TOUT EST PAYSAGE, Stéphane Lambert par Antoine Bertot

Les Parutions

24 mars
2021

TOUT EST PAYSAGE, Stéphane Lambert par Antoine Bertot

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TPUT EST PAYSAGE, Stéphane Lambert

          L'essai de Stéphane Lambert réunit des textes d'origines diverses. « L'adieu au paysage », consacré aux Nymphéas de Monet, avait été publié aux éditions de La Différence ; les autres textes, plus courts, ont paru en revues, en catalogue d'exposition ou en plaquette. À cette hétérogénéité s'adjoint celle des artistes dont il est question (Monet, Twombly, Klee, Tàpies, Muši?, Mondrian, Morandi, Staël). À s'en tenir au titre et à ces noms, il peut être difficile, de prime abord, de comprendre comment le paysage les réunit. Cependant, on retrouve, de texte en texte, une même méthode qui ne présuppose pas l'évidence d'un face à face avec l'œuvre, mais une mise au jour progressive de ce qui la rend si essentielle. Les tableaux, en effet, ne se résolvent pas dans le propos de Stéphane Lambert qui cherche plus à s'approcher sensiblement de la matière picturale et de sa résistance, qu'à lui donner un sens définitif.

           Ainsi l'essayiste retrace-t-il souvent son trajet vers l'œuvre, sa marche à travers les Tuileries vers l'Orangerie et les salles des Nymphéas, ou à travers Barcelone, du MacBa à la Fundaciò Tàpies. Il décrit aussi sa déambulation au sein de la Menil Collection à Houston pour découvrir Treatrise on the Veil de Twombly. Lorsqu'il ne se dirige pas vers les tableaux, Stéphane Lambert tente d'aller vers les artistes eux-mêmes, là où ils vécurent. Par cette imprégnation des paysages intimes des peintres, l'auteur semble entrevoir quelque chose de leur peinture : pour Muši?, par exemple, le nom de sa ville natale, Görz, signifiant « petite colline », entre en écho avec un motif essentiel de son œuvre, rêveusement justifié par la toponymie.

          Les réflexions se font donc par l'intermédiaire des lieux, en chemin. Ce n'est pas simplement ancrer l'écriture dans la circonstance de la rencontre avec tel tableau ou telle installation, c'est aussi et surtout que la déambulation donne toute son importance au souci principal de l'essayiste : s'approcher de l'œuvre et de son atelier, du lieu où elle s'élabore (l'atelier de Twombly à Gaeta par exemple) et où elle vibre encore du geste de création (les tableaux à proprement parler). En l'occurrence, lorsqu'il vient au plus près d'un panneau des Nymphéas, Stéphane Lambert semble retrouver l'impression du « corps à corps sensuel d'un peintre avec la matière » et mieux cerner le « toucher du peintre » pour entrevoir la liaison de la pensée et de la matière, comme leur commune transformation. Notons d'ailleurs que la mise en page du livre rend sensible, à chaque début de chapitre, cet attrait du lieu et du geste : les reproductions d'œuvres et parfois de la salle qui les accueille, sont accompagnées de photographies de l'artiste dans son atelier.

           Ces chemins ne mènent pas uniquement vers l'œuvre, mais, avec elle, se poursuivent au-delà. À la fin du chapitre « L'humeur des murs », consacré à Tàpies, Stéphane Lambert écrit : « Je ne voyais pas la mer mais je savais dans quelle direction marcher pour la rejoindre. » Le trajet s'étend en dehors du tableau, vers la ville et la vie. Le regard est inachevable, sans doute parce que l'œuvre n'a pas de fin non plus (« l'art toujours inachevé de Tàpies »). L'essayiste s'attelle en effet à rendre compte autant de l'obstination de l'artiste (Monet « reprenant chaque matin sa corvée, et chaque soir se désolant de l'inabouti », Morandi et son « geste obstiné » à toujours peindre les mêmes objets...) que de celle du regardeur qui doit revenir toujours à ce qu'il voit pour pénétrer le silence de la vue et du tableau : « l'œuvre se tenait là, dans son silence étale, devant mes yeux, indifférente à mes ruminations ».

           Écrire sur une œuvre nécessite alors de ne pas étouffer l'incompréhension première (à propos des sculptures blanches de Twombly, par exemple : « j'avais été incapable, peut-être à cause du choc avec cette œuvre nouvelle, de voir au-delà de l'insignifiance du matériau »), ni les questions qui en naissent, prémisses et assises de la pensée (la plus abrupte d'entre elles étant sans doute celle-ci, à propos des tableaux de Morandi : « Qui – et pourquoi ! et comment ! – a peint cela ? »). Les œuvres, certes n'y répondent pas. Restent des « signaux », « rature, fossile-graffiti, graffiti-hiéroglyphe », cet « agglomérat de traces » ou encore ce « chiffre de l'infini » qui, au sein des tableaux, laissent percevoir un élan de composition. C'est cela que tentent de cerner ces textes en compagnie de ces diverses œuvres. Ce vertige, où tout semble se perdre et se formuler pourtant, définit le paysage : dans son introduction, en effet, Stéphane Lambert précise que, dans le contexte d'un « après-paysage », ce qui demeure de lui est une « quête d'une unité perdue » et un « dépassement » de la « dévastation » qui hanta notre vingtième siècle. Le dépassement en question n'est alors pas abstraction ni oubli de la matière, mais travail de celle-ci, toute ruinée fût-elle, pour que se dévoilent, furtivement parfois, ses teintes et vibrations diverses.

 

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