Guide de la poésie galactique de Sammy Sapin par Jean-Baptiste Happe
Un Guide de la poésie galactique : enfin ! Depuis le temps que les auteurs nous inondent de recueils du terroir et de romans de pays, nous avions fichtrement besoin de changer un peu de galaxie. Il devient aujourd’hui possible, grâce à Sammy Sapin et aux éditions Gros textes, de s’orienter dans le foutoir sidéral de la création de l’autre côté de l’univers.
Puisqu’il y a non seulement poésie mais narration, et que cela fonctionne au poil, voici l’histoire : le poète Sapin, au sommet de sa gloire terrestre, veuf, blasé, repu d’honneurs et de publications en Pléiade, choisit de se faire cryogéniser, maintenant que la technique fonctionne. Il se réveille quelques siècles plus tard ; les repères ont changé (plus personne ne connaît de poète Sapin), il se retrouve naviguant dans l’espace à bord d’un « vaisseau de bataille de classe III », avec une furieuse envie de whisky et d’aventures.
Bigre, il serait donc possible d’écrire une œuvre de poésie piquante à chaque page, étonnante, énergique, complètement détachée des canons du jour ? possible d’être poète et drôle et léger et ambitieux sur la forme et le fond ? Sammy Sapin réalise cela en :
a – ne proposant strictement aucun calembour (poésie et calembour = langue de bœuf bègue dans lit de graisse d’oie refroidie)
b – introspectant au lance-flamme les ressorts profonds de l’écriture poétique (Quelle foutue trace laissons-nous dans l’univers ? quelle foutue langue parler avec les martiens ? Avec soi-même ? comment renaître sans alcool fort ?)
c – faisant montre d’une gourmandise non seulement parodique mais joyeusement rabelaisienne dans son inventivité, sa générosité verbales ; le futur est tout ouvert, là, devant nous : on se demande pourquoi les poètes ne le fréquentent que peu et ne le décrivent pas davantage : il y a tout à y inventer, à y détruire et y reconstruire et Sapin ne se prive de rien. Nulle part ailleurs, à ma connaissance, vous n’aurez de description mieux informée de l’accouplement émouvant d’un être humain avec un poulpe d’origine helvétique et nommé Priscilla (« cette bouche aux exquises mandibules cornées, cette bouche comme un bec me saisissant les intestins, les déroulant, se moquant des éjaculats, du sang, du mucus, répandant tout, mélangeant, amalgamant […] tandis que les yeux d’ombre magnétique m’emmènent dans les profondeurs, au plus bas des gouffres, parmi les ténèbres avides, jusqu’à l’encre primordiale et génésique […] ») . De même les paysages cosmiques sont souvent somptueux et captés avec plus de vraisemblance et d’émotions que pour beaucoup de nos fastidieuses cambrousses à rimeurs crépusculaires. Voyez plutôt :
une géante rouge cannibalise une planète ridée
grise, pâle comme une momie […]
la tracte dans le four
de sa matrice irradiée, l’englue
de sa bave placentaire écarlate, la décompose
la broie, la dévore – on croit
presque entendre
des cris moribonds, des souffles haletants
une prière sans espoir
Ce Guide de la poésie galactique est issu d’une série de notes publiées sur le site de Sammy Sapin (http://sammysapin.blogspot.fr/). Il convient de souligner combien la publication en livre était ici une nécessité : là où le blog émiettait le texte, le livre restitue la force, la continuité et le goût de l’ensemble. Les supports ne se décalquent pas, chacun garde sa raison d’être.
Poésie et science-fiction : quiconque a vu Charles Pennequin faire dialoguer une maman martienne avec son fils en mission sur terre sait que le mélange est explosif. Sammy Sapin le prouve de nouveau. L’enthousiasme que provoque ce livre persiste longtemps : j’y pressens un plaisir d’écriture puissamment communicatif, qui permet de le lire comme on dévore une BD ; promesse d’une poésie inventive, sensible sans posture, légère sans niaiserie, traversée de culture populaire. Une poésie simplement vivante, qui boit, qui rote et traverse l’espace-temps en éparpillant les solennités quelquefois compassées de la littérature sérieuse aux quatre coins de la galaxie. La seule question sérieuse serait peut-être celle-ci : comment prouver, en la tordant, que la poésie vit encore, plus que jamais, en milieu ouvert (et l’univers est béant) ? Celle-ci jubile, à dos d’astéroïde.