Sherry Cobbler de Jean-Marc Baillieu par Serge Passavant
Un poème, un poème intitulé du nom du cocktail préféré des Américains quand c’était la mode des drinks & cocktails. Cocktail ? Deux douzaines de distiques clairement dissociés, le premier vers ayant trait à des dénominations de coquillages marins apparemment amputés de leur lettre initiale, ce qui dérange l’ordre alphabétique de leur indexation et donne à les lire autrement pour qui a l’esprit ouvert, le second a des traits de la vie courante (tel vin bu, tel fromage dégusté, telle citation d’une lecture en cours, tel disque écouté, telle note de lecture, telle réflexion…), du moins pour ce qu’on peut croire en saisir (car l’incertitude est de la partie). Peut-être l’opposition de deux mondes, celui d’éléments naturels « éternels » et celui de la contingence humaine, quotidienne et évanescente. La vie fuit celui qui écrit ? L’auteur a déjà foui le thème de la nature (Humanité 3, Hapax éd., 2012), ces nominations amputées de leur lettre initiale référeraient-elles à une nature abîmée par l’homme ? Simpliste peut-être ? Quant aux incises des seconds vers qui oscillent du savant au trivial, l’auteur en est coutumier, comme l’a justement déjà relevé Pierre Parlant (dossier J-M Baillieu, Faire Part, n°24/25, 2009), et un lecteur sagace a pu y relever une prégnance du motif buccal, tandis que deux citations de Claude Faïn peuvent contextualiser ou brouiller la mise en scène, le décor. La langue allemande y trouve aussi un écho, repris après le poème stricto sensu dans la traduction par Pierre Klossowski d’un court poème de F. Nietzsche (Sils-Maria)au verso de l’incandescente photo en couleurs d’un lac de montagne par Bernard Pérocheau (reproduction ci-contre). L’opposition dès lors apparaît flagrante entre la vanité de la recherche textuelle/poétique (la pesanteur des mots, même délestée des mots-outils) et l’absolu d’un pan de nature capté en instantané photographique (d’autant que l’image est collée sur la page comme ces reproductions de tableaux dans les encyclopédies d’antan). Ce cinglant ou singulier poème du printemps 2013 est édité au format A6 à l’italienne.