Éric Sautou, C'est à peine s'il pleut par Olivier Vossot

Les Parutions

16 déc.
2021

Éric Sautou, C'est à peine s'il pleut par Olivier Vossot

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Éric Sautou, C'est à peine s'il pleut

 

À lire les deux derniers livres d’Éric Sautou, parus conjointement aux éditions Faï Fioc, et à y regarder miroiter ces sortes de poèmes comme de petits éclats coupés – ridules rêveusement, nerveusement découpées dans la mer, on repense à ce recueil extraordinaire, Une infinie précaution (Flammarion, 2016), qui abrite à lui seul tout l’éventail de formes courtes auxquelles l’écriture, singulière, s’est aiguisée, avec une beauté et une intensité qu’aucune relecture n’épuise.

Dans C’est à peine s’il pleut, nous sommes en bord de mer : baie, plages reviennent comme les vagues, mais aussi le jardin, le village, la mer assourdissante, qui enveloppe ou laisse inexorablement seul et démuni : « rien de plus seul au monde il n’y a plus rien » ; « vivre est le plus lointain je me sens le plus seul ». Partout s’insinue le bruit des rouleaux, silence le plus profond (« c’est le / rien que / ce bruit / des vagues » lit-on aussi dans Son enfance) et dans le flot cadencé de ces bris de textes, C’est à peine s’il pleut, long poème séquencé, devient une complainte – sorte de thrène maritime – ou une prière, celle de « laisser être » – adressée aux disparus comme à soi-même : « laisse / laisse / laisse respirer » (p.13). On pense alors à la citation de Peter Handke sur laquelle s’achevait un précédent recueil, Les jours viendront (paru en 2019, également chez Faï Fioc) : « Laisse laisse laisse laisse… : prière de vie comme de mort ».

C’est à peine s’il pleut est l’état des lieux d’un retour – qui se voudrait peut-être le dernier. Là, comme les vagues, échouent par bribes les souvenirs – de deux êtres jamais nommés sans qui, ni avec qui, rien ni personne ne pouvait advenir : « ce que j’ai fait je me suis séparé » ; « je quitte le bord où tu n’es plus la mer revient sans cesse / j’écris ma vie s’efface il ne me reste rien ». C’est aussi dans ce livre le deuil (du sens) des mots pour le dire : « ce que j’essaie avec les mots je n’y arrive pas » ; « […] des mots qui n’ont rien dit / les vagues ». La dédicace, à elle seule, semble donner à visualiser le nœud d’un drame silencieux : à mon père, à ma mère figurent chacun à une extrémité de la même ligne ; entre, le vide, est à rejoindre et de toujours attend : l’enfant effacé, l’amour, « les longues années / de quelques jours », les mots, la mer, les vagues, « le souvenir de toi » ne conduisent qu’au sable : « (le sable / où s’en aller) », « les plages après la vie ». A intervalles réguliers, un vers crève la page et est au bord de dire ce blanc initialement laissé : 

 

« à ne pas savoir qui je suis ni pour qui » (p.31)
« (il y a / l’enfant qui n’est pas là) » (SE, p.25)

 

Mezza voce de bout en bout, le lyrisme ici, ténu mais entier, bouleverse : la justesse, du rythme, des effets de reprises, de la psalmodie instaure une proximité étonnante. L’émotion à la fois est nue et se cherche : « est-ce la mer ou bien moi-même » ; « oh entendre les vagues les vagues (quelqu’un d’autre que soi) » ; « la mer où reprendre où perdre pied c’était un nom / mais sans visage désormais ».

Son enfance, livre jumeau de C’est à peine s’il pleut, dit dans le même temps « l’enfance d’écrire » (y sont reprisés d’anciens textes), mais il naît aussi du constat de l’entrave des mots pour tout dire – et de la nécessité de ne pas vouloir dire. Les textes, lapidaires, sont des ricochets mangés par la mer, « de petits grelots dans la main (des chansons minuscules) » (SE, p.51), ou de légers sautillements d’enfant qui s’écrit – une marelle à la craie blanche jetée sur un gouffre : « cœur battant serait le mien (le tien) » ; « je me penche et je tombe je vais je veux tomber » ; « ma peur c’est ma vie » (SE).

Peut-être le chemin n’est-il pas d’aller comme vont les vagues, mais de descendre (« je vous entends et je descends ») avec elles, en soi-même, surprendre au fond l’enfant les yeux levés et voir à travers lui qu’« aujourd’hui est un ciel » – que « maintenant la tristesse en a assez d’écrire » (SE). Enfants nous vivons dans les voix (« les vagues les vagues / les vagues ou bien les voix »), leurs nappes, ne comprenons pas ce qui se dit autour de nous mais nous cernons les voix comme elles nous cernent, nous blottissons en elles, nions leur étrangeté, leur dureté, leur cruauté, leur amour lui-même faux et dupé, car sans elles nous ne pouvons vivre. La poésie d’Éric Sautou restitue ce flux de voix perdues, ces cercles où disparaître, ces vagues de chaleur froide (« revenir à la mer y entendre sa voix / pas plus / qu’une ombre déjà fuie »), faisant presque mine de ne pas (faire) entendre ce que les mots disent : « […] le vent ce n’est plus rien / que des paroles dites / sans beaucoup y penser » .

Mais c’est alors, et même enfin, que tout se laisse entendre : « (je n’écoute plus j’écoute) » (SE). Et cette onde insistante (sa rumeur tantôt rugueuse, tantôt assoupie) est l’ombre de l’énorme sentiment qui nous frôle enfin et aussitôt se relâche, s’écarte de nous, à temps, encore et encore – vagues égales, murmurantes, tristes et douces à mourir. À temps, elles ne laissent déferler, ni s’infiltrer la souffrance – au contraire, elles forment un baume, le bercement qui nous a manqué et dont enfin peut naître le sommeil : « le sable / de ton nom ton visage / bien sûr les vagues les visages nous nous endormirons ».

Par peur la vie s’était arrêtée. Le grand bouleversement « n’a pas eu lieu » – stoppés net, nous n’avons pas eu lieu. Mais quelque chose de vrai, rendu là friable, s’est dissous et ne cesse d’aller et venir dans le sillage des mots : « […] ne dit-on pas plutôt avec ces riens que les mots jamais ne disent ? » (SE). Ils filtrent un silence jusque-là béant et vorace – « silence (silence) » comme un bruit enfin qu’on peut entendre – d’entre les vagues (« les mots sont séparés », SE). La vérité sans cela, l’intime, la nôtre, n’a pas de mots – et nous ne pouvons en entendre plus que nous ne pourrions en supporter. Alors, et alors seulement, c’est à peine s’il pleut et cela suffit pour entendre. 

 

« alors je vous entends je vous entends
je vous entends et je descends
 » (p.44)

 

 

(*) Sans autre précision, les citations sont extraites de C’est à peine s’il pleut. Celles suivies de l’abréviation SE sont tirées de Son enfance.

 

 

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