DES “MECS RÉGLOS” DE TXT par Daniel Busto
("Mecs réglos" Burroughs)
Je suis content de vous joindre dans cette saison du « tapin de Noël », comme disait Jean-Pierre Verheggen autrefois en nous montrant ces dames derrière leurs vitrines près d’un sapin enguirlandé, alors que nous passions en voiture.
Car je n’ai que de bons souvenirs de ma participation à TXT, et cela me permet de me remémorer tout ce travail enthousiaste en commun, même si je n’en suis pas du tout représentatif, voire peu recommandable, comme je l’avais expliqué à Typhaine Garnier lorsqu’elle m’a demandé de participer au dernier TXT. Historiquement je n’espère ni strapontin ni siège : je préfère une place vide entre le saut à la corde et le sac de frappe.
Pour ce qui concerne les petites mesquineries récentes, venant d’un triumvirat (Mathias Pérez, Jacques Demarcq, Jean-Luc Steinmetz) révisionniste et en particulier de Steinmule, ce genre de dernier coup de vernis narcissique sur la calandre avant de prendre la voiture en sapin me semble pitoyable. Au contraire de la singularité. Je mettrais bien ce trio dans un sac pour le jeter en Seine sans risque d’émouvoir ce pauvre Triboulet ; j’y ajouterais même le suisse Borer (alias Rabot), le plus grand spécialiste de Rambo II et de Rambo III, alors que Steinmouse n’est spécialiste que du premier Rambo.
Mais je n’insisterai pas à propos de Pérez, le « Tartarin à la palette », comme nous l’appelions avec Lucerné, ni du « poète Démarqué », car je crois que le plupart d’entre vous ont écrit sur le travail de l’un et de l’autre pour en souligner l’intérêt, et mon opinion n’a donc aucune importance en la matière car « non fondée scientifiquement », comme dirait l’autre. Simple méchanceté en passant.
Comme c’est le temps de Noël, j’aimerais bien vous offrir un conte que j’avais écrit autrefois et dont la figure répulsive était Steinmetz, mais malheureusement je n’en ai plus aucune trace. Renate Kühn avait un exemplaire de cela, rien que pour rire.
L’été 1975, seule fois de ma vie où je me suis retrouvé au chômage, j’en ai profité pour réaliser un atelier de création radiophonique sur Denis Roche, et Denis (qui lui-même avait longtemps fait des piges chez Filipacchi), m’a indiqué à ce moment-là des piges à faire dans le journal Détective (créé à l’origine par Gallimard, devenu ensuite au fur et à mesure des interdictions Police puis Qui Police, etc.) dont Philippe Muray était alors le rédacteur en chef. Il y avait au-dessus de lui un Grand patron, ancien résistant et jésuite. Ce qui était comique, car le siège du journal était rue Lauriston, à 10 numéros de là où autrefois siégeait la Gestapo française.
J’essayais de me rassurer sur le minable du boulot, en me disant que Kessel, Albert Londres et Francis Carco avaient eux-mêmes fait de la copie dans cette boutique. Le travail consistait à rewriter de très anciens faits divers des années 30 ou au-delà, oubliés par tout le monde et de les réécrire en les modifiant, en ajoutant de fausses photographies d’actualité criminelle, et en les donnant pour des faits divers actuels. Tout ce mensonge absolu se vendait comme des petits pains dans le nord de la France, en particulier la région picarde.
Du coup, en matière de canular le premier article que j’ai écrit était sur un égorgeur sinistre de Francfort que j’avais renommé Johan-Lucas Steinmetz, et qui avait une tête de turbot maigre, tandis qu’il incombait a une dénommée Renate un rôle entre Blanche Neige et la psychanalyse. Mais l’article n’est jamais passé parce que j’avais glissé quelque part un mongolien, et que le grand patron puritain « ne voulait pas de mongoliens dans son journal ». Du reste, je n’ai pas fait long feu dans le journal et on m’a viré en fin de saison « parce que je manquais d’adjectifs », ce qui est sûrement vrai.
L’idée parodique venait du fait que Renate Kühn, instance théorique, lorsqu’elle m’en avait parlé à Cerisy (au moment de ma cooptation par elle et Clémens pour TXT, en même temps que Duault), l’avait particulièrement « chargé », bien au-delà de son côté pingre et geignard. Selon elle « la plus grande erreur de sa vie avait été de se prendre pour un poète. » Ensuite au moment de notre mariage blanc, elle m’a raconté entre autres cette anecdote à propos d’une des premières réunions de TXT à Rennes où Jean-Luc-Steinmetz avait cru bon de faire l’éloge à tout crin du texte de Mao-Tsé-Toung Contre le culte du livre. Clémens l’avait alors pris au mot en faisant balancer ses Pléiades à travers la fenêtre par Guillaume, le fils de Steinmetz, et Steinmetz n’arrêtait pas de se lamenter : “Mes Pléiades ! Mes Pléiades !” — Harpagon, en somme.
Au-delà de la clownerie, je n’ai jamais assisté à aucune intervention de Steinmetz tout le temps de ma participation à TXT, de 72 à 82 en gros. Je ne vois donc pas comment il aurait eu la moindre influence sur le groupe : il n’existait pas !
Et pour ce qui est du militantisme ce n’est pas Steinmetz mais Clémens qui équipé d’un casque de moto a réussi à fuir la police en traversant la vitre d’un café. C’est bien Prigent qui a travaillé avec les plus grandes difficultés avec les groupes MLMTT de Rennes et avec Politique-Hebdo. Idem pour Yves Froment en Belgique et pour Philippe Boutibonnes. Et c’est bien Verheggen et pas Steinmule qui s’est fait agresser en présence des siens par des groupes militants à propos de son écriture « sexuelle, c’est-à-dire petite-bourgeoise ».
Ces phénomènes de distorsion de l’histoire sont monnaie courante ; Sartre et Beauvoir avec sa tourte en tête en ont été un échantillon scandaleux (« I f’rait beau voir ! »), mais ça se nettoie forcément. Du moins espérons-le.
Puis n’est pas Saint-Simon qui veut. Sollers, malgré ses ruses de paranoïaque jésuitique et ses contorsions révisionnistes, n’a pas réussi. Il y a eu pourtant pour le soutenir toutes les falsifications de Forest-Gump qui à l’époque dont il parle à propos de Tel Quel et de TXT confondait encore le sein de sa mère avec une vessie, et toutes les emplâtres staliniennes faites au plomb de ce pauvre Jean-Louis Houdebine (alias Boutdepine) qui refaisait l’histoire chaque semaine en fonction des directives de la rue Jacob.
Saint-Simon, pour le coup, c’était Denis Roche à Cerisy ! Le seul exclu.
Comme je l’avais dit à Prigent, à la suite de plusieurs déménagements toutes les archives TXT que j’avais ont été perdues, courriers et divers. Et depuis, en raison de la pandémie et autres, j’ai détruit la plupart des travaux plastiques et des écritures inachevées, pour ne pas laisser ça sur les épaules de ceux qui suivront. Donc je ne peux rien prouver.
Mais il y a toutes les archives déposées chez Doucet, il y a les dossiers comme celui des Nouvelles Littéraires (L’art, c’est la guerre…), la petite anthologie chez Bourgois, et les documents de chacun, etc. Difficile de falsifier tout ça.
P.S. Lorsque je suis parti de la revue c’était parce que je sentais que je n’y avais plus ma place et que j’y produisais du semblant (avec tout une énormité qui dormait en arrière et qu’il était urgent de mettre au jour) ; mais pour autant chacun des membres du groupe me paraissait y être à la place juste et tracer sa voie avec rigueur. J’ai même eu la chance d’être traité par Clémens à ce moment-là « d’idiot étymologique », ce qui est plutôt flatteur. (Je ne reprendrai pas ce terme aujourd’hui où la doxa universitaire s’est emparée de ce terme, et où le premier imbécile venu prétend à l’idiotie). Et quand j’ai revu Clemens avant 2000 pour un éventuel projet Lucerné, il était toujours « aussi réglo ».
Chacun sa formule, qui se réduit à peu. La mienne c’était la fraternité impossible. (Donc elle existe et j’y suis tenu !). Ce fut ainsi pour tous les groupes que j’ai traversés ; la seule leçon à tirer de ça, c’est qu’on poursuit toujours les mêmes ombres sous d’autres formes. Avant TXT il y eut le groupe de la Folie-Méricourt, avec nos petits romans ridicules distribués à la dizaine de protagonistes. Après TXT il y a eu la création de Tristram (dont le nom était aussi celui du coker de Renate Kühn !), où j’ai transporté plusieurs projets datant de TXT : Le Grand Graphe de Lucot, Compact de Maurice Roche en 7 couleurs (dont le projet datait même de la rue Henri Barbusse et de la Folie-Méricourt), La Mort des Héros de Minière (dont l’édition numérique n’a pu malheureusement avoir lieu), et depuis très longtemps il y a Mettray comme courant souterrain qui datait pour ainsi dire des débuts avec TXT. Bien sûr à chaque passage il y a changement de nature, soit élévation au carré, soit au contraire réduction à la racine. Mais c’est sans doute la même utopie.