comme autant de pulsations qui lui confèrent de l'élan ou du repos, ressemblent à des perforations. Signataire de « Sarcophage », livre qui n'est pas fait pour être lu mais plutôt pour être souvent ouvert puis refermé dans un rituel répétitif au pied de l'autel des Amis, (certaines « citations » font signe), Otto Ganz nous dit peut-être ce que deviendra bientôt le livre, un énigmatique objet de culte privé... et par conséquent son lecteur : l'officiant clandestin d'une pratique élitiste dont l'on aura oublié les significations.
Ce livre d'Otto Ganz déconcerte, dissuade, rebute, agace, irrite, énerve, rend le lecteur à la fois furieux de son enlisement, de son ensevelissement mais aussi... curieux ! Curieux d'abord parce que malgré son aspect de monument verbal très statique, ce « Sarcophage » contient une dynamique insolite qui draine le désir vers une résolution dont l'on sait pourtant d'emblée qu'elle n'aura pas lieu ; ensuite parce que ledit lecteur, tout au long de cette expérience, ne peut que s'examiner lui-même avec curiosité : quelles sensations éprouve-t-il en ce moment et que peut-il en faire ? dans quelle mesure sont-elles induites par l'auteur, voulues et contrôlées par lui ? Cet étrange triptyque dont seul le panneau central s'impose, réduisant les deux livres latéraux à un humoristique semblant d'existence, s'organise autour du « récit » introspectif d'un narrateur presque comateux et angoissé, à l'adresse de la femme qu'il aime, (Elha... hommage à Ella Fitzgerald, la célèbre chanteuse de jazz ? en tout cas « elle a » s'oppose à « elle est », c'est à dire à une essence intangible... ), elle-même agonisant et délirant, alitée dans son hôpital ; les citations qui émanent du monologue de l'héroïne pourraient aussi bien appartenir à celui du narrateur lui-même, (les contours des objets comme des êtres sont flous et tremblent dans un sfumato étudié), mais ils prennent tantôt l'allure narquoise des entrée en scène d'une jeune épouse, tantôt les traits plus ancestraux d'une pythonisse (le livre est sous-titré « Mythologies » et... « Rythmes »... ce qui est moins compréhensible, comme tant d'autres choses dans cette œuvre qui affectionne l'obscur).Il faut maintenant ajouter que ce livre II, constitué de courts chapitres (de I à XLV), cette fausse partition à deux voix, présente dans un style d'une grande maîtrise, des images baroques à la limite de la préciosité, des brusques passages au style familier du récit oral, puis des sauts tout aussi brusques dans la sentence (parfois affligeante, souvent admirable), des vues sur Louvain-la Neuve continuellement et ironiquement requalifiée, concrètement sondée dans l'imminence d'un cataclysme prophétisé (et souhaité !) mais transmuée dans un onirisme réaliste à la Rimbaud ; défilent également comme autant de défis, des allusions aux légendes servant de vecteurs à des observations sociologiques et des incursions cocasses ou écœurantes du côté des corps.« Sarcophage »... car le précieux du coffre dissimule mais déclare en même temps toute l'horreur de son contenu, sarcophage comme la boîte qui dit l'enfermement autistique du narrateur, comme la boîte où serait étendue Elha mais Elha devient aussi bien l'étendue elle-même : vie et ville qui parle, ville qui vrille et palpite, gigantesque enchevêtrement d'organes dans l'attente du cataclysme, de l'orage, de la lèpre, de la peste, de l'overdose... car tout décline et se décline dans ce texte aux accents d'apocalypse.Inversion par rapport à l'esthétique du sarcophage, c'est la couverture du livre, son couvercle qui affiche une viscéralité repoussante ; autre inversion, le leitmotive du narrateur nous apprend qu'il « plie en cercle » (pile en cercle ? p en cercle ? pis encercle ?) et, récusant tout alignement (vertical ou horizontal) n'est donc pas disposé à s'allonger. Il se confesse pourtant et se palpe, s'ausculte, se déchire ou s'opère avec une cruauté drolatique qui évoque Lautréamont ; comme celui-ci, il manipule avec jubilation l'antagonique et traque le dégoût aussi bien dans les arabesques cérébrales que dans la moiteur des intimités charnelles les moins dites. Ses points de suspension, récurrents comme autant de pulsations qui lui confèrent de l'élan ou du repos, ressemblent à des perforations. Signataire de « Sarcophage », livre qui n'est pas fait pour être lu mais plutôt pour être souvent ouvert puis refermé dans un rituel répétitif au pied de l'autel des Amis, (certaines « citations » font signe), Otto Ganz nous dit peut-être ce que deviendra bientôt le livre, un énigmatique objet de culte privé... et par conséquent son lecteur : l'officiant clandestin d'une pratique élitiste dont l'on aura oublié les significations.