L'éclat a 40 ans par Michel Valensi

Les Incitations

11 févr.
2025

L'éclat a 40 ans par Michel Valensi

Le 25 février 2025  les éditions de l’éclat auront 40 ans. Comme on dit communément : « Ça fait un bail ! » Qui n’est qu’un contrat locatif. Reconduit d’année en année dans sa précarité, avec toujours la crainte qu’il s’interrompe et le miracle qu’il se renouvelle.

À préparer le catalogue de cet anniversaire, établissant l’index des noms de celles et ceux qui ont participé aux 505 livres parus, auteurs en tous genres, traducteurs, traductrices, préfaciers, préfacières, éditrices, éditeurs, photographes, amis et amies qui restent, amies et amis qui sont partis, nous avons vu défiler tous ces visages et esprits confondus sans qui la chose ne se serait pas faite.

La ‘chose’ convient bien pour désigner le résultat de ces efforts ininterrompus, qui peuvent sembler désordonnés mais qui visaient le ‘chas de l’aiguille’ par lequel est passée – nous l’espérons – l’idée d’un catalogue, golem d’encre et de papier d’une créature au fond fragile, à qui nous voulions donner vie et qui, dans notre esprit, ‘habiterait l’éclat’.

40 ans, c’est aussi le moment de regarder en arrière. Se pencher sur son passé pour envisager ce qu’il reste d’à venir. D’où le choix d’avoir privilégié la fidélité aux auteurs des commencements, et les rééditions dans les collections de poche de livres du fonds. Ce fameux ‘fonds’ dont tout le monde parle et qui fond à vue d’œil, masqué qu’il est par l’‘actualité’, la ‘nouveauté’ qui, comme dit le directeur des « Funambules » dans Les Enfants du paradis, est déjà « vieille comme le monde ». C’est peut-être la fragilité de ce catalogue, son tempo lent et finalement précis qui nous émeuvent aujourd’hui, à le voir se mouvoir quand même et encore, 40 ans plus tard, dans la cohue infinie des livres et brochures qui naissent et meurent au rythme frénétique des ‘rentrées littéraires’.

Les livres, quand ils se retrouvent tous ensemble, se connaissent, se reconnaissent. Ils conversent. C’est une joie d’éditeur de les voir converser. L’alignement des tranches le long des étagères réserve de belles surprises. Les titres juxtaposés disent les rencontres bienheureuses par-delà le temps et le territoire. Ils écrivent la ‘phrase infinie’ d’une vie. Grammaticalement significative.

À chacun est associé un souvenir. Quelquefois dissimulé comme un clin d’œil dans un coin de page, le jour et l’heure de l’arrivée du manuscrit, le jour et l’heure de la réception du premier exemplaire, une coquille échappée à notre vigilance, trop souvent étourdie. Une première phrase…

« Moi, je sais que je parle parce que je parle, mais que je ne persuaderai personne » (Carlo Michelstaedter, La persuasion et la rhétorique);  ou « Au fin fond d’un tunnel malsain, quelqu’un vous dit : ‘vous tirerez bien une bouffée d’air pur’ » (Patricia Farazzi, L’esquive) ;  ou : «Chacun sait quelle folie s’est aujourd’hui emparée du monde, chacun sait qu’il participe lui-même à cette folie, comme victime active ou passive, chacun sait donc à quel formidable danger il se trouve exposé, mais personne n’est capable de localiser la menace, personne ne sait d’où elle s’apprête à fondre sur lui, personne n’est capable de la regarder vraiment en face, ni de s’en préserver efficacement » (Hermann Broch, Théorie de la folie des masses) ;  ou encore : « J’écris/ une poésie/ quitte/ de double sens// mon sujet/ c’est une âme/ qui cherche racines// le sujet/ la fidélité/ le style/ propre à penser/ les rapports sacrés/ l’amour/ et la fidélité » (Aaron Shabtaï, Le poème domestique) ou : « En matière de métaphysique, j’oserai mettre un enfant au-dessus même d’un bon et sage laboureur qui n’a rien lu » (Jules Lequier, Comment trouver, comment chercher une première vérité ?) ou encore :  « Poser l’oreille contre un coquillage, c’est se donner à entendre tout un océan » (François J. Bonnet, Les mots et les sons).

Lors des anniversaires les Italiens disent fino a cent’anni : « jusqu’à 100 ans ». Et les Juifs, plus optimistes, ad mea esrim : « jusqu’à 120 ans ». Les uns comme les autres ont leur bonne part dans la ribambelle babélique des langues du catalogue. Atavisme méditerranéen probablement, où convergent aussi les langues de l’entre-terre et celles des marges. Marges où nous nous tenons résolument et où s’écrivent, entremêlés, une littérature et une philosophie de l’imaginaire. L’une n’allant pas sans l’autre.

Le commentaire de sitaudis.fr

Merci à Michel Valensi d'avoir choisi Sitaudis à l'occasion de cet anniversaire.


Les éditions de l’éclat fêteront leur anniversaire le jeudi 13 mars à partir de 19h à la librairie La Friche, 36 rue Léon-Frot, 75011 Paris.