Ada Limón, The Hurting Kind par Mathieu Baret

Les Parutions

26 août
2022

Ada Limón, The Hurting Kind par Mathieu Baret

  • Partager sur Facebook
Ada Limón, “It Begins with the Trees”, in “The Hurting Kind”

Piquante Espiègle, Ironique Amusée, Ardente Curieuse, Taquine Arpenteuse .

 

Tout au long de l'année, la librairie du Congrès Américain propose, entre de nombreux autres articles quotidiens, Poetry 180, dont Wife, d'Ada Limón, le lundi 4 octobre 2021 . Le 12 juillet 2022, Ada Limón est nommée vingt quatrième Lauréate de la Poésie Américaine .

Chaque vers, chaque strophe, chaque poème de la lecture d'Ada Limón, ouvre sur une mathématique sédimentée de rencontres déconcertées avec la Nature, à l'image de sa personne, dont la sympathie ne se donne pas sans un revers de vive et piquante remontrance, dont l'ironie décoche souvent un sourire de contentement autant que de complicité, une intimité se dévoilant à peine, questionnant ardemment notre sens de la vie ordinaire face à l'inexplicable, l'inexpugnable Nature . Le trait d'Ada Limón relevant d'une écriture curieuse du monde des faunes et des flores, et sa prise sur toute chose teintée d'à peine une moquerie, d'une incrédulité et d'une touche de sarcasme, "Las les humains!" semblant être le motto de son aventure . Ce donné-là de la Nature, qui ne s'entend qu'en tendant l'oreille aux impromptus de l'être, l'être animal, premier moteur de l'émerveillement, l'être végétal, sur la portée de quoi monte une parole empreinte d'une tendre taquinerie de nos misères comparées .

Il y a chez Ada Limón une politique du sérieux appliqué à se moquer du monde, de la plus positive des manières, de ne pas aggraver la situation tout en la rendant à son essence d'absurdité inquiète, comme le regret de la division entre humains et Nature, dans un air de gratuité de proposer des univers déserts pour le quidam pressé, mais ouverts à la question curieuse de ce qu'il y a là-devant, dans un dialogue restituant voix à ces beautés, de les observer sans les contraindre, de les produire sans en déranger le cours premier . Les poèmes d'Ada Limón sont piquants comme l'acide ascorbique du fruit dont elle pare son nom, non pas qu'il désigne le fruit, mais à travers le soleil qui s'y déploie, la sédimentation des cultures dans un corps et un esprit doucement rebelle, très au fait des quolibets de ce monde (sur twitter notamment), et toujours dans cette ironie inclusive qui laisse le lecteur sur le bord du même chemin que l'auteure, surpris tous d'être-là où passent cités et buildings, et de rappeler que nous ne sommes ici qu'un chemin qui s'égare, par manque d'application à une ontologie provenant, et menant au désert des animaux, au silence du végétal, auprès de l'expérience originelle, celle de la femme sans nombril dont on dit que le fleuve est la cause inaugurale, sans comment et sans âge, le destin des femmes qui ne portent pas nécessairement de naissance dans leur sillage, mais dont toute génération dépend, femmes arbres aux racines inclinées dans le sens de l'osmose de la migration, femmes singulièrement dérisoires et portées sur tout avec cette même attention légère d'une remarque ou deux, dans la fourche même de la veine, un grain supplémentaire dans le sablier de l'époque du post-post, pour un retour à l'économie de moyens, par une attention à toutes choses minuscules, jusqu'au ricanement en bonne part d'être suppléant de l'ombre portée d'une nature déjà riche de catastrophes . Las .

Ada Limón est une collectionneuse aisée de choses dites & écrites, photographiées, et contemplées d'un air taquin ; tout en resplendissant de lumière, la conversation de ce recueil, loin du piédestal, semble déjà chercher la mesure du futur lauréat, faut-il danser, faut-il rire, faut-il s'embarrasser, faut-il croire à la posture ? Et sa réponse est une longue suite de biais pris pour commenter le monde, ouvrant une vision singulière, "J'ai écrit un poème", dit-elle d'une fausse ingénuité, comme la chose la plus naturelle du monde, elle nous engage à jouer la roulette de sa kermesse permanente, d'un air d'une légère espièglerie : tout cela n'est pas très sérieux, semble-t-elle dire entre deux rires, retordant le fil barbelé de la page pour en recourber les pointes, pour que mine de rien, le dégât fut stoppé . Loin des tintouins et des trombones de la renommée, en impressionniste distraite, elle questionne tout de nos styles de vie, inventant le chemin par lequel elle entend même peut-être ne pas passer pour elle-même .

Hymne à la santé des éléments, de remarquer, d'inscrire, les écureuils et les fleurs, la sécheresse qui vient, les pluies battantes et les ouragans, par touches claires, en ne spoliant pas le spectacle d'une parole toute faite à leur gloire, mais en grattant doucement l'écorce des choses, dans une invitation à la question pour soi-même : est-il judicieux de considérer ces événements naturels comme une extension de ma raison ? Est-ce que les pissenlits sont jaunes et verts sous le ciel bleu, ou est-ce mon regard qui les colore ? L’Être humain qu'Ada Limón découvre chemin faisant, c'est un être de respect pour la condition naturelle, à commencer par soi-même de faire retour au parc pour s'en convaincre, car c'est que la poésie se trouve, une espèce renaissante, rare, souveraine et fragile, qu'il faut tenir pour seul avenir possible au département de la programmation, si nous voulons un avenir tout court, qu'il soit urgent de réenchanter ce pré .

Le livre d'Ada Limón est ainsi un carquois de tomahawks, entre missile et arme de poing, offerts comme en bouquet à la Nature pour sa défense, qualifiée telle par le titre, car les souffrants de The Hurting Kind, entre auteurs et sujets de lecture, ce sont nous les humains, dans les deux sens du participe présent douloureux et de l'épithète infortunée de la perpétration : nous nous tirons la balle dans le pied dont nous souffrons ensuite sans modération, vient-elle dire, Ada Limón, un autre chemin est possible, lumineux, gratuit et précieux, où le sourire l'emporte sur l'absurdité, le progrès sur le saccage, la félicité sur la mesure du désastre .

Le recueil est formé des quatre saisons, chaque poème représentant une rencontre avec une faune, une flore, dans le désert du jour, une invitation à saisir l'instant de réaliser, en un pensif aparté vaquant à la remarque d'une nostalgie à peine, que nous aurions failli en passant à côté de telles manifestations :

Two full cypress trees in the clearing
intertwine in a way that almost makes

them seen like one. Until, at a certain angle
from the blue blow-up pool I bought

this summer to save my life, I see it
is not one tree but two, and they are

kissing. They are kissing so tenderly
it feels rude to watch, one hand

on the other's shoulder, another
in the other's branches, like hair.

When did kissing become so
dangerous? Or was it always so?

[…]

Le commentaire de sitaudis.fr

Éditions Little, Brown Book Group, collection corsair poetry, 2022
100 p.
15,98 €




https://www.bookdepository.com/Hurting-Kind-Ada-Limon/9781472157683




 


Les autres textes de Mathieu Baret sur sitaudis :

Retour à la liste des Parutions de sitaudis