WINTER IS COMING (11) par Jean-Yves Bochet
ET DIEU DANS TOUT ÇA ?
Quand on cherche, sur Internet, à se renseigner sur les séries aux thématiques religieuses, on en découvre un grand nombre, évoquant, à de rares exceptions près, les pratiques et croyances du christianisme, tout au long de l’histoire de cette religion.
Que ce soit, pour ne choisir que quelques exemples, pendant les croisades avec Knightfall, durant la Renaissance italienne avec Borgia ou à une époque beaucoup plus contemporaine avec The Young pope, Dieu, son fils et ses disciples ont beaucoup inspiré les scénaristes pour, la plupart du temps, des fresques historiques, exposant parfois avec brio comme dans Borgia, la jouissance du pouvoir que peut offrir l’Église ou comme dans Knightfall, les croisades sanglantes menées par des moines soldats au nom de Dieu.
Mais rarement, scénaristes et showrunners n’ont su poser dans une série les questions fondamentales liées à la croyance.
Fin Septembre 2019 est apparu sur une chaine publique, CBS, le premier épisode d’une série qui en comptera 50, répartis dans quatre saisons, et s’est achevée en Juin 2024 : Evil.
Elle est créée, scénarisée et pour certains épisodes, réalisée par Michelle et Robert King, les concepteurs entre autres des formidables The Good Wife et The Good Fight, dont j’ai déjà loué les qualités dans une chronique précédente.
Cette série ressemble apparemment à de nombreuses autres productions présentes sur les chaines publiques. Elle met en scène deux hommes et une femme chargés par l’Église d’enquêter sur des cas possibles de possession démoniaque. Kristen Bouchard est une psychologue, experte judiciaire et athée, David Acosta est un séminariste en passe de devenir prêtre et Ben Shakir est un musulman expert en technologie qui déteste les institutions religieuses et ne croit pas non plus au surnaturel. Le spectateur se prépare alors à voir un énième « formula show » proposant à chaque épisode le problème de la semaine, les trois enquêteurs démontrant à la fin que la possession est explicable de façon très rationnelle. La première saison suit un peu ce programme, tout en laissant petit à petit s’insérer le doute à la fois dans l’esprit des spectateurs et dans celui des protagonistes de la série. Se peut-il que le Mal soit là, quelque part, tapi dans l’ombre, prêt, par tous les moyens, à prendre possession de nos esprits, dans une société qui croit de moins en moins. Et c’est là que les King, ce couple qui a su dynamiter les séries d’avocats qui ronronnaient doucement depuis Ally McBeal, transforme Evil, un show qui aurait pu rester un spectacle à l’horreur gentillette en une série politique, mystique, absurde, drôle, grotesque et parfois terrifiante.
Dès le début de la deuxième saison,les trois personnages principaux, ces mousquetaires de l’exorcisme, voient leurs certitudes commencer à s’effriter quand les cas de possession supposée qui leur sont soumis ne peuvent plus simplement donner lieu à une explication rationnelle.
Chaque intervention de leur part est alors sujette à des discussions passionnantes sur l’existence du Mal et ses manifestations.Quelques évènements étranges viennent perturber leur quotidien et leurs cauchemars nocturnes prennent la forme de démons terrifiants.
Kristen Bouchard, la psychologue du trio, vivant seule avec ses quatre filles (le père, alpiniste perpétuellement lancé dans une course, est rarement là) et ne croyant pas au surnaturel, ne se rend pas tout de suite compte de l’intrusion du mal dans son foyer par l’intermédiaire des ordinateurs, des réseaux sociaux et des réalités virtuelles. Son scepticisme est très souvent mis à l’épreuve dans la série, mais elle trouvera le moyen de concilier ses convictions avec l’inexplicable tout en protégeant sa famille. Son apparition au début de la série la montre en difficulté face à un dangereux criminel et donc peu encline à supporter la confrontation avec des individus sous une emprise supposée démoniaque, mais rapidement elle se révèle être l’âme forte du trio, soutenue par son refus de croire au surnaturel, qui l’empêche d’avoir peur de ce qu’elle ne comprend pas car comme Scully dans X-Files, elle ne croit pas que la vérité soit ailleurs. C’est une femme forte comme les aiment les King qui en ont déjà fait les figures centrales de leurs séries précédentes comme The Good wife et The Good fight.
Deux personnages commencent alors à prendre une place prépondérante dans la série. Tout d’abord Leland Townsend, ancien expert d’assurances devenu expert judiciaire et psychologue, qui méprise la religion et se consacre corps et âme à l’avènement de l’Antechrist. Incarné par Michael Emerson, (acteur génial que l’on a pu voir dans de nombreuses séries dont Lost) il semble avoir l’allure inoffensive d’une blatte sournoise et cauteleuse, mais sa haine des trois enquêteurs et sa vénération des démons le mèneront loin, jusqu’à la réalisation d’une entreprise absurde, terrible et réjouissante que les King, en funambules de l’impossible, exposeront sans peur du ridicule. Soeur Andrea elle, est une guerrière. Apparaissant dès la saison deux comme une sorte de petite souris à lunettes faisant office de femme de ménage dans l’église qui emploie les enquêteurs, elle épaulera l’apprenti prêtre qui a compris rapidement que sa culture théologique et son apparente fréquentation des démons lui seraient très utiles dans son combat contre les puissances du mal. Car Soeur Andrea est la seule personne qui peut voir les démons, ce qui donne lieu à d’étranges et drôlatiques pugilats entre la religieuse et de petits diables laids, poilus et cornus, qu’elle pourfend avec son balai.
La nonne et l’expert médico-légal, vont alors combattre, l’une pour le bien, l’autre pour les forces du mal. La folie s’installe et le spectateur, qui est le seul avec Soeur Andrea à voir les démons tout en assistant à la mise en place de complots maléfiques, est totalement dérouté et se demande si tout cela ne se conclura pas par le dévoilement final d’une gigantesque fake news
De « formula show » plutôt bien fait, Evil devient alors, grâce à l’intelligence scénaristique du couple King, une série fantastique passionnante, au ton unique, drôle et angoissante qui joue avec les codes de la narration et bouscule les certitudes du spectateur incapable de savoir si la présence dans un open space new-yorkais d’un démon manager à l’allure d’une chèvre cornue à trois yeux est un gag, un cauchemar de l’un des personnages, une parabole ou la présence tangible du Mal.
Funambules aguerris, les King avancent, pour chaque épisode, sur un fil tendu entre un suspens dramatique et un absurde proche du ridicule, sans jamais tomber, offrant au contraire une série intelligente, brillante et passionnante, prouvant qu’ils sont devenus avec Evil, les Rois du Mal.
Sur Arte.tv est disponible depuis quelques semaines : La Mesias, une série espagnole de 7 épisodes, dont l’une des thématiques est aussi le rapport à la religion et qui est également l’oeuvre d’un couple , « Los Javis » comme on les surnomme : Javier Ambrossi et Javier Calvo.
Ces deux là se sont fait connaître en 2020 avec une mini-série aussi émouvante que terrifiante : Veneno, qui retraçait la vie tumultueuse d’une travailleuse du sexe, icône transgenre dans l’Espagne des années 90 : Cristina Ortiz.
La Mesias (La Messie), bien qu’ayant des accents tout aussi kitsch et colorés, ce qui a permis aux espagnols de comparer le travail du couple à celui de Pedro Almodovar, est d’un tout autre genre. Enric, assistant cadreur, travaille sur un film à Montserrat en Catalogne, au pied d’une montagne fréquentée autant par les chasseurs d’ovnis que par ceux qui pensent y voir la Vierge. Quand, un soir, dans un bar, un clip de Stella Maris, un groupe de très jeunes filles interprétant des chansons idiotes à la gloire de Dieu, le bouleverse et le ramène à son enfance avec sa sœur Irene.
La série va alors se dérouler sur trois plans temporels, avec leur propre identité filmique, qui s’entrecroisent en permanence : l’enfance d’Enric, son adolescence et la période contemporaine, et chaque épisode se présente comme un film indépendant avec ses thématiques, son ambiance, son histoire, sa couleur, sa musique (celle formidable du chanteur Raül Refree), et ses codes cinématographiques.
Cette œuvre majuscule, comme l’a qualifié le quotidien El Pais raconte l’histoire d’une femme, Montserrat, qui, séparée de son mari a du mal à subvenir aux besoins de son fils et de sa fille et se prostitue, leur faisant vivre une enfance, parfois joyeuse, mais surtout très perturbée et pleine de souffrance. Après sa rencontre, quelques années plus tard avec un homme proche de l’Opus Dei, elle va se transformer en une sorte de gourou messianique d’une secte familiale dédiée à la Vierge et à la venue des extraterrestres, et préparer les cinq filles, qu’elle a eues avec son nouveau compagnon, à délivrer la bonne parole par l’intermédiaire d’un groupe pop chantant les louanges de Dieu. Échappés de ce chaos, mais traumatisés, chacun d’une manière différente, Enric et sa sœur Irene vont tenter des années plus tard de revoir leur famille et cette mère monstrueuse qui est souvent drôle quand elle joue les Pythie et parfois même émouvante quand elle regarde son fils..
« Los Javis », dans cette série, entremêlent avec brio, les époques, permettant au spectateur de mieux comprendre l’ évolution de la mère, et les genres, agrégeant dans une même séquence des éléments kitsch avec un moment d’émotion ou de souffrance pure se terminant en scène d’horreur ou de mini comédie musicale. Tout est possible mais on ne peut pas facilement réparer une enfance brisée, même en chantant Jésus revient.
Enfin signalons l’arrivée prochaine sur les écrans français d’une série britannique : Everyone Else burns, satire drôlatique d’une famille, membre d’une secte chrétienne millénariste, persuadée que l’Apocalypse est imminente.