The Brutalist, c’est du brutal ! par Michaël Moretti
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Le brutalisme, ou valorisation de la vérité de la construction et de la structure, des matériaux bruts, dont le béton, a la cote : Brutalism, un album-révélation pour Idles (2017, meilleur groupe sur scène actuellement) ; SOS Brutalism, l’exposition 2017 avec son catalogue au Deutsches Architekturmuseum ; des dystopies futuristes, de The Hunger Games (2012-2023) à Squid Game (2021-2025), en passant par Tenet (Nolan, 2020 ; l’auteur d’Oppenheimer, 2023, Robert étant contemporain de Toth, un même besoin de reconnaissance et le désir de laisser une trace dans l’histoire) et l’esthétique par Vermette d’Arrakeen, capitale d’Arrakis, dans Dune (Villeneuve, 2021, 2024), un film, A Real Pain (Eisenberg, 2024 ; Culkin, Oscar du meilleur acteur dans un second rôle) où deux cousins partis sur les traces de leur grand-mère, rescapée de la Shoah, croisent des immeubles soviético-brutalistes, style triomphant également en République tchèque, dans leur périple en Pologne. Corbet, dont l’oncle fut architecte après son passage à l’école fondée par Frank Lloyd Wright à Taliesin dans le Wisconsin, s’est inspiré de deux livres : Marcel Breuer and a Committee of Twelve Plan a Church d’Hilary Thimmesh, qui a travaillé avec un moine qui raconte, de son point de vue, la construction à partir de 1953 de l’abbaye de Collegeville, dans le Minnesota - dégradée par le temps -, où l’antisémitisme fut présent et où la réalisation des vitraux a été confiée à une autre personne, et Projeter et construire pour la Seconde Guerre mondiale de Jean-Louis Cohen où il explique comment l’architecture d’après-guerre est liée au traumatisme d’après-guerre. Pour se faire une idée, en France, l’antisémite et fonctionnaliste Le Corbusier, qui vampirisa la réalisation de la chaise longue LC4 créée par la talentueuse Charlotte Perriand, a réalisé, entre autres, la Cité radieuse ou du fada (1947-52, Marseille), l’église Saint Pierre à Firminy vers Saint-Etienne et le couvent de la Tourette à Éveux, vers Lyon. Ou Paul Chemetov, mort en 2024. Si les biopics fleurissent - Callas, Dylan -, ici, c’est du brutal, plus subtil. Toth – « mort » en allemand mais Smith en Hongrie, un pays tourmenté, attiré par l’autoflagellation et l’introspection - est une composition à partir des difficiles et entêtés Hongrois Marcel Breuer et son Whitney Museum of American Art (1966) à New York, Louis Kahn, avec ses trois familles simultanées, le « less is more » Ludwig Mies van der Rohe et Paul Rudolph. Aujourd’hui, ce seraient les Français Herzog & de Meuron et les Espagnols Vicens + Ramos. Si j’ai une détestation - mais pas comme Trump, très à gauche au regard de Le rebelle (The fountainhead, K. Vidor, 1949), d’après La Source vive de la libertarienne Ayn Rand, où Gary Copper incarne Frank Lloyd Wright, et son décret de janvier pour prôner le néoclassicisme à la Speer au mépris du brutalisme sur les bâtiments fédéraux - pour le style blockhaus et bunkers du brutalisme, dont le béton s’effrite, j’ai une adoration pour le Bauhaus dont il provient. De beaux génériques, minimaux, Bauhaus. Magnifiques plans sur les carrières de Carrare, surpassant le superbe Michel-Ange de Konchalovski (Il peccato, 2019 ; ses rapports avec le mécène, le pape Jules II), et leur exploitation capitalistique à la dynamite, reflet de l’intériorité minée des personnages.
Plusieurs régimes d’images, grandeur et décadence shakespearienne à la Citizen Kane (Welles, 1941). Une arrivée, comme une seconde naissance, avec la sculpture de Bartoldi, la Statue de la Liberté, tête en bas, en contre-plongée depuis le fond de cale avec caméra tremblante. Ellis Island était un centre sélectif et peu délicat. Si Cotillard était prévue, la difficile intégration, comme dans La porte du paradis (Heaven’s gate, 1980, Cimino), est ici mieux relatée que dans le raté The immigrant de Gray (2013). Outre la longueur - un entracte à l’ancienne avec photo familiale en noir et blanc à la Sebald devant synagogue et décompte temporel avec notes d’un piano préparé minimal de Blumberg -, malgré le brillant montage de David Jancsó, fils du célèbre cinéaste Miklós Jancsó, figure de la nouvelle vague magyare des années 1960-1970, le film coche, comme chez P.T. Anderson, toutes les cases : dépendance (amour, drogue), handicap, racisme (antisémitisme, déjà présent dans The Fabelmans de Spielberg, 2022, et xénophobie - plaisir de revoir de Bankolé, à la carrière internationale depuis Ghost dog, Jarmusch, 1999, méconnaissable), impuissance et viols (pour moi, c’est trop dans le sens artificiel et métaphore lourde), pouvoir et art, mécène - caricatural en prédateur élitiste WASP, soupe au lait, rongé par la pléonexie mais superbement interprété par l’anglais Pearce, ce Clark Gable ou James Mason comme dans L.A. Confidential, Hanson, 1997 et Mildred Pierce, 2011 - et artiste - architecture et parcours du combattant du cinéaste -, chacun en prend pour son grade. L’american dream vire à l’enfer. Brody (Peaky Blinders, 2013-2022, Succession, 2018-2023 ou Winning Time, 2022-2023, et Minuit à Paris, Midnight in Paris, Allen, 2011, A bord du Darjeeling limited, The Darjeeling limited, 2007, The grand Budapest hotel, 2014, The French Dispatch, 2021, Asteroid City, 2023 de Wes Anderson) revient, après dépressions et troubles du comportement alimentaire, avec la mémoire du rôle de Wladyslaw Szpilman dans The pianist (Polanski, 2002). Boum, 2e Oscar. Il incarne un « mensch qui a triomphé sans vendre son âme » (Libeskind, Jüdisches Museum Berlin, 2021 ; le one WTC). Une polémique stérile enfle autour de sa voix, retravaillée avec l’IA pour un meilleur accent hongrois, lui dont les grands-parents et la mère, célèbre photographe, furent hongrois. Un film marquant auréolé de prix. Nous regrettons de ne pas voir cette fresque dans les conditions VistaVision 70mm. Peut-être sera-ce l’occasion de distribuer en France The Childhood of a Leader (2015) et le clivant Vox Lux (2018).