27 nov.
2006
Claire Paulhan, interview.
Quels sont vos projets éditoriaux à court et à long terme ?
Je vais publier, en janvier 2007, les Lettres de Madagascar, que mon grand-père a envoyées à ses parents et à sa tante depuis la "Grande Œle", où il a vécu de 1907 à 1910 : il était alors très jeune (22-26 ans), trop attaché à sa mère, et désirait fuir un projet de fiançailles qui lui pesait; finalement, il passera 3 années à Madagascar, essayant de rester en marge du milieu colonial, tout en se mêlant aux Malgaches eux-mêmes - ce qui était très mal vu. Auprès de ses amis Hovas, il a recueilli les "proverbes de dispute" malgaches, connus sous le nom de Hain-Tenys.
Après, je compte publier la première partie (1934-1948) du Journal de l'écrivain Henri Thomas, puis le 3e tome (1925-1930) du Journal de Mireille Havet.
Alors que le nombre de lecteurs ne cesse de diminuer et que la lecture n'est même plus considérée comme un indice deraffinement, pensez-vous que le livre ait encore un avenir ? Que pensez-vous du web ?
Je fais partie de ces gens qui pensent que rien ne remplacera la lecture de livres et de journaux sur papier - aucune télévision, aucun site ou programme sur le net, etc. (quoiqu'il soit extrêmement intéressant d'y avoir un accès libre) - tout simplement parce qu'il n'y a rien de plus pratique ni qui vous laisse plus libre de vos mouvements, que d'acheter un journal ou un livre, de l'ouvrir, de l'emporter partout avec soi, de s'y plonger, d'y revenir, de prendre des notes, de l'oublier dans un coin, de le retrouver, de le prêter, de le donner, etc. Le papier imprimé, c'est la vie même en société et son mouvement et, si l'on veut bien y réfléchir un tout petit peu, l'objet-journal ou l'objet-livre n'est pas cher, en comparaison de la quantité de travail et de travailleurs que cela demande, ce n'est surtout rien en comparaison de toutes les choses inutiles, de mauvaise qualité et périssables, dont on encombre, de notre plein gré ou à notre insu, notre vie quotidienne...
tes-vous, n'êtes-vous qu'une ... héritière ? Ou, en d'autres termes moins crus : vivons-nous aujourd'hui une crise de latransmission ?
Je suis une héritière dans tous les sens du terme (sauf au point de vue financier, ce qui change beaucoup de choses): c'est-à-dire que j'ai un vrai souci de préserver ce qui a été (en l'occurrence, mon grand-père, Jean Paulhan, dont la masse d'archives est importante), pour que d'autres en prennent connaissance et travaillent sur ces sujets... Histoire que le passé nourrisse la réflexion à venir. Je me sens assurément l'un des maillons d'une chaîne, sentiment qui outrepasse de beaucoup la simple filiation familiale. D'un côté, il y a les cimetières, où gisent les écrivains que je veux servir, et les bibliothèques où sont disponibles leurs oeuvres et leurs archives, de l'autre, il y a des esprits en éveil, des intelligences curieuses, des érudits affamés, tout un peuple qui croit à la culture, au savoir, aux idées, à la littérature, au langage... Et moi, je suis entre ces morts et ces vivants, avec mon travail d'éditrice mais aussi mon travail à l'IMEC (classer des archives, faire des inventaires, valoriser les documents par des expositions, des livres, etc.), et je tente de faire passer, de mettre au jour, ce que je trouve. Par ailleurs, je travaille beaucoup, pour rendre cette perspective cohérente et pour précisément, ne pas être "qu'une héritière" !
Auriez-vous une anecdote sur les rapports de votre grand-père avec les poètes qu'il a fréquentés ?
Non, comme cela, je n'en trouve pas, bien que j'adore les anecdotes de l'histoire littéraire. Mais il suffit de prendre n'importe quel volume de ses correspondances éditées, ou les témoignages que les uns et les autres (Ponge, Etiemble, Perros, etc.) ont apportés sur leurs rencontres avec Jean Paulhan, leur amitié, leur compagnonnage, pour constater que mon grand-père en était non seulement friand, mais que ce qui est raconté comme une anecdote, une malice de son esprit, était souvent aussi une forme d'épreuve, quasi initiatique, destinée à déstabiliser son interlocuteur et à le révéler dans sa vérité... Ainsi, l'on raconte que le long de l'escalier qui menait au bureau de La NRF, où il recevait, avec Marcel Arland et Dominique Aury, une fois par semaine tout un chacun - du grand écrivain reconnu et fêté, à celui qui venait récupérer son manuscrit refusé -, il avait fait disposer des miroirs grossissants, allongeants, déformants comme on en trouve dans les fêtes foraines (et aujourd'hui dans l'escalier du magasin Surcouf): ce n'était assurément pas pour que les écrivains se sentent diminués ou moqués, mais pour qu'ils sachent qu'ils étaient bien tous pareils...
Je vais publier, en janvier 2007, les Lettres de Madagascar, que mon grand-père a envoyées à ses parents et à sa tante depuis la "Grande Œle", où il a vécu de 1907 à 1910 : il était alors très jeune (22-26 ans), trop attaché à sa mère, et désirait fuir un projet de fiançailles qui lui pesait; finalement, il passera 3 années à Madagascar, essayant de rester en marge du milieu colonial, tout en se mêlant aux Malgaches eux-mêmes - ce qui était très mal vu. Auprès de ses amis Hovas, il a recueilli les "proverbes de dispute" malgaches, connus sous le nom de Hain-Tenys.
Après, je compte publier la première partie (1934-1948) du Journal de l'écrivain Henri Thomas, puis le 3e tome (1925-1930) du Journal de Mireille Havet.
Alors que le nombre de lecteurs ne cesse de diminuer et que la lecture n'est même plus considérée comme un indice deraffinement, pensez-vous que le livre ait encore un avenir ? Que pensez-vous du web ?
Je fais partie de ces gens qui pensent que rien ne remplacera la lecture de livres et de journaux sur papier - aucune télévision, aucun site ou programme sur le net, etc. (quoiqu'il soit extrêmement intéressant d'y avoir un accès libre) - tout simplement parce qu'il n'y a rien de plus pratique ni qui vous laisse plus libre de vos mouvements, que d'acheter un journal ou un livre, de l'ouvrir, de l'emporter partout avec soi, de s'y plonger, d'y revenir, de prendre des notes, de l'oublier dans un coin, de le retrouver, de le prêter, de le donner, etc. Le papier imprimé, c'est la vie même en société et son mouvement et, si l'on veut bien y réfléchir un tout petit peu, l'objet-journal ou l'objet-livre n'est pas cher, en comparaison de la quantité de travail et de travailleurs que cela demande, ce n'est surtout rien en comparaison de toutes les choses inutiles, de mauvaise qualité et périssables, dont on encombre, de notre plein gré ou à notre insu, notre vie quotidienne...
tes-vous, n'êtes-vous qu'une ... héritière ? Ou, en d'autres termes moins crus : vivons-nous aujourd'hui une crise de latransmission ?
Je suis une héritière dans tous les sens du terme (sauf au point de vue financier, ce qui change beaucoup de choses): c'est-à-dire que j'ai un vrai souci de préserver ce qui a été (en l'occurrence, mon grand-père, Jean Paulhan, dont la masse d'archives est importante), pour que d'autres en prennent connaissance et travaillent sur ces sujets... Histoire que le passé nourrisse la réflexion à venir. Je me sens assurément l'un des maillons d'une chaîne, sentiment qui outrepasse de beaucoup la simple filiation familiale. D'un côté, il y a les cimetières, où gisent les écrivains que je veux servir, et les bibliothèques où sont disponibles leurs oeuvres et leurs archives, de l'autre, il y a des esprits en éveil, des intelligences curieuses, des érudits affamés, tout un peuple qui croit à la culture, au savoir, aux idées, à la littérature, au langage... Et moi, je suis entre ces morts et ces vivants, avec mon travail d'éditrice mais aussi mon travail à l'IMEC (classer des archives, faire des inventaires, valoriser les documents par des expositions, des livres, etc.), et je tente de faire passer, de mettre au jour, ce que je trouve. Par ailleurs, je travaille beaucoup, pour rendre cette perspective cohérente et pour précisément, ne pas être "qu'une héritière" !
Auriez-vous une anecdote sur les rapports de votre grand-père avec les poètes qu'il a fréquentés ?
Non, comme cela, je n'en trouve pas, bien que j'adore les anecdotes de l'histoire littéraire. Mais il suffit de prendre n'importe quel volume de ses correspondances éditées, ou les témoignages que les uns et les autres (Ponge, Etiemble, Perros, etc.) ont apportés sur leurs rencontres avec Jean Paulhan, leur amitié, leur compagnonnage, pour constater que mon grand-père en était non seulement friand, mais que ce qui est raconté comme une anecdote, une malice de son esprit, était souvent aussi une forme d'épreuve, quasi initiatique, destinée à déstabiliser son interlocuteur et à le révéler dans sa vérité... Ainsi, l'on raconte que le long de l'escalier qui menait au bureau de La NRF, où il recevait, avec Marcel Arland et Dominique Aury, une fois par semaine tout un chacun - du grand écrivain reconnu et fêté, à celui qui venait récupérer son manuscrit refusé -, il avait fait disposer des miroirs grossissants, allongeants, déformants comme on en trouve dans les fêtes foraines (et aujourd'hui dans l'escalier du magasin Surcouf): ce n'était assurément pas pour que les écrivains se sentent diminués ou moqués, mais pour qu'ils sachent qu'ils étaient bien tous pareils...