à la surface de Dorothée Volut par Katrine Dupérou
Que faire des mots ? Les tuer dans l’œuf sauvage de l’enfance ? Les enterrer vivants ou les laisser décanter ? Leur donner la forme de ce que l’on est une fois que tout a brûlé. Faire corps avec « ce qui a été laissé au fond » et qui remonte à la surface. Comme le ferait un enfant « téméraire et bravant l’orage » : écrire. Effectuer ce passage salutaire de l’intérieur vers l’extérieur. Tendre vers l’Autre. Puiser dans ce mouvement la force de « libérer une matière parvenue au terme de sa gestation ». Sortir du silence.
C’est cette seconde option qu’a choisie Dorothée Volut. Et la voie/voix empruntée pour « incarner la parole » est d’une force inouïe. Écrits entre 2003 et 2009, ses textes ont trouvé chez Éric Pesty éditeur, dont il faut souligner ici le remarquable travail éditorial, l’espace propice pour se rassembler. Et la nécessité d’aller vers l’autre. Le lecteur. Pour « tourner la page ».
Il s’en est fallu de peu que Dorothée Volut « prise en étau entre le besoin de partager les fruits de (s)es traversées intérieures et la peur d’inscrire dans le monde d’aujourd’hui (s)a propre souffrance » ne renvoie « définitivement au silence » ces proses poétiques à la beauté cruelle. Si elle n’avait rencontré un jour cette phrase de C. G. Jung : « La solitude ne naît point de ce que l’on n’est pas entouré d’êtres, mais bien plus de ce que l’on ne peut leur communiquer les choses qui nous paraissent importantes ».
En 2008 paraissait Alphabet dans la collection agrafée d’Éric Pesty éditeur. Rouge plomb sur gris béton, huit lettres pour dire, en capitales, le mouvement qui va du dedans au dehors. Le pas hors du rang. 22 petits blocs de prose initialement destinés à intégrer à la surface et s’en détachant. Ayant trouvé ce « terrain d’entente » où exister par eux-mêmes.
« Chemin faisant on suit des points de soi », échos subtils à nos paysages personnels et néanmoins communs. Ceux qui nous rassemblent sur ce terreau de résonances, perdu et retrouvé. L’enfance.
« Il ne s’agit pas d’être malheureux : ce qui est là est là, simplement on traverse ». Dans un esprit d’enfance qui redonne à « L’arbre, son écorce, ses branches, ses feuilles » son existence première, aux mots leur force initiale. « Nos solitudes d’enfant nous ont donné les immensités primitives » écrivait Gaston Bachelard. Comme 22 polaroïds ce sont des paysages que Dorothée Volut nous donne à traverser. Ces territoires d’avant que l’irréparable fil de l’enfance ne se casse. Oscillant entre je, on et nous. Dans une langue qui trace « droit devant ». Abrupte et déterminée. Délicate et implacable.
« Un monde d’enfance permet d’écrire. L’émotion suscitée par les papiers d’argent et les cachettes mouillées. Dans la trappe du puits il y en a un qui pend – attention de ne pas le faire tomber. »
Composé de séquences pour la plupart antérieures à Alphabet, à la surface relève de la polyphonie. S’y succèdent et se font écho douze monologues dont le sujet central est une fois encore l’enfance. Douze variations autour d’un même mouvement : la remontée à la surface d’un monde englouti.
Douze voix s’avancent, dont les premiers mots forment capitales. Seuls les dates et lieux précisés en exergue nous permettent d’ancrer ces différents registres de parole dans un espace-temps.
La première voix est celle d’un enfant. Le cadre est posé. « L’ENFANT EST ASSIS À UNE TABLE ET IL DESSINE. » Un enfant dessine entre ombres et silence. Une voix s’adresse à lui, dans la nuit d’une salle vide. Une voix que l’on n’entend pas. Il ouvre alors la bouche et se met à parler.
Une première voix, une première page. Comme une entrée en matière dans la matière : cette parole, qui donne à l’infans de pouvoir nommer les choses et toucher le monde. Cette langue qui donne au poète de toucher l’imperceptible rythmique de l’innommable.
La deuxième se jette à corps et cœur perdus dans la gueule du loup. Elle s’y enfonce et comme pour lui arracher le cœur que celui-ci n’a pas, remonte à la surface ses paroles, ses pensées. Vertiges insoutenables.
Douze voix se succèdent. Avec leurs interrogations, leurs manques et leurs inquiétudes. Comme autant de corps réinventés pour parler le silence. Avec la jubilation féroce d’une langue qui se réinvente à chaque fois, à chaque voix.
Douze chemins de soi. Comme autant de pas engagés « pied nus dans la forêt ». « Un passage vers l’émotion. »