Portrait du jeune homme en feu dans l’atelier des mots par Jean-François Coutureau
Cher Gabriel Zimmermann,
Je ne vous apprendrai rien ici sur la portée de ce que vous avez écrit dans votre ‘Plus loin que l’atelier’ aux éditions Tarabuste qui tisse de longue haleine ses textes en échos internes et externes d’autant plus forts que l’occasion nous a été donnée d’en découvrir certains dans les revues ‘Décharge’, ‘Diérèse’, ‘Europe’, et cetera. Je ne vous apprendrai rien d’une lecture probablement trop ‘fébrile’ (votre mot pour témoigner d’un ressort de l’écriture qui peut aussi s’emparer d’un lecteur) tant vous semblez passer au crible ce que vous écrivez, voire ce que votre lectrice ou lecteur peut ressentir, sans vous laisser devancer, même si le mystère du non-anticipé, et paradoxalement le désir d’anticiper, laissent une porte ouverte sur l’inconnu, mort et vie mêlées. Élan, pulsion, impulsion ou improvisation n’altèrent en rien cette sensation, sans doute parce que la pensée précède toujours l’écriture, quelle que soit sa vitesse d’exécution. Ainsi, laisser jouer le temps peut pareillement surprendre, comme vous l’évoquez à plusieurs reprises dans le travail patient du bois, la minutie d’une fouille archéologique, sans parler du tressage d’un ouvrage de poésie, travail qui allie accélérations et ralentis. Et même si le matériau est en ‘surchauffe’ dans l’instant de sa création en atelier, le poème façonné dans la fébrilité semble apporter sa réponse provisoire à un poème précédent, d’où les effets de tressage et d’échos multipliés.
Pourtant, comment ne pas montrer de l’inquiétude (quoique tempérée par la composante narrative de nombreux textes) : ouvrir sur une ‘ensableuse’ n’est pas anodin. On perçoit vite le poids des terreurs qui environnent votre chemin d’écriture (le mystère de gestes furtifs à interpréter), notamment à travers l’élaboration de ce que l’on appellera des contes (pour se rassurer), dont les contes de la forêt profonde, de l’égarement, de la mort qui guette, de la perte (on pourra penser à Jean Giono), opposés aux récits d’apprentissage, de dressage et façonnage du matériau bois (et du matériau mot), cet allié qui nous porte (comme le texte, mais ne brûle pas ici), ou à l’éclaircie d’un amour ou d’une île, cette terre solaire d’anticipation (même passée). On sent l’insouciance interdite par la révélation de vérités tragiques liées à la vie humaine, de l’enfantement à la mort en passant par le vieillissement. Le dialogue de la page 49 d’Une Saison De Rabots, première partie de l’ouvrage, entre la nièce qui a grandi et sa tante qui a vieilli, est à ce sujet emblématique. Vous vous frayez un chemin dans l’âge où des vérités se font jour que la maturité refuse de taire. Ailleurs, le jeune homme en feu qui écrit résiste et sa fougue littéraire l’aiguillonne, tour à tour narrative et réflexive, vocale voire théâtrale dans ses tirets (ou traits) de réplique et points de vue superposés. Il se cabre et refuse des leçons qu’il estime étroites : refus du murmure au profit du cri (qui pourrait être celui du nouveau-né, de celui qui cherche le souffle primordial). Il interroge le temps, les mots, sa lectrice ou son lecteur, sa famille, lui-même, sur une série de sujets et souvenirs intimes. À peine a-t-il constaté le peu de place accordée à l’amour dans ses écrits : ‘Quand parlerai-je à nouveau de l’amour?’ (page 33), qu’il y remédie dans des textes qui ricochent en changeant l’angle de vue : un (bon) génie sort de sa bouteille d’encre (ou d’un clavier magique) qui réalise le vœu de son double et maître dans le portrait d’un bel amour éteint rallumé par intermittence sous nos yeux.
Et soudain l’âge, comme la nuit, s’apprivoise, à la fin de Ramassage Des Sciures, deuxième partie de l’ouvrage.
Dans une troisième partie, Plan Pour Une Table à Rallonges, où les points de vue et les doutes explosent, où les aveux suivent les constats, où les contradictions tentent de s’annuler en s’additionnant, un nouvel homme se profile qui reconnaît la valeur des leçons refusées : ‘– Un réel qui ne demande pas après nos cœurs’ (page 143), et réaffirme sa création en cours d’un atlas de l’invisible qui pèse déjà (mais de quel poids?) dans un sac de voyage à remplir, sur les rayons d’une bibliothèque en construction, ou dans un berceau qui ne demanderait qu’à accueillir une nouvelle naissance. Paradoxalement, le désir de bâtir une vie en douceur finit par tout emporter, et permet même d’envisager le silence : ‘(...), elle grandit, l’idée/Qu’honorer la beauté revient à la taire.’ (page 132), où le génie retourne dans sa lampe. Avant cet autre aveu vingt pages plus loin : ‘Vous me trouverez dans le sable du langage’ (page 152).
À cet instant, la vie peut battre à nouveau, dés-ensevelie, et l’on pourra passer la paume de sa main à sa surface douce.
Mais quelle lectrice ou quel lecteur en sortira indemne, sans la moindre éraflure ?