Sublimisme Balkanique
Cet ouvrage anthologique, qui présente 19 poètes de Bosnie-Herzégovine, fait suite à un précédent volume consacré aux poètes de Croatie. Le maître d'œuvre, Tomislav Dretar écrit à leur propos :
... "s'ils ont subi la guerre et son choc post-traumatique, (les poètes) ne sont pas tombés dans un état de haine ou de vengeance."
Il s'intéresse donc à la poésie comme puissance de sublimation dans la recherche d'un " Beau complètement ouvert au monde ", conception sujette à critique : sans remonter à la Beauté déjà insultée par Rimbaud, qu'en est-il de ceux dont la poésie, à l'instar de nos aïeux dadaïstes, seraient sortis de la guerre en état de révolte permanente contre toutes les catégories de l'Ordre qui bascula dans la barbarie ? Ils n'existent pas ou ne sont pas publiés ?!
Ces réserves faites, nous avons choisi de présenter ci-dessous un seul poème extrait de ce livre, d'abord dans sa langue originale puis dans la traduction publiée.
Il s'agit de Tabula traiana de Milo Jukic (né en 1966, ethnologue, historien, journaliste de radio. Il a publié trois recueils de poésie et publie dans des revues bosniennes, croates et serbes).
Tabula trajana
Jutros je čitav Caraş-severinski okrug
osvanuo u kiši,
nedjelja je i trebali smo imati lijenoga
sunca za sat hoda
i sat gledanja ostataka Trajanove ceste.
Djeluje mi da ćemo propustiti mnogo.
Kao da ćemo tamo zateći Trajana samog,
pa nam je malo ili kao da ćemo nešto
stvarno vidjeti, pa nam je mnogo.
Nedjeljno popodne nije nešto što se
ne bi moglo iskoristiti na stotinu
načina, a može se pustiti na volju.
Kolateralna šteta dragovoljna.
Ko zna, možda bi mi se život
izokrenuo naglavce u podnožju
brda. Raspjevan jezik ponekad
živu kiselinu luči.
A kako god: da sam ja bio Trajan,
stao bih, i ja i Tabula Traiana
dakako, ako bih uopće
krenuo i ako bih uopće
želio biti rimski car,
u što čisto sumnjam -
već na Đerdapu, jer
što je danas to njegovo
carstvo moćno?
Pepeo pepela. Prah. Ništa.
Kao naša nedjelja koju
i promijeniti možemo.
Tabula traiana
Ce matin, toute la circonscription de Caraş-Severin
s'est levée sous la pluie,
c'est dimanche, nous aurions dû avoir
un soleil indolent pour une heure de marche
et une heure à regarder les vestiges de la route de Trajan.
J'ai l'impression que nous allons beaucoup rater.
Comme si nous devions surprendre là Trajan en personne
et que pour nous ce n'était pas grand chose,
ou que nous allions voir quelque chose de vrai et que pour nous c'était beaucoup.
Le dimanche après-midi n'est pas
ce dont on ne pourrait jouir de cent façons,
et qu'on peut abandonner à sa guise.
Dommage collatéral volontaire.
Qui sait, ma vie pourrait se retourner tête en bas
au pied de la colline. Une langue chantante parfois
sécrète un vif acide.
En tout cas, si j'étais Trajan,
je m'arrêterais, moi et ma table bien sûr,
si vraiment j'étais parti, si vraiment
je voulais être empereur romain,
- ce dont je doute -
arrivé déjà au Djerdap,
qu'en est-il en effet aujourd'hui de son puissant empire ?
Cendre de cendres. Poussière. Néant.
Pareil à ce dimanche
que nous pouvons aussi changer.