13 avril
2009
De A à X de John Berger par Ronald Klapka
De lettres il est question dans « De A à X », le dernier livre de John Berger aux éditions de l'Olivier.
Ce nouveau roman donne à toucher le présent du monde en ses tumultes, en ses points de vive douleur (Gaza comme ailleurs) et sa marche (mondialisée). Toutefois, et comme le suggère Maryline Desbiolles dans son éloquent article de la Quinzaine Littéraire (1-15 mars 2009) : l'érotique (Mon Lion-à-terre, Mi Guapo, Mi solete, Ya Nour, Mi Kanadim, Habibi, Mi Golondrino, Mon Soudeur), le chant de vie en est extraordinaire. D'ailleurs le cantique (Le Chant des chants, ô Meschonnic, - « plus par toi que pour toi ») y est explicitement appelé :
Aujourd'hui, parce que c'est mon anniversaire, je répète toute temps OUI. Je me regarde dans le miroir. Je suis debout, les cheveux détachés et je dis oui. Je me rappelle avoir lu un texte où un amant compare le haut du corps de sa bien-aimée au camphre, le milieu à l'ambre, et le bas au musc, et je dis oui. (p. 205)
C'est l'amour ici qui est chant de résistance. Et Francis Marmande a raison qui écrit, évoquant les boucles de Bashung (Le Monde, 24 mars 2009) :
Le roman le plus décisif de l'heure, De A à X en donne une idée exacte. L'amoureuse Aïda écrit à son amoureux [Xavier], qu'elle désigne à chaque lettre, il est incarcéré, d'un petit nom différent. Elle raconte le premier et dernier vol que son amoureux lui avait offert. Un vol où il lui fit passer trois loopings : "Je te donne ma version. La tienne sera différente. Tu faisais le pilote. A moi, tout m'arrivait pour la première fois - comme dans un voyage de noces." Le côté exact du récit des loopings par l'amoureuse tient à sa naïveté. Neuf pages dans le roman qui en compte 211.
John Berger et quelques lecteurs souriront de ladite naïveté - seconde, celle de l'écriture. Oui « la fille de l'air », rien de plus « décisif », c'est bien là, aux pages 64-73 - pour ceux qui voudraient feuilleter avant d'acheter et qui achèteront - même ceux qui ont lu En vivant en écrivant d'Annie Dillard (Bourgois, reparution en collection de poche Titres 2008) en son chapitre VII : les piqués d'un as de l'aviation en métaphore de l'écriture.
Le pacte de lecture est donné par l'avant-propos de l'ouvrage « Des lettres recueillies par John Berger », résumé en quatrième de couverture :
Xavier est incarcéré dans la cellule n°73 de la prison de Suse, où il purge une peine de détention à vie pour terrorisme.
Aïda est l'amante de Xavier. Elle est libre. Elle lui écrit. De A à X est l'ensemble de ces lettres, "miraculeusement" retrouvées par John Berger, et dont certaines n'ont jamais été envoyées.
Et le miracle dure : beauté de l'adresse des lettres de l'amante, notes « théoriques » de l'amant au dos de ces lettres, comme pour attester de sa réalité et de ce qui fonde sa lutte :
Dans ma cellule, je lis et je prends des notes. Là où il n'y a pas grand-chose d'autre, les mots comptent. Pour la première fois de l'histoire, on est en train de réduire l'intégralité de la planète à la simple différence - qui équivaut à une source de profit énorme - entre valeur d'usage et valeur d'échange. (p. 113)
Comme le note Camille Decisier dans le Matricule des anges (numéro de mars 2009), ces lettres sont « l'essence de la fidélité à un double idéal, dans lequel s'épousent en permanence l'amour et le politique, sans désespoir, mais sans aveuglement. »
Les magnifiques portrait du Fayoum dont l'un (Aïda ?) ouvre, et l'autre (Xavier ?) ferme le livre, sont comme un témoignage d'une vitalité qui échappe aux forces de mort, et on en trouvera de multiples exemples dans ce livre où les corps sont a priori empêchés (la prison, la menace des chars, des Humvees ou des hélicoptères Apache, la difficulté des soins -- l'héroïne est pharmacienne - etc.). Ces portraits rappellent aussi la foi en l'art, du peintre, critique d'art, scénariste (d'Alain Tanner) et de l'écrivain qui pour la rédaction de G. (sept ans) avait choisi Musil pour compagnon, et qui s'apprête à donner une traduction anglaise des poèmes de Mahmoud Darwich, car sa philosophie n'ignore ni la science ni la poésie :
« La découverte par la neurobiologie des anges que sont les ligands modifie notre perception de l'esprit. [... ] Ce qui nous entoure fait partie de la même toile unique, aussi » (p. 174).
Et c'est ainsi qu'une phrase écrite au septième siècle par Ibn Arabi :
« Dieu n'apparaît nulle part aussi parfait que dans le corps d'une femme » (p. 168)
aboutit à cette conclusion :
« La nature entière est un filtre où se lit l'intelligence qui l'a traversée. Nos corps font partie de ce filtre, et de notre corps vient l'esprit grâce auquel nous lisons l'image révélée. J'enlève mes habits pour te dire cela.
A. (p. 175)
Ce nouveau roman donne à toucher le présent du monde en ses tumultes, en ses points de vive douleur (Gaza comme ailleurs) et sa marche (mondialisée). Toutefois, et comme le suggère Maryline Desbiolles dans son éloquent article de la Quinzaine Littéraire (1-15 mars 2009) : l'érotique (Mon Lion-à-terre, Mi Guapo, Mi solete, Ya Nour, Mi Kanadim, Habibi, Mi Golondrino, Mon Soudeur), le chant de vie en est extraordinaire. D'ailleurs le cantique (Le Chant des chants, ô Meschonnic, - « plus par toi que pour toi ») y est explicitement appelé :
Aujourd'hui, parce que c'est mon anniversaire, je répète toute temps OUI. Je me regarde dans le miroir. Je suis debout, les cheveux détachés et je dis oui. Je me rappelle avoir lu un texte où un amant compare le haut du corps de sa bien-aimée au camphre, le milieu à l'ambre, et le bas au musc, et je dis oui. (p. 205)
C'est l'amour ici qui est chant de résistance. Et Francis Marmande a raison qui écrit, évoquant les boucles de Bashung (Le Monde, 24 mars 2009) :
Le roman le plus décisif de l'heure, De A à X en donne une idée exacte. L'amoureuse Aïda écrit à son amoureux [Xavier], qu'elle désigne à chaque lettre, il est incarcéré, d'un petit nom différent. Elle raconte le premier et dernier vol que son amoureux lui avait offert. Un vol où il lui fit passer trois loopings : "Je te donne ma version. La tienne sera différente. Tu faisais le pilote. A moi, tout m'arrivait pour la première fois - comme dans un voyage de noces." Le côté exact du récit des loopings par l'amoureuse tient à sa naïveté. Neuf pages dans le roman qui en compte 211.
John Berger et quelques lecteurs souriront de ladite naïveté - seconde, celle de l'écriture. Oui « la fille de l'air », rien de plus « décisif », c'est bien là, aux pages 64-73 - pour ceux qui voudraient feuilleter avant d'acheter et qui achèteront - même ceux qui ont lu En vivant en écrivant d'Annie Dillard (Bourgois, reparution en collection de poche Titres 2008) en son chapitre VII : les piqués d'un as de l'aviation en métaphore de l'écriture.
Le pacte de lecture est donné par l'avant-propos de l'ouvrage « Des lettres recueillies par John Berger », résumé en quatrième de couverture :
Xavier est incarcéré dans la cellule n°73 de la prison de Suse, où il purge une peine de détention à vie pour terrorisme.
Aïda est l'amante de Xavier. Elle est libre. Elle lui écrit. De A à X est l'ensemble de ces lettres, "miraculeusement" retrouvées par John Berger, et dont certaines n'ont jamais été envoyées.
Et le miracle dure : beauté de l'adresse des lettres de l'amante, notes « théoriques » de l'amant au dos de ces lettres, comme pour attester de sa réalité et de ce qui fonde sa lutte :
Dans ma cellule, je lis et je prends des notes. Là où il n'y a pas grand-chose d'autre, les mots comptent. Pour la première fois de l'histoire, on est en train de réduire l'intégralité de la planète à la simple différence - qui équivaut à une source de profit énorme - entre valeur d'usage et valeur d'échange. (p. 113)
Comme le note Camille Decisier dans le Matricule des anges (numéro de mars 2009), ces lettres sont « l'essence de la fidélité à un double idéal, dans lequel s'épousent en permanence l'amour et le politique, sans désespoir, mais sans aveuglement. »
Les magnifiques portrait du Fayoum dont l'un (Aïda ?) ouvre, et l'autre (Xavier ?) ferme le livre, sont comme un témoignage d'une vitalité qui échappe aux forces de mort, et on en trouvera de multiples exemples dans ce livre où les corps sont a priori empêchés (la prison, la menace des chars, des Humvees ou des hélicoptères Apache, la difficulté des soins -- l'héroïne est pharmacienne - etc.). Ces portraits rappellent aussi la foi en l'art, du peintre, critique d'art, scénariste (d'Alain Tanner) et de l'écrivain qui pour la rédaction de G. (sept ans) avait choisi Musil pour compagnon, et qui s'apprête à donner une traduction anglaise des poèmes de Mahmoud Darwich, car sa philosophie n'ignore ni la science ni la poésie :
« La découverte par la neurobiologie des anges que sont les ligands modifie notre perception de l'esprit. [... ] Ce qui nous entoure fait partie de la même toile unique, aussi » (p. 174).
Et c'est ainsi qu'une phrase écrite au septième siècle par Ibn Arabi :
« Dieu n'apparaît nulle part aussi parfait que dans le corps d'une femme » (p. 168)
aboutit à cette conclusion :
« La nature entière est un filtre où se lit l'intelligence qui l'a traversée. Nos corps font partie de ce filtre, et de notre corps vient l'esprit grâce auquel nous lisons l'image révélée. J'enlève mes habits pour te dire cela.
A. (p. 175)