Johannes, Hermann de Philippe Clerc par Guillaume Decourt
Philippe Clerc n’est pas américain. Il n’est pas pornographe et ne mendie pas dans les rues de Paris. Je reprends pourtant les mots de Blaise Cendrars – à propos de Tropique du Cancer d’Henry Miller – et les applique à ce Johannes, Hermann : « Livre royal, livre atroce, exactement le genre de livres que j’aime le plus. »
Macha est autoritaire
Dès que je la vois, je vais lui dire
qu’elle et Marjolaine
me prennent la vie
Point gris sur les ailes
l’oiseau casse-tête
l’oiseau bec jaune à ses trousses
« Permet que je dépasse »
*
La mère dit à son fils
« Tu crois que le paradis est
un endroit où il n’y a personne ? »
Une jeune fille s’entiche de Marie-Lou
Il est des égarements qui se révèlent salvateurs. Johannes, Hermann, sous l’égide desquels cette épopée se débobine : qui sont-ils ? On ne nous l’enseignera pas. Loin des coteries où certains prennent un plaisir onaniste à « travailler » la langue, à la distordre quand on se doit de l’épouser, Philippe Clerc semble ne ressembler qu’à lui-même ; je songe aux mots de Frédéric Musso : « Tu peux avoir peur. Il n’y a jamais rien eu à dire. Rien. » Philippe Clerc incarne ce « rien » dans ces quatrains sans apprêt :
Mardi, la vie en France
Nuages choisis
Madame V. trouve son fils
Caché sous la table
*
10 août, Paula prend le train
peur du départ
peur du corps percé de coups
ces cris, ces pleurs
La boutique est près de la mer
Avant le lever du soleil
Jeanne repasse chemises et rubans
chez Tania, rue du Canada
Paroles inaccoutumées ; fresque laconique mais démesurée ; gigantesque inventaire sensible qui défie gaiement le répertoriage. L’anecdotique est monté à cru. Je songe aux calendriers d’hiver réalisés par les Indiens des Plaines pour archiver à l’aide de cryptogrammes et de dessins les événements d’une année, de « la première neige à la dernière neige ». Fait-divers, notes tenues que Philippe Clerc prolonge jusqu’à l’extinction complète du souffle, dans un nasillement lyrique et pincé, timbre d’un instrument à cordes venteuses.
Dieppe ; Albert, Henri, Guy (qui se plaint du voisinage), Vincent le Rouge, Yves, Alix (dont l’ombre est vilaine), Hortense, Mers-les-Bains ; Georges (qui nomme Jim tous les Anglais), le café de Rouen ; Yvonne (qui raconte une histoire), Madame K. (qui se promène avec sa bru), Menton ; Véronica Neiper (à qui l’on dit adieu), Michel (dont on se débarrasse car il empêche de revoir François), Paris 1er arrondissement ; P. (qui montre à Faustine une montgolfière), le hall de l’hôtel Meurice ; Henri – de nouveau – (qui se plaint depuis une semaine), Nadine (qui promène King, petit chien, genre épagneul), Thomas (qui se complique l’existence), Clara (qui parle anglais aux écureils)…
On en ressort bienheureux tout autant qu’effrayé :
Un mardi plein d’espoir
Marc boit un verre d’eau froide
où vivent alevins
et autres fretins