27 nov.
2011
Travail du poème d'Ivar Ch'Vavar par Alain Hélissen
Composé d’écrits hétéroclites, commentaires, entretiens, lettres, réponses à des enquêtes, préfaces,
plans d’écriture, pages de journal, récits de rêve, poèmes, ce volumineux ouvrage retrace trente années du travail
poétique d’Ivar Ch’vavar, travail revisité par lui-même. Il ne s’agit pas là d’une anthologie _ on n’y lira que quelques poèmes _
mais d’approches théoriques et autres destinées à témoigner d’une expérience singulière du « travail du poème », telle que vécue
par ce poète non moins singulier. Convaincu que la poésie est moribonde depuis Mallarmé, Rimbaud et Ducasse _ qu’il situe
au premier rang ou sur la « crête » _ Ivar Ch’Vavar se propose de la reconstruire, d’entreprendre sa refondation, de recréer un »
monde par la poésie », tant il est persuadé que « tout grand poète crée un monde qui est le double du monde réel. » Pour cela,
il se considère comme un fabricant, utilisant de la matière, la langue, et choisissant la manière de la représenter.
« Un poète doit échapper au moi et rejoindre le soi universel, au-delà de lui-même et au-delà de l’espèce humaine. »
Ivar Ch’vavar échappe au « moi » en écrivant sous 111 hétéronymes. Il va jusqu’à publier une anthologie « des fous et des crétins… »
dont il est, sous de multiples noms, l’unique auteur. L’un de ses hétéronymes, Evelyne Salope Nourtier,
défraiera un temps la chronique dans le microcosme poétique. Il se plaît aussi à « réécrire » des poèmes empruntés à d’autres
(Tarkos, Hélène Bacquet, Konrad Schmitt…). Ces identités multiples finissent par le perturber sérieusement,
lui occasionnant ce qu’il nomme « une dépression larvée ». Il se fait plus ou moins soigner et décide de renoncer à tout nouvel usage
d’hétéronyme. « Est-ce qu’il ne faut pas abandonner la poésie ? », interroge-t-il. De fait, il peut rester de longs mois sans écrire.
« On écrit pour s’arrêter d’écrire » ajoute-t-il. Personnage contradictoire et rebelle, Ivar Ch’vavar _ qui signifie crabe en berckois _
avance latéralement. S’il prétend qu’il ne s’est rien passé de probant en poésie depuis soixante-dix ans, il reconnaît néanmoins
l’intérêt des travaux de Christophe Tarkos, Lucien Suel, Martial Lengellé, Konrad Schmitt…À la lecture de Travail du poème
domine l’obsession de ce « monde à créer, la Grande Picardie Mentale », répondant au désir d’Ivar Ch’Vavar que la Picardie existe
comme lieu littéraire. Et les nombreux intervenants, destinataires de lettres, meneurs d’entretiens, critiques, présents
dans cet ouvrage sont pour la plupart picards. Comme si le creuset de la refondation de la poésie se situait dans ce territoire
du Nord un temps représenté par « Le jardin ouvrier », revue accueillant précisément les textes des « refondateurs ».
Peu d’échos pourtant de ces jardinages, au-delà des frontières picardes. Les poèmes « justifiés » (même nombre de signes par ligne)
de Lucien Suel ou de Martial Lengellé n’ont rien révolutionné. L’épreuve de la poésie demeure : elle doit dire l’indicible et,
fugacement, tenter de restituer l’être. Sans doute y a-t-il dans cet épais volume de multiples redites ainsi que certaines
correspondances inintéressantes pour le lecteur. Mais Ivar Ch’Vavar, comme tout autre auteur ainsi convié à « s’épancher »
sur 377 pages, en aura profité plus que de mesure. On pourra regretter, par ailleurs, l’absence d’une bio-bibliographie de l’auteur.
Mais cet ensemble constitue indiscutablement _ il faut saluer ici les éditions des Vanneaux pour le courage de l’entreprise _
la meilleure approche du travail d’un poète et, au-delà, du travail de la poésie qui n’a jamais fini de commencer.