Conseils bidon à un jeune littérateur par Christophe Esnault
Tu veux devenir écrivain ou poète. Commence par interroger ton besoin d’écrire. Si tu n’écris pas, vas-tu somatiser un cancer foudroyant ? Tes dents vont-elles tomber une à une dans ton assiette de mou de veau ? Ton temps d’écriture ne va-t-il pas mordre dans celui que tu consacrais à ta collection de Lego ? As-tu quelque chose à raconter à l’exception du trauma survenu le jour où tu as appris que tu avais été conçu par erreur lorsque tes géniteurs se sont empoignés en s’excitant sur le montage d’une armoire à pharmacie IKEA ? En toi sommeille-t-il un bœuf rugissant d’une langue novatrice ? Ton vocabulaire excède-t-il quarante mots ? As-tu lu autre chose que les cartons d’emballage t’indiquant que ton plat préparé se réchauffe au micro-ondes en deux minutes trente ? Je ne peux pas faire grand-chose pour toi, sauf te rappeler que ton envie d’entreprendre une formation d’informaticien était quand même vachement meilleure que celle de te lancer idiotement en littérature. Mais tu n’écouteras pas mes mises en garde. Alors je vais dégonfler dès maintenant ton ego de créateur. Le niveau de ce qui se publie est tellement indigent, et comme il laisse la part belle aux scribouillards de premier ordre, tu réussiras fatalement à placer ta camelote quelque part si tu insistes un peu. Assez vite, encouragé par des revues moisies et des éditeurs ringards, ton splendide et récurrent « je suis poète » sera ton habitus et ton signifiant maître à défaut de prendre dans tes rétines la vision éblouissante de ta vacuité tout terrain. Tu te gargariseras de te savoir référencé à la BNF en oubliant qu’elle a été construite en terrain inondable et que de ta prose vermoulue, il ne restera pas plus de traces qu’en a laissées Bob le ragondin en lâchant ses crottes où Van Gogh peignit ses tournesols. J’en profite pour te faire part d’une de mes récentes lectures dans une revue scientifique. La Terre disparaîtra et outre la possibilité de quelques fichiers ondes à destination des galaxies pas encore découvertes, toi (le trouducul littéraire), Caraco, Dostoïevski et Cervantès seront bientôt logés à la même enseigne, celle du néant intersidéral. Rien parmi ces vérités indiscutables ne saurait dérouter ta phase maniaque et l’attrait de devenir. Les médiocres ne doutent jamais d’eux-mêmes. Alors frappe vite aux portes des revues littéraires et poétiques, mais n’attends pas qu’une personne sachant vraiment lire t’affirme que tu n’es absolument pas prêt et que tu n’as même pas les épaules d’un pigiste occasionnel pour la rubrique vols et effractions du journal local. Fonce ! Tu t’adresseras prioritairement à un revuiste. Tu liras en diagonale les notules rédigées par ses amis (les auteurs qu’il a publiés). Tu singeras le type ébahi qui a lu son livre, a été époustouflé par son écriture et ému aux larmes par le récit de la mort de sa fille et du deuil qui a suivi. Tu partageras sa peine et tu abuseras de superlatifs à renfort de compassion de bénitier et de cérémonie saturée de violons pour, en fin de mail, demander timidement si lui, le maître grammairien ultra poussif, peut examiner tes déjections qui au passage ont quelques belles chances d’égaler les siennes. Parce qu’il aura le désir de te voir acheter ses autres livres, le revuiste t’encouragera très certainement et au pire te permettra une entrée fracassante en littérature au sommaire d’un des prochains numéros de sa publication ronéotypée et agrafée à l’arrache qui s’enorgueillit de ses quarante fidèles abonnés (tous auteurs à leur tour, il faut fidéliser le lectorat). Dès que tu auras été validé, tu créeras un blog d’écrivain, tu y posteras des poèmes et textes inédits et inviteras la Terre entière à le visiter, à le partager et seras ravi d’accrocher sur ton espace des liens d’autres cul-terreux dans ton genre, allant jusqu’à organiser de monumentaux vases communicants avec autant d’auteurs en mal de reconnaissance que possible. L’important est que ton nom circule sur les réseaux sociaux. Douze visites sur ton blog (gavé de publicités) par jour (robots inclus), c’est un début, et tu feras de la joyeuse retape nourrie de compliments mièvres au lyrisme appuyé, saluant tous les blogueurs micro influents jusqu’à ce qu’ils cèdent à tes requêtes non formulées, mais suffisamment explicites et t’accrochent parmi leur deux cents liens d’êtres humains pousse-cailloux et connectés qu’il est bon de connaître et de suivre de près. Ton humeur sera indexée à ton compteur comme le commerçant à son chiffre d’affaires. La frustration d’être invisible laissera place à une idée géniale : tu créeras ta revue en ligne et tu publieras tout le monde sans distinction. Vingt nouveaux auteurs par jour, puisque tu ne verras pas l’utilité de lire ce qui te sera vite proposé, préoccupé uniquement par le quota toujours grandissant de nouveaux copains. Sur ton lieu de travail, tu t’affirmeras par avance comme poète visionnaire en prévision du jour où tu devras refourguer à la totalité du personnel ta première plaquette de six pages. Lors de ton évaluation annuelle par ton supérieur hiérarchique, sur la question de ton évolution de carrière tu préciseras que tes activités de création et d’écriture seront prochainement professionnalisées et que tu préfères le prévenir tout de suite, tu ne feras pas long feu dans sa boutique, puisque la gloire littéraire t’appelle. C’est avec regret, mais il se peut que tu succombes à ses cris d’amour. Écrire te prendra une demi-heure par jour si tu optes pour la production acharnée. La promotion de toi-même, dix fois plus. Il te faut un maximum de followers. Et invite aussi tout le monde sur Facebook jusqu’à obtenir rapidement 5000 amis. Tu testes ton post et si tu ne chopes pas une rafale de likes en deux minutes, tu l’effaces et écris autre chose jusqu’à emporter l’adhésion et le capital sympathie du plus grand nombre. Essaye la dépréciation de toi et le malheur excessif, c’est ce qui marche le mieux, et surtout like bien tout ce que tu vois défiler sans restriction. La feinte d’être attentif à l’autre est toujours bénéfique. Tu dois augmenter le volume de ton CV coûte que coûte quitte à t’inventer lauréat d’un Prix de la nouvelle prétendument organisé par L’Amicale du haïku cévenol ou le Club des poètes amis de Maurice Carême dont la distinction t’a été remise en mains propres par l’écrivain connu de ton choix (personne n’ira vérifier). Il te faut le soutien de personnages médiatiques. Tes correspondances s’adresseront uniquement à des personnalités clinquantes et télévisuelles. Un poète, même quand il se nomme Philippe Jaccottet, ne te sera d’aucun secours pour te mettre en couverture de Paris Match. À ce propos, ta compagne ou ton compagnon devra impérativement être choisi(e) parmi les chanteurs, chanteuses, acteurs ou comédiennes, politiques ultra médiatisé(e)s. Cet élément constituera la pierre angulaire et le ressort euphorisant de ton ascension. En attendant, tu glisseras un billet de 200 euros accompagné de ton texte et d’une demande de courte préface à des écrivains parmi la sélection des plus installés (ceux qui vendent plus de 80000 exemplaires des romans qu’ils pondent systématiquement chaque année). Cette démarche, qui n’exclut pas quelques déceptions, est néanmoins mathématique, et tu t’offriras bientôt une indiscutable crédibilité. Assez vite tu comprendras que la qualité du texte n’est pas forcément un atout pour réussir à te distinguer. La littérature riche bourrée de subtilités, de phrases rythmées et polies pour se lover dans le barillet de ton revolver ne te sera d’aucun secours pour descendre une créature cousue d’éponges. Fais au plus simple : un récit chronologique qui sera compris par les esprits les plus rétifs à un véritable travail formel ou à la naissance d’une langue. La littérature, c’est faire valdinguer le train de la narration loin des rails, mais ce n’est absolument pas ce qu’on te demande. Le militantisme de pacotille et la tendresse pour ton petit cochon malade, ça cartonnera davantage. Suis l’actualité. Un enfant fuyant les exactions de groupuscules armés et sanguinaires, noyé dans la mer Méditerranée : un poème révolté saupoudré d’indignation. Tu signeras un contrat chez Bruno Doucey et la même année tu seras invité au festival Étonnants voyageurs de Saint-Malo. Lors de la séance de dédicace, tu rencontreras Odile, une universitaire mal dans sa peau de blanche occidentale, engagée dans la défense des droits de la communauté Rrom et l’année suivante tu parapheras cette fois chez Al Dante un essai écrit en collaboration (c’est Odile qui aura exécuté les 9/10e du boulot) sur la cruauté et la xénophobie décomplexée des institutions et des élus envers ces populations stigmatisées, humiliées et expulsées dix fois par an. Cette apparente mise à distance de ton moi au service de ton seul narcissisme t’imposera vite comme une figure humaniste post camusienne. En persévérant dans cette même direction, on t’invitera sur Radio Périgord et France Boulgour et ça ne tardera pas trop : on te gratifiera de deux prix prestigieux : Le Lacrymal et Le Marcel Pagnol. Ensuite, textes de commande en déluge, tu ne sauras plus où donner du chapeau. Actes Sud te brossera les dents et tu recracheras ton jus sirupeux et démocrate à l’antenne d’une émission télévisée grand public animée par la nièce albinos de Michel Drucker. Tu seras arrivé. Tu auras réussi, mais ce ne sera qu’un petit prélude vu que le prurit de ton nombril te réveillera six fois par nuit pour vérifier si tu n’as pas une nouvelle alerte Google mail t’avertissant qu’un nouvel article quelque part sur la toile cite ton nom. Dans le reflet complice de ton I-phone, tes dents brilleront plus que jamais d’une blancheur immaculée.