Du voyage et de l'illusion par Guillaume Decourt
C’est l’hiver. On se retrouve en Chine seul et sans le sou ; après quatorze heures de voyage en train sur des banquettes inconfortables on se délasse emmitouflé dans sa doudoune et grelotant sur le rempart de Xi’an - du côté de la porte Sud - en grignotant des xiaochi (petites bouchées) refroidies. On contemple ému la tour de la Cloche et la tour du Tambour. On se demande si le bonheur ne consiste pas à s’apercevoir que tout est un grand rêve étrange. A droite c’est le quartier Hui (ethnie musulmane chinoise) et l’on distingue le minaret de la grande mosquée dont la pointe perce le smog comme une javeline. Exotisme du musulman bridé qui porte le tarbouche. Le muezzin balbutie l’appel à la prière en un arabe tonal. On a perdu son plan et ses adresses en transcription pinyin. Langage des signes. Où dormir ? Où manger ? Un voyage réussi c’est toujours un voyage à budget modeste dans la mystique de la route. « Rester debout au coin de la rue sans attendre personne, c’est cela la puissance » d’après Gregory Corso. Mystique teintée d’expiation et d’humilité chrétienne. Il faut souffrir et se démunir sur le chemin. Demain, les jambes lourdes et les doigts gourds on ira se promener dans la forêt de Stèles pour rendre hommage à Segalen. On essaiera de contourner la madrague d’un troupeau de visiteurs et de son cicérone à drapeau. On ne songera qu’en dernier recours au Tao :
Sans franchir sa porte connaître le monde entier !
Sans regarder par la fenêtre voir le Tao céleste !
Plus on va loin moins on connaît.
C’est pourquoi le saint connaît sans bouger,
Identifie sans voir, accomplit sans faire.
Janvier 2020.