11 déc.
2001
Cadeaux en ligne!
Voici le début (inédit et exclusif) d'une interview de Christian Prigent par le directeur de la revue "Il Particolare" (et néanmoins psychanalyste éminent!) ; en guise de cadeau de fin d'année, nous nous engageons à expédier l'intégralité de ce document centré sur l'aventure de TXT à tous les internautes qui en feront la demande!
Hervé Castanet :
Vous êtes relativement critique sur ces années 1970 qui virent s'épanouir, en poésie et en peinure, des avant-gardes fortes aux propos affirmatifs. Vous parlez même de votre “honte”. Auriez-vous renoncé, désabusé, aux positions tranchées pour laisser libre cours au désarroi, à la “perplexité” subjectifs et isolés ?
Christian Prigent : La première réaction serait de dire : ça suffit ! Pourquoi, encore une fois, revenir sur ces années ? Beaucoup de choses se sont passées depuis, des textes se sont écrits, des analyses se sont formulées - qui, je l'espère, les mettent à bonne distance. Pourtant je vois bien que c'est inévitable. La critique de ce qui s'est pensé et fait à la charnière des années 60 et 70 sur le terrain de la politique, des mœurs et des expériences artistiques est aujourd'hui devenu un sport collectif. Ce sport est brutal. C'est de vengeance plus que de critique qu'il s'agit le plus souvent. Pas vraiment étonnant : triomphe de l'idéologie libérale, retours à l'ordre moral, déni des questions que soulève l'activité artistique dans ce qu'elle a de plus rétif à l'uniformisation mercantile et spectaculaire - ce sont des traits de l'époque. Elle ne peut que vouloir liquider ce qui lui apparaît comme sa mauvaise conscience : une épine dans son pied - dont, heureusement pour nous, pas mal de mouvements politiques récents, pas mal de débats éthiques, pas mal de travaux artistiques ravivent la douleur. Il y a une réflexion sociologique et politique active sur ces questions. Premier point : je suis de ceux qui pensent qu'il faut de toutes ses forces résister à la liquidation, dans tous les domaines - parce qu'elle va dans le sens de l'aliénation et de la déshumanisation.Deuxième point : il va de soi que cette résistance ne peut se contenter d'une nostalgie du temps des “avant-gardes”. Depuis, les perspectives “révolutionnaires” se sont bouchées, la foi charbonnière dans les pouvoirs d'intervention de l'activité artistique s'est défaite, le positivisme enthousiaste (linguistique, sémiotique, psychanalytique) s'est largement figé en vulgate. Ce qui veut dire, pour ce qui me concerne, qu'une bonne part de ce que j'ai pensé et écrit dans les années où j'ai commencé à intervenir publiquement, je le lis aujourd'hui comme naïveté fourvoyée. On peut tenter de se donner les moyens de penser ces fourvoiements. Voire peut-être de les relever dialectiquement. En relisant les textes et en regardant les œuvres évoluer. Et en les confrontant à ce qui apparaît de nouveau - qui en périme certains attendus, qui en éclaire d'autres d'un jour rafraîchi, qui en relance les questionnements. Je ne passe pas mon temps à cela, heureusement. Je m'y suis essayé, cependant. Dans Ceux qui merdRent et dans Salut les modernes, par exemple.
Hervé Castanet :
Vous êtes relativement critique sur ces années 1970 qui virent s'épanouir, en poésie et en peinure, des avant-gardes fortes aux propos affirmatifs. Vous parlez même de votre “honte”. Auriez-vous renoncé, désabusé, aux positions tranchées pour laisser libre cours au désarroi, à la “perplexité” subjectifs et isolés ?
Christian Prigent : La première réaction serait de dire : ça suffit ! Pourquoi, encore une fois, revenir sur ces années ? Beaucoup de choses se sont passées depuis, des textes se sont écrits, des analyses se sont formulées - qui, je l'espère, les mettent à bonne distance. Pourtant je vois bien que c'est inévitable. La critique de ce qui s'est pensé et fait à la charnière des années 60 et 70 sur le terrain de la politique, des mœurs et des expériences artistiques est aujourd'hui devenu un sport collectif. Ce sport est brutal. C'est de vengeance plus que de critique qu'il s'agit le plus souvent. Pas vraiment étonnant : triomphe de l'idéologie libérale, retours à l'ordre moral, déni des questions que soulève l'activité artistique dans ce qu'elle a de plus rétif à l'uniformisation mercantile et spectaculaire - ce sont des traits de l'époque. Elle ne peut que vouloir liquider ce qui lui apparaît comme sa mauvaise conscience : une épine dans son pied - dont, heureusement pour nous, pas mal de mouvements politiques récents, pas mal de débats éthiques, pas mal de travaux artistiques ravivent la douleur. Il y a une réflexion sociologique et politique active sur ces questions. Premier point : je suis de ceux qui pensent qu'il faut de toutes ses forces résister à la liquidation, dans tous les domaines - parce qu'elle va dans le sens de l'aliénation et de la déshumanisation.Deuxième point : il va de soi que cette résistance ne peut se contenter d'une nostalgie du temps des “avant-gardes”. Depuis, les perspectives “révolutionnaires” se sont bouchées, la foi charbonnière dans les pouvoirs d'intervention de l'activité artistique s'est défaite, le positivisme enthousiaste (linguistique, sémiotique, psychanalytique) s'est largement figé en vulgate. Ce qui veut dire, pour ce qui me concerne, qu'une bonne part de ce que j'ai pensé et écrit dans les années où j'ai commencé à intervenir publiquement, je le lis aujourd'hui comme naïveté fourvoyée. On peut tenter de se donner les moyens de penser ces fourvoiements. Voire peut-être de les relever dialectiquement. En relisant les textes et en regardant les œuvres évoluer. Et en les confrontant à ce qui apparaît de nouveau - qui en périme certains attendus, qui en éclaire d'autres d'un jour rafraîchi, qui en relance les questionnements. Je ne passe pas mon temps à cela, heureusement. Je m'y suis essayé, cependant. Dans Ceux qui merdRent et dans Salut les modernes, par exemple.