05 juin
2007
Christian Prigent Prix Louis Guilloux 2007 pour "Demain je meurs" par Ronald Klapka
Le prix Louis Guilloux 2007 du conseil général des Côtes d'Armor, a été attribué à Christian Prigent pour Demain je meurs (éditions POL). Nul doute que le jury aura été séduit outre l'excellence de l'écriture et la dimension humaniste de l'œuvre -selon les critères de son jury- par la proximité de l'auteur aux acteurs du récit.
Si au premier chef s'y rencontre sous les traits d'Aimé, la figure d'Edouard Prigent, le père de l'auteur, figure en vue de Saint-Brieuc dont il aura été le maire, on y croise également celle de Louis Guilloux, un ami proche. Faire surgir ces deux noms c'est aussi évoquer des conflits idéologiques d'époque (années 50) :
Ces hommes-là, ton père, ceux autour de lui dans leur société d'amis-ennemis de la Société, bien vrai qu'ils savaient, ou croyaient savoir, où va la parole. Ce qu'elle peut nommer, amis, ennemis, sans flou ramollo ni arguties de distinguos. Ce qu'elle doit porter. Ce qu'elle peut briser. Ce sur quoi elle cogne. Comment elle traverse, renverse, ouvre, appelle et creuse l'espace par cet appel. Ce qu'elle peut changer. Ce dont ils pensaient qu'elle peut le changer. Ce dont ils ont cru que ça donnerait parole aux manants. Rebelles à ce monde. Mais armés aussi d'une arme de pensée pour savoir pourquoi ils le refusaient, quel autre ils voulaient et de quels moyens on peut disposer pour qu'il nous advienne. Qui reçut la chance de savoir, il peut. (p. 177)
Cette dimension du livre n'est en rien négligeable. Pour autant on n'aura pas manqué de remarquer la nature du flux de paroles de Blivet (« Blivet, le mutin, il a pris tangente dès 39 à cause que le Molotov, il signa le pacte avec les fachos ».), discours à l'adresse du narrateur, qui va se jeter dans le « stream of consciousness » de ce dernier et s'y épanouir de la manière qui suit :
Confesse, enfant du siècle! : rien de ce qui devait être ne sera; tout ce qui était ne cesse de revenir; ne cherchez pas ailleurs la source de nos maux. Et à qui on va parler, nous qui croyons plus, ou pas assez fort? Et de quoi parler? Et pourquoi causer? Et on va faire quoi, de nos dix doigts et des excellences de nos cogités, dans les manigances de la société? [... ] N'être que reflets de la marchandise acquise ou rêvée avec du surplus partout en breloques de machines pour rien machiner d'utile? Sacrifier bêtes grasses et rouler du cul sous rythmé cantique de mercatique? Vivre en homme-sandwich de logos partout? Adorer bagnole et génuflexer en stand électroménager? Blablater du rien en fil ou sans-fil toujours à la patte pour se croire mobile et tissé sans cesse au tissu du monde? Goinfrer des images pour toucher à rien en vrai sauf virtuel ? (p. 178)
Voilà, dirait son ami Castanet (Ne me faites pas dire ce que je n'écris pas, Cadex, 2004), qui fait effet de réel, effet de vérité. A quoi Prigent ajoute qu'il y a là : « cette danse réglée des signifiants pour faire un peu bouger, jouer et béer la prison symbolique, et faire surgir phénoménalement un monde » - là est la (petite mais insistante) puissance qui, sans doute, fait que la poésie tente (qu'elle existe). Elle tente peu d'hommes certes. Mais où a-t-on vu que beaucoup d'hommes aimaient la vérité et la liberté ? » (pp. 18-19)
Aussi, si avec ce livre, Prigent n'a pas dédaigné ce que « le roman (au moins la narration) permet de brasser du temps complexe de nos vies intimes et des foudres de l'Histoire », il l'a fait, on l'a lu et souvent à voix haute, comme le poète que l'on sait. Aussi ce prix Louis Guilloux est-il un beau salut à la mémoire de celui qui s'exclamait à l'époque où le jeune Prigent portait l'obligatoire tignasse longue du soixante-huitard orthodoxe et la barbe embryonnaire et pelée de rebelle dostoëvskien pour rire : « Dire que le fils d'Edouard Prigent est devenu un intellectuel rare ! » (in Europe, Littérature de Bretagne, mai 2005, pp. 8-11)
Si au premier chef s'y rencontre sous les traits d'Aimé, la figure d'Edouard Prigent, le père de l'auteur, figure en vue de Saint-Brieuc dont il aura été le maire, on y croise également celle de Louis Guilloux, un ami proche. Faire surgir ces deux noms c'est aussi évoquer des conflits idéologiques d'époque (années 50) :
Ces hommes-là, ton père, ceux autour de lui dans leur société d'amis-ennemis de la Société, bien vrai qu'ils savaient, ou croyaient savoir, où va la parole. Ce qu'elle peut nommer, amis, ennemis, sans flou ramollo ni arguties de distinguos. Ce qu'elle doit porter. Ce qu'elle peut briser. Ce sur quoi elle cogne. Comment elle traverse, renverse, ouvre, appelle et creuse l'espace par cet appel. Ce qu'elle peut changer. Ce dont ils pensaient qu'elle peut le changer. Ce dont ils ont cru que ça donnerait parole aux manants. Rebelles à ce monde. Mais armés aussi d'une arme de pensée pour savoir pourquoi ils le refusaient, quel autre ils voulaient et de quels moyens on peut disposer pour qu'il nous advienne. Qui reçut la chance de savoir, il peut. (p. 177)
Cette dimension du livre n'est en rien négligeable. Pour autant on n'aura pas manqué de remarquer la nature du flux de paroles de Blivet (« Blivet, le mutin, il a pris tangente dès 39 à cause que le Molotov, il signa le pacte avec les fachos ».), discours à l'adresse du narrateur, qui va se jeter dans le « stream of consciousness » de ce dernier et s'y épanouir de la manière qui suit :
Confesse, enfant du siècle! : rien de ce qui devait être ne sera; tout ce qui était ne cesse de revenir; ne cherchez pas ailleurs la source de nos maux. Et à qui on va parler, nous qui croyons plus, ou pas assez fort? Et de quoi parler? Et pourquoi causer? Et on va faire quoi, de nos dix doigts et des excellences de nos cogités, dans les manigances de la société? [... ] N'être que reflets de la marchandise acquise ou rêvée avec du surplus partout en breloques de machines pour rien machiner d'utile? Sacrifier bêtes grasses et rouler du cul sous rythmé cantique de mercatique? Vivre en homme-sandwich de logos partout? Adorer bagnole et génuflexer en stand électroménager? Blablater du rien en fil ou sans-fil toujours à la patte pour se croire mobile et tissé sans cesse au tissu du monde? Goinfrer des images pour toucher à rien en vrai sauf virtuel ? (p. 178)
Voilà, dirait son ami Castanet (Ne me faites pas dire ce que je n'écris pas, Cadex, 2004), qui fait effet de réel, effet de vérité. A quoi Prigent ajoute qu'il y a là : « cette danse réglée des signifiants pour faire un peu bouger, jouer et béer la prison symbolique, et faire surgir phénoménalement un monde » - là est la (petite mais insistante) puissance qui, sans doute, fait que la poésie tente (qu'elle existe). Elle tente peu d'hommes certes. Mais où a-t-on vu que beaucoup d'hommes aimaient la vérité et la liberté ? » (pp. 18-19)
Aussi, si avec ce livre, Prigent n'a pas dédaigné ce que « le roman (au moins la narration) permet de brasser du temps complexe de nos vies intimes et des foudres de l'Histoire », il l'a fait, on l'a lu et souvent à voix haute, comme le poète que l'on sait. Aussi ce prix Louis Guilloux est-il un beau salut à la mémoire de celui qui s'exclamait à l'époque où le jeune Prigent portait l'obligatoire tignasse longue du soixante-huitard orthodoxe et la barbe embryonnaire et pelée de rebelle dostoëvskien pour rire : « Dire que le fils d'Edouard Prigent est devenu un intellectuel rare ! » (in Europe, Littérature de Bretagne, mai 2005, pp. 8-11)