22 févr.
2010
Une baie au loin et L'adresse de Françoise Clédat par Caroline Sagot Duvauroux
Je suis en train de lire Une baie au loin de Françoise Clédat autant dire que je soulève d'angle en angle, les hypothèses d'où s'arrache le poème, quand me parvient L'adresse.
Les deux livres sortent à un mois d'intervalle aux éditions Tarabuste. Il ne m'est pas possible d'éviter la collision. …crire fait, dans le premier, vivre la mort par l'œuvre. Vivre, c'est à dire mourir, dans le second y fait mourir écrire comme on dit de la mer à vos pied. Vivre et écrire s'entretuent. La réalité, c'est à dire les circonstances avec quoi nous allons, fait que la vie gagne c'est à dire la mort. L'œuvre et la vie croisent le fer dans Une baie, s'accoquinent et se repoussent jusqu'à dévoration par l'écriture. Une baie braque des colonnes d'apostilles à gauche du poème qui se déploie sur les deux tiers de la page. Toujours à gauche vers la feuillure ou vers le grand champ passé. Vers disparaître. Des notes biographiques. Turner. Des titres d'œuvre. En anglais, en français. Les minutes d'un processus : vivre, disparaître. La matrice du poème, d'à naître. Biais et lisières, entrecroisements d'absences pointées, texte, le peintre et le père, l'œuvre et la velléité d'œuvre qui ouvre les mains vides à l'existante. Le tout pareillement voué au néant.
Turnermonpère / sur son lit de mort / so I am to become / a non-entity / am I ?
On piste les failles dans les langues, on répertorie des graphies (polices, corps, centrages décalés, ferrages droite ou gauche) pour cerner ce qui manque (la chose du nom, le cadavre ou l'assassin). Dans les failles, on cherche le pas qui manqua. On ne trouve pas. Le mot manque dans la ligne, dans l'équilibre de l'empilement. Le texte se fabrique autour de l'énigme de la présence et du vide reliés par des souvenirs, des notations, des axiomes ou des fragments d'équations improbables. Turnermonpère / turner <-> mon père. On décline les lettres, afin qu'épeler appelle des indices. L'apprentissage biographique serre du manque, répertorie des pistes. Le sujet se manque, le sujet père manque, le sujet peinture glisse sous les mots qui le manquent. À moins qu'on ne laisse à l'air encore la décision du poème? On trace au compas des connaissances et de l'invérifiable. Dans le tracé on lit, on vit les choses, la chose paysage et son absence. L'absence de la peinture gît dans les mots qui soulèvent l'œuvre inaccomplie du père. Le mot ne rend compte que de l'absence de la peinture et de lui-même. Ignorant de la présence peinte, le mot se laisse lire en pitié de l'absence d'œuvre. Sur les pages impaires, au grand champ rien. Demain rien. L'œuvre et son absence s'imbriquent. Turnermonpère. L'œuvre du peintre devient la non œuvre du père. Celle à écrire ? De qui est-elle le fruit, la fille, l'écriture ?
Jusqu'au jour où.
L'adresse.
Car la disparition que tente de rejoindre, couche après couche Une baie afin qu'au loin surgisse avec le poème peint, la disparition qui fait naître le texte de tout le perdu d'œuvre et de vie, cette disparition vient frapper l'adresse en amont d'elle, saccageant le palimpseste des temps et le vocable où elle se tapissait. Le 17 août à 17 heures mon amour a cessé de respirer/// Cessé.
Une écriture d'après / : une écriture humiliée / : rendue à sa plus grande humilité /// une écriture qui a rencontré son réel. Puis, constate FC en fin de page après longtemps de blanc :
Une écriture d'avant / : une préparation à l'écriture de toi
La voie humide où se perdre en considérations, où fomenter des conduits, des statistiques, des courbes et des nombres d'or, a passé. Sec vous a rencontré. Il n'y a plus que L'adresse, à l'infini.
Où t'écrire te tient / c'est toi à cet instant qui me tient.
Vers ne rejoint pas mais ne disparaît pas. Les complots linguistiques tombent. Alors étrangement toutes les teintes du paysage peuvent déposer, (comme fait l'aquarelle par frissons d'orles colorées), des cernes grises, des touches vertes, des poussières épargnées, dorées.
La visibilité du visible, on la confie aux mots pour la perdre puisque l'aimé ne la voit pas. Cherche à se taire la chose principale qui se cherchait dans les détours de La baie. L'intelligence de la lettre à sommer le monde et l'absence. On ne veut plus de cette intelligence.
Sans l'ambition d'ouvrir à la langue son impossible, son prochain impossible, les nuages et les fleurs prennent place au poème. Sous l'agression, F.C. chante. L'écriture humiliée par le choc du réel trouve sa place de survivante.
La forme qui cherchait langue dans Une baie au loin, cherche, non pas l'informe, mais sa disparition de forme dans L'adresse. Trouve sa perpétuité de surgissement dans le rien qu'elle cherche. Elle est survivance. À toi survit à toi par l'à perpétuel.
Ecrire épouse son insignifiance et l'absence qui lui est constitutive. Alors la figuration peut revenir d'intelligence et sonner ses impasses : rencontrer. Au pied du mur, rencontrer. Et Françoise Clédat accroche aux angles de la ligne brisée qui inscrit les battements du cœur des hommes, des fruits tombés des branches qui tremblent dans la lumière pour dire (J'ai su cela / Que je t'aimais). Il y a peut-être deux écritures qui vaillent, celle qui, détachée toute du motif se fait monde et matière et celle qui ne fait que désigner le motif. Entre les deux nous ramons sans la plupart du temps trouver le pli, le premier pli, semel plex, le simple, à quoi la mort brutale condamne et autorise. Le premier pli, l'adresse.
L'inacceptable est de n'être pas mort, écrit-elle. Alors l'inacceptable recopie la ronce verte et fleurie de la tombe de Tristan jusqu'à celle d'Iseut, l'adresse vivante, puis recopie les fleurs et les soleils qui passent.
(l'idée que tu ne finiras qu'avec moi m'a la douceur de finir avec toi)
Je suis ta preuve, écrit F.C. dans l'intenable / tenir / d'avoir été / à ce point par toi tenue.
On ne crie pas. La suffocation dresse la main devant l'animal et tombe avec lui, le danger mort. Il n'y a plus de danger où tremper sa tension poétique, alors on ose verser avec le surcroît de la fatigue, la délicatesse des riens qui seuls peuvent encore peupler ou tenter de dire ce qui est, qui ne le pourront pas mais ce faisant, troublent le vide en minuscules ondes de vie violente (dans quoi se délivre l'épuisement formel).
Incertitude / maintenue / la vie / le livre / durant , écrit F.C dans Une baie au loin.
L'adresse est ce qui remplace l'incertitude, l'espoir que contenait encore l'incertitude.
L'adresse / Eperdue / Qui croît. Dans Une familiarité sans répit.
Il est possible que Françoise Clédat revienne à l'écriture de fouille qu'elle pratique dans Une baie, il est heureux que continue la littérature. Mais il est rare vraiment que la main des hommes saigne en petits gestes prononcés.
Le cimetière où ta tombe
Le rythme est celui d'une eau étale assez pour que toute perspective s'abolisse. C'est dans cet espace de temps banni que L'adresse se prolonge d'écrire. Adresse autonome sans limite. Inlassablement / à naître.
Les deux livres sortent à un mois d'intervalle aux éditions Tarabuste. Il ne m'est pas possible d'éviter la collision. …crire fait, dans le premier, vivre la mort par l'œuvre. Vivre, c'est à dire mourir, dans le second y fait mourir écrire comme on dit de la mer à vos pied. Vivre et écrire s'entretuent. La réalité, c'est à dire les circonstances avec quoi nous allons, fait que la vie gagne c'est à dire la mort. L'œuvre et la vie croisent le fer dans Une baie, s'accoquinent et se repoussent jusqu'à dévoration par l'écriture. Une baie braque des colonnes d'apostilles à gauche du poème qui se déploie sur les deux tiers de la page. Toujours à gauche vers la feuillure ou vers le grand champ passé. Vers disparaître. Des notes biographiques. Turner. Des titres d'œuvre. En anglais, en français. Les minutes d'un processus : vivre, disparaître. La matrice du poème, d'à naître. Biais et lisières, entrecroisements d'absences pointées, texte, le peintre et le père, l'œuvre et la velléité d'œuvre qui ouvre les mains vides à l'existante. Le tout pareillement voué au néant.
Turnermonpère / sur son lit de mort / so I am to become / a non-entity / am I ?
On piste les failles dans les langues, on répertorie des graphies (polices, corps, centrages décalés, ferrages droite ou gauche) pour cerner ce qui manque (la chose du nom, le cadavre ou l'assassin). Dans les failles, on cherche le pas qui manqua. On ne trouve pas. Le mot manque dans la ligne, dans l'équilibre de l'empilement. Le texte se fabrique autour de l'énigme de la présence et du vide reliés par des souvenirs, des notations, des axiomes ou des fragments d'équations improbables. Turnermonpère / turner <-> mon père. On décline les lettres, afin qu'épeler appelle des indices. L'apprentissage biographique serre du manque, répertorie des pistes. Le sujet se manque, le sujet père manque, le sujet peinture glisse sous les mots qui le manquent. À moins qu'on ne laisse à l'air encore la décision du poème? On trace au compas des connaissances et de l'invérifiable. Dans le tracé on lit, on vit les choses, la chose paysage et son absence. L'absence de la peinture gît dans les mots qui soulèvent l'œuvre inaccomplie du père. Le mot ne rend compte que de l'absence de la peinture et de lui-même. Ignorant de la présence peinte, le mot se laisse lire en pitié de l'absence d'œuvre. Sur les pages impaires, au grand champ rien. Demain rien. L'œuvre et son absence s'imbriquent. Turnermonpère. L'œuvre du peintre devient la non œuvre du père. Celle à écrire ? De qui est-elle le fruit, la fille, l'écriture ?
Jusqu'au jour où.
L'adresse.
Car la disparition que tente de rejoindre, couche après couche Une baie afin qu'au loin surgisse avec le poème peint, la disparition qui fait naître le texte de tout le perdu d'œuvre et de vie, cette disparition vient frapper l'adresse en amont d'elle, saccageant le palimpseste des temps et le vocable où elle se tapissait. Le 17 août à 17 heures mon amour a cessé de respirer/// Cessé.
Une écriture d'après / : une écriture humiliée / : rendue à sa plus grande humilité /// une écriture qui a rencontré son réel. Puis, constate FC en fin de page après longtemps de blanc :
Une écriture d'avant / : une préparation à l'écriture de toi
La voie humide où se perdre en considérations, où fomenter des conduits, des statistiques, des courbes et des nombres d'or, a passé. Sec vous a rencontré. Il n'y a plus que L'adresse, à l'infini.
Où t'écrire te tient / c'est toi à cet instant qui me tient.
Vers ne rejoint pas mais ne disparaît pas. Les complots linguistiques tombent. Alors étrangement toutes les teintes du paysage peuvent déposer, (comme fait l'aquarelle par frissons d'orles colorées), des cernes grises, des touches vertes, des poussières épargnées, dorées.
La visibilité du visible, on la confie aux mots pour la perdre puisque l'aimé ne la voit pas. Cherche à se taire la chose principale qui se cherchait dans les détours de La baie. L'intelligence de la lettre à sommer le monde et l'absence. On ne veut plus de cette intelligence.
Sans l'ambition d'ouvrir à la langue son impossible, son prochain impossible, les nuages et les fleurs prennent place au poème. Sous l'agression, F.C. chante. L'écriture humiliée par le choc du réel trouve sa place de survivante.
La forme qui cherchait langue dans Une baie au loin, cherche, non pas l'informe, mais sa disparition de forme dans L'adresse. Trouve sa perpétuité de surgissement dans le rien qu'elle cherche. Elle est survivance. À toi survit à toi par l'à perpétuel.
Ecrire épouse son insignifiance et l'absence qui lui est constitutive. Alors la figuration peut revenir d'intelligence et sonner ses impasses : rencontrer. Au pied du mur, rencontrer. Et Françoise Clédat accroche aux angles de la ligne brisée qui inscrit les battements du cœur des hommes, des fruits tombés des branches qui tremblent dans la lumière pour dire (J'ai su cela / Que je t'aimais). Il y a peut-être deux écritures qui vaillent, celle qui, détachée toute du motif se fait monde et matière et celle qui ne fait que désigner le motif. Entre les deux nous ramons sans la plupart du temps trouver le pli, le premier pli, semel plex, le simple, à quoi la mort brutale condamne et autorise. Le premier pli, l'adresse.
L'inacceptable est de n'être pas mort, écrit-elle. Alors l'inacceptable recopie la ronce verte et fleurie de la tombe de Tristan jusqu'à celle d'Iseut, l'adresse vivante, puis recopie les fleurs et les soleils qui passent.
(l'idée que tu ne finiras qu'avec moi m'a la douceur de finir avec toi)
Je suis ta preuve, écrit F.C. dans l'intenable / tenir / d'avoir été / à ce point par toi tenue.
On ne crie pas. La suffocation dresse la main devant l'animal et tombe avec lui, le danger mort. Il n'y a plus de danger où tremper sa tension poétique, alors on ose verser avec le surcroît de la fatigue, la délicatesse des riens qui seuls peuvent encore peupler ou tenter de dire ce qui est, qui ne le pourront pas mais ce faisant, troublent le vide en minuscules ondes de vie violente (dans quoi se délivre l'épuisement formel).
Incertitude / maintenue / la vie / le livre / durant , écrit F.C dans Une baie au loin.
L'adresse est ce qui remplace l'incertitude, l'espoir que contenait encore l'incertitude.
L'adresse / Eperdue / Qui croît. Dans Une familiarité sans répit.
Il est possible que Françoise Clédat revienne à l'écriture de fouille qu'elle pratique dans Une baie, il est heureux que continue la littérature. Mais il est rare vraiment que la main des hommes saigne en petits gestes prononcés.
Le cimetière où ta tombe
Le rythme est celui d'une eau étale assez pour que toute perspective s'abolisse. C'est dans cet espace de temps banni que L'adresse se prolonge d'écrire. Adresse autonome sans limite. Inlassablement / à naître.