17 mai
2006
Deux ans de palais, une lettre ouverte par Brice Petit
Cairanne, le 8 avril 2006
Aux nombreux amis, poètes, proches, citoyens qui m'ont soutenu pendant deux ans, je voudrais faire part de ma plus vive reconnaissance. A l'écoute du verdict qui m'a innocenté aussi bien de l'accusation d'outrage que de celle de diffamation, je n'ai pu que penser à vous. Ces deux dernières années d'un combat souvent désespérant, épuisant, harassant, j'ai voulu les traverser pour plus que moi c'est-à-dire pour chacun. Pour ceux, notamment, que la loi d'outrage emprisonne chaque jour injustement parce qu'ils n'ont ni la parole ni les moyens financiers d'être défendus correctement. Un seul espoir m'anime aujourd'hui : que nous soyons parvenus à ouvrir une brèche dans l'injustice systématique qui règle le rapport entre la police souvent autoritaire de ce pays et les citoyens ; que modestement ce précédent, cette trace laissée dans le palais de justice de Montpellier, serve à d'autres que moi et ceci : grâce à vous.
Il y a bientôt deux ans, dans la cave des garde-à-vue, j'ai échappé de peu à une comparution immédiate, procédure qui tous les jours viole l'esprit même de la justice. Il en aurait résulté certainement une condamnation écrasante. Sans défense organisée ni témoins, la prison, la matraque financière, la confiscation de mon métier me menaçaient probablement. Deux ans plus tard, les accusations mensongères qui me harcelaient ont volé en éclats. Mes accusateurs n'ont pas dit la vérité ; la justice, dans mon cas, a entendu et compris.
Cette incroyable ellipse judiciaire entre une procédure expéditive qui terrasse nombre d'étudiants à l'heure actuelle et un vrai procès n'a qu'un nom : l'argent. Que l'on ne s'y trompe pas, j'ai eu droit à ce que je peux dire être « un procès de riche ». Grâce à mon excellent avocat, Maître François Roux (dont M. Maulpoix n'a pas voulu), grâce à une relative médiatisation, grâce surtout à votre soutien financier profond, nous avons pu mener une lutte juridique digne de ce nom c'est-à-dire susceptible de faire affleurer la condition même de notre liberté : la vérité. Avant moi, après moi, dans ces mêmes cours de justice, il sont et seront nombreux ceux que le dénuement mènera à un jugement tronqué. Les deux procès que j'ai eu à subir auront duré 13 heures en tout ; combien, confrontés à la police, sont condamnés en un quart d'heure chaque semaine ? La vérité est exigeante, elle demande du temps et un langage. Le moins que l'on puisse dire est que notre pays ne fournit cela qu'à ceux qui en ont les moyens.Si je me suis permis d'en appeler plusieurs fois à chacun d'entre vous, c'est que je savais qu'un homme seul, isolé, n'a que peu de voix. C'est aussi que je crois aux vertus du mot « ensemble ». Ce mot « ensemble » que Paul Celan a fait briller au plus haut du poème d'après 1945 s'adresse avant tout à ceux qui n'ont pas la parole : dans la France d'aujourd'hui, ils sont une foule que les institutions harcèlent ; le poème, la parole vivante sont tournés vers leurs visages.
Je me réjouis que cette bataille désintéressée ait tourné en faveur de la vérité, de la parole franche, du désir de vivre autrement ensemble. En revanche, la condamnation qui frappe M. Maulpoix est tout simplement exorbitante, la somme qu'on lui demande (5000 euros) n'a d'autre fonction que de sauver la face de quelques fonctionnaires entraînés aux frontières de la loi par une politique sécuritaire dangereuse et délétère. Je n'ai eu de cesse de prévenir chacun contre ce danger : non, la république n'est pas naturellement juste, elle demande à tous un engagement fort afin de devenir le projet qu'elle contient.
Cela fait plus de six mois que mes relations ont cessé avec M. Maulpoix et ses amis d'un comité de soutien où je n'avais aucune part. Dès les premiers mois de cette affaire, j'ai eu plus à souffrir qu'à me réjouir de ce que M. Maulpoix appelle sa solidarité. Pourquoi ? Je pars du principe que la vérité et la justice n'ont ni à rougir ni à s'encombrer de regrets, de remords dont la première conséquence est de paralyser l'action. Je me suis employé à agir résolument. Une pétition a été adressée au Ministre de l'intérieur de l'époque, M. de Villepin, pétition signée par les plus grands noms de la poésie française. L'amateur de poésie de Villepin n'a pas daigné y répondre. Ce monsieur, bien avant les événements actuels, affichait déjà cette surdité méprisante à laquelle il n'a plus cessé d'être fidèle. Je ne regrette rien des termes de cette lettre ouverte : elle me semble a posteriori avoir su prendre le véritable pouls d'un pays malade. M. Maulpoix, sous des prétextes qui m'ont toujours paru étranges, a refusé de signer cette lettre. Tandis que je disais : action, il me répondait systématiquement : prudence et attente. Que les choses soient claires une fois pour toutes : le texte qui m'a valu une accusation pour diffamation n'a jamais été adressé, par moi ni par mes amis, à aucun site internet. Ceux qui l'ont publié l'ont fait de leur propre initiative ; ce texte leur est parvenu par des relais que je ne connais pas et qui n'ont pas daigné se manifester par la suite.Qu'importe, je me suis tenu, un an et demi durant, pour solidaire de M. Maulpoix. En première instance, alors que M. Maulpoix avait refusé de signer la pétition et qu'il faisait obstacle à une véritable médiatisation, plus que nécessaire, j'ai été condamné à 3000 euros, avec lui, pour diffamation. Il ne coûtait rien alors à M. Maulpoix de m'innocenter en disant simplement la vérité : je ne l' avais pas sollicité, pas plus que Cédric Demangeot, pour qu'il publie ce texte, il l'avait fait sans notre accord. Dans cette affaire de diffamation, il est temps de dire la vérité : c'était moi « l'entraîné », pas M. Maulpoix. Alors que je me battais chaque jour pour la relaxe dans l'accusation d'outrage, relaxe que j'ai d'ailleurs obtenue deux fois, il s'est avéré très vite impossible de mener pareil combat pour la question de la diffamation. J'ai avalé ces couleuvres. Humainement, je ne le regrette pas, je ne m'en suis, à l'époque, jamais plaint, j'étais prêt à payer cette amende juridiquement infondée me concernant, n'ayant aucune responsabilité dans la publication de mon texte si ce n'est celle de l'avoir écrit et qu'il m'ait échappé. Cela ne me gênait même pas du moment que la cause pour laquelle je m'étais engagé avance.
Lorsque les policiers et le parquet font appel de la décision des juges en septembre 2005, j'attends désespérément une réaction de M. Maulpoix. Il était en effet temps d'agir. Mon épuisement moral touche à son paroxysme ; je suis admis en clinique psychiatrique pour plusieurs semaines. Quelle est la réalité de ma vie à ce moment-là ? Je suis isolé et de plus en plus suspect dans mon lycée, je subis des enquêtes des renseignements généraux, des proches dans ma famille m'abandonnent, les syndicats d'enseignants m'oublient. Manifestement, le ton de franchise que j'adopte n'a rien pour plaire et surtout pas cette volonté qui a toujours été la mienne de mener ce combat en direction de mes concitoyens. Messieurs Maulpoix et Bon organisent enfin une conférence de presse à la maison des écrivains, conférence de presse malheureusement très privée où le mot d'ordre, une fois de plus, n'est autre que l'attente et la passivité. Je sais avoir écrit à cette époque à l'intéressé qu'il nous entraînait vers une défaite que pour ma part je refusais. Sa réponse m'apprend alors que nos stratégies diffèrent et donc se séparent - comme si elles s'étaient jamais accordées ! Au comité de soutien que ces gens fondent, j'envoie un texte qui sera publié amputé, tronqué, censuré. Je n'ai par la suite plus rien écrit à ces gens-là qui se sont servis de mon nom pour leur propre cause et pour lesquels je n'avais de valeur que muet. Très vite, en effet, la question centrale pour moi de l'outrage, des injustices policières : la question de départ est recouverte au profit de la question tellement plus correcte d'internet. Ce bâillon, je ne l'oublie pas. J'ai assisté à la défense de M. Maulpoix dans les deux procès ; peut-on se mettre, et donc nous mettre, en danger d'une façon plus évidente ? Faire part de sa mauvaise conscience et de ses regrets, d'une gêne, d'un malaise, est-ce la meilleure manière de plaider son innocence ? Dire que l'on est injustement la seule victime, que d'autres sites ont publié le texte incriminé, que ces sites n'ont pas été accusés, se défausser sur autrui d'un geste courageux au lieu d'organiser une réaction de solidarité de tous les sites en question, voilà qui m'a toujours paru très en deçà de ce qu'une telle lutte implique. La vérité et la bonne foi ne parlent pas cette langue.
Pour moi, je suis allé à la barre avec mes témoins remarquables de courage et de lucidité, des citoyens vivants, et nous y avons dit la vérité sans rougir ni baisser la tête ; nous n'avions rien à nous reprocher, rien à cacher et c'est cette voix-là qui a été entendue. Il est vrai qu'il faut pour cela donner de sa personne. M. Maulpoix n'a jamais voulu s'appuyer sur cette évidence : le 28 avril 2004, une sale machination avait été commise qui justifiait sa réaction. Il lui suffisait de se laisser porter par la vérité dont nous étions porteurs. Cette défense sans calcul, qui était la seule valable, il n'a pas souhaité la faire sienne. Au fond, je me demande s'il a jamais pris la mesure de ce qui se jouait, de la violence d'état que cette affaire impliquait, de la souffrance de ceux qui ont à subir pareil sort. Tant pis.
A France Culture, il y a quelques semaines, je me suis encore étonné du refus de M. Maulpoix de se joindre à la pétition destinée à de Villepin. A ma voix lointaine, enregistrée une semaine plus tôt en province, M. Maulpoix a répondu dans le confort du direct et donc du dernier mot. Je suis heureux qu'il ait enfin dit ouvertement le fond de sa pensée me concernant. J'ai ainsi entendu que je me conduisais en « martyr », que mon ton était « persifleur », que je me « drapais dans des poses romantiques », que j'étais pour finir « un donneur de leçons ». Ce que je comprends dans ces viles attaques c'est qu'on aurait souhaité que je passe mon temps à me taire, que l'injustice impitoyable qui pesait sur mes épaules ne trouve pas le ton d'indignation voire de révolte qui lui convient. Je ne suis certainement pas amateur du vent atlantique et des postures qu'il procure, je le suis encore moins des victimes expiatoires. C'est bien pour cela que le 28 avril 2004 je n'ai pas accepté qu'un homme fût battu sur l'autel de la république sécuritaire. La seule chose de juste que j'ai enfin entendue de sa part, c'est que nous n'avions pas « la même poétique ». C'est vrai. Le poème tel que je l'entends ne craint ni la vérité ni le réel.Ce que je constate, après ces deux années éreintantes, c'est qu'il n'est pas d'institution prête à s'engager en faveur des valeurs qui font de nous des hommes vivants. La solidarité prend corps dans les marges vives. A l'absence de soutien de la communauté enseignante a répondu la sollicitude de nombre de mes anciens élèves. Deux d'entre eux sont allés jusqu'à fournir au tribunal des témoignages de moralité sur l'homme que je suis et qu'ils connaissent. Que ces jeunes citoyens, qui passent souvent de loin, en cette matière, ceux censés les instruire, soient remerciés de tout cœur. Au désir des institutions littéraires de voir mon cri assourdi ont répondu les poètes, les lecteurs, qui savent les vertus de l'ombre et du retrait. Au silence de la plupart des journaux (merci à Thierry Guichard, à Pierre Daum, à Xavier Frison : les seuls) ont répondu l'amitié, le dévouement de ceux avec qui je vis et écris en poésie, l'espace restreint mais tenace de notre revue, moriturus, qui a publié des textes essentiels pour que notre liberté demeure. A l'incompréhension de quelques uns des miens, membres, par exemple, éminents de ma famille (qui se crut longtemps humaniste) ont répondu des hommes, des femmes que je ne suis pas près d'oublier.M. Maulpoix se plaint d'avoir à débourser 8500 euros, tout frais de condamnation compris. Pour ma défense et cette victoire, nous avons, nous, dépensé plus de 10000 euros. L'argent de chacun d'entre vous a permis une défense modèle, riche, argumentée, tonique et une victoire à laquelle nous nous devions. Il reste environ 1500 euros non dépensés. Il est fort possible, étant donné que les policiers pensent se pourvoir en cassation (rien ne les lasse), que cette nouvelle procédure engloutisse le peu qu'il reste. Si tel n'est pas le cas, une restitution au pro rata me semblant plus que fastidieuse vu la centaine de donateurs, l'idée de la réalisation d'un livre, un vrai nouveau moriturus qui dise le temps que nous vivons, fait son chemin. Dans ce cas, il sera à chacun adressé, avec l'amitié et la reconnaissance.
Aux nombreux amis, poètes, proches, citoyens qui m'ont soutenu pendant deux ans, je voudrais faire part de ma plus vive reconnaissance. A l'écoute du verdict qui m'a innocenté aussi bien de l'accusation d'outrage que de celle de diffamation, je n'ai pu que penser à vous. Ces deux dernières années d'un combat souvent désespérant, épuisant, harassant, j'ai voulu les traverser pour plus que moi c'est-à-dire pour chacun. Pour ceux, notamment, que la loi d'outrage emprisonne chaque jour injustement parce qu'ils n'ont ni la parole ni les moyens financiers d'être défendus correctement. Un seul espoir m'anime aujourd'hui : que nous soyons parvenus à ouvrir une brèche dans l'injustice systématique qui règle le rapport entre la police souvent autoritaire de ce pays et les citoyens ; que modestement ce précédent, cette trace laissée dans le palais de justice de Montpellier, serve à d'autres que moi et ceci : grâce à vous.
Il y a bientôt deux ans, dans la cave des garde-à-vue, j'ai échappé de peu à une comparution immédiate, procédure qui tous les jours viole l'esprit même de la justice. Il en aurait résulté certainement une condamnation écrasante. Sans défense organisée ni témoins, la prison, la matraque financière, la confiscation de mon métier me menaçaient probablement. Deux ans plus tard, les accusations mensongères qui me harcelaient ont volé en éclats. Mes accusateurs n'ont pas dit la vérité ; la justice, dans mon cas, a entendu et compris.
Cette incroyable ellipse judiciaire entre une procédure expéditive qui terrasse nombre d'étudiants à l'heure actuelle et un vrai procès n'a qu'un nom : l'argent. Que l'on ne s'y trompe pas, j'ai eu droit à ce que je peux dire être « un procès de riche ». Grâce à mon excellent avocat, Maître François Roux (dont M. Maulpoix n'a pas voulu), grâce à une relative médiatisation, grâce surtout à votre soutien financier profond, nous avons pu mener une lutte juridique digne de ce nom c'est-à-dire susceptible de faire affleurer la condition même de notre liberté : la vérité. Avant moi, après moi, dans ces mêmes cours de justice, il sont et seront nombreux ceux que le dénuement mènera à un jugement tronqué. Les deux procès que j'ai eu à subir auront duré 13 heures en tout ; combien, confrontés à la police, sont condamnés en un quart d'heure chaque semaine ? La vérité est exigeante, elle demande du temps et un langage. Le moins que l'on puisse dire est que notre pays ne fournit cela qu'à ceux qui en ont les moyens.Si je me suis permis d'en appeler plusieurs fois à chacun d'entre vous, c'est que je savais qu'un homme seul, isolé, n'a que peu de voix. C'est aussi que je crois aux vertus du mot « ensemble ». Ce mot « ensemble » que Paul Celan a fait briller au plus haut du poème d'après 1945 s'adresse avant tout à ceux qui n'ont pas la parole : dans la France d'aujourd'hui, ils sont une foule que les institutions harcèlent ; le poème, la parole vivante sont tournés vers leurs visages.
Je me réjouis que cette bataille désintéressée ait tourné en faveur de la vérité, de la parole franche, du désir de vivre autrement ensemble. En revanche, la condamnation qui frappe M. Maulpoix est tout simplement exorbitante, la somme qu'on lui demande (5000 euros) n'a d'autre fonction que de sauver la face de quelques fonctionnaires entraînés aux frontières de la loi par une politique sécuritaire dangereuse et délétère. Je n'ai eu de cesse de prévenir chacun contre ce danger : non, la république n'est pas naturellement juste, elle demande à tous un engagement fort afin de devenir le projet qu'elle contient.
Cela fait plus de six mois que mes relations ont cessé avec M. Maulpoix et ses amis d'un comité de soutien où je n'avais aucune part. Dès les premiers mois de cette affaire, j'ai eu plus à souffrir qu'à me réjouir de ce que M. Maulpoix appelle sa solidarité. Pourquoi ? Je pars du principe que la vérité et la justice n'ont ni à rougir ni à s'encombrer de regrets, de remords dont la première conséquence est de paralyser l'action. Je me suis employé à agir résolument. Une pétition a été adressée au Ministre de l'intérieur de l'époque, M. de Villepin, pétition signée par les plus grands noms de la poésie française. L'amateur de poésie de Villepin n'a pas daigné y répondre. Ce monsieur, bien avant les événements actuels, affichait déjà cette surdité méprisante à laquelle il n'a plus cessé d'être fidèle. Je ne regrette rien des termes de cette lettre ouverte : elle me semble a posteriori avoir su prendre le véritable pouls d'un pays malade. M. Maulpoix, sous des prétextes qui m'ont toujours paru étranges, a refusé de signer cette lettre. Tandis que je disais : action, il me répondait systématiquement : prudence et attente. Que les choses soient claires une fois pour toutes : le texte qui m'a valu une accusation pour diffamation n'a jamais été adressé, par moi ni par mes amis, à aucun site internet. Ceux qui l'ont publié l'ont fait de leur propre initiative ; ce texte leur est parvenu par des relais que je ne connais pas et qui n'ont pas daigné se manifester par la suite.Qu'importe, je me suis tenu, un an et demi durant, pour solidaire de M. Maulpoix. En première instance, alors que M. Maulpoix avait refusé de signer la pétition et qu'il faisait obstacle à une véritable médiatisation, plus que nécessaire, j'ai été condamné à 3000 euros, avec lui, pour diffamation. Il ne coûtait rien alors à M. Maulpoix de m'innocenter en disant simplement la vérité : je ne l' avais pas sollicité, pas plus que Cédric Demangeot, pour qu'il publie ce texte, il l'avait fait sans notre accord. Dans cette affaire de diffamation, il est temps de dire la vérité : c'était moi « l'entraîné », pas M. Maulpoix. Alors que je me battais chaque jour pour la relaxe dans l'accusation d'outrage, relaxe que j'ai d'ailleurs obtenue deux fois, il s'est avéré très vite impossible de mener pareil combat pour la question de la diffamation. J'ai avalé ces couleuvres. Humainement, je ne le regrette pas, je ne m'en suis, à l'époque, jamais plaint, j'étais prêt à payer cette amende juridiquement infondée me concernant, n'ayant aucune responsabilité dans la publication de mon texte si ce n'est celle de l'avoir écrit et qu'il m'ait échappé. Cela ne me gênait même pas du moment que la cause pour laquelle je m'étais engagé avance.
Lorsque les policiers et le parquet font appel de la décision des juges en septembre 2005, j'attends désespérément une réaction de M. Maulpoix. Il était en effet temps d'agir. Mon épuisement moral touche à son paroxysme ; je suis admis en clinique psychiatrique pour plusieurs semaines. Quelle est la réalité de ma vie à ce moment-là ? Je suis isolé et de plus en plus suspect dans mon lycée, je subis des enquêtes des renseignements généraux, des proches dans ma famille m'abandonnent, les syndicats d'enseignants m'oublient. Manifestement, le ton de franchise que j'adopte n'a rien pour plaire et surtout pas cette volonté qui a toujours été la mienne de mener ce combat en direction de mes concitoyens. Messieurs Maulpoix et Bon organisent enfin une conférence de presse à la maison des écrivains, conférence de presse malheureusement très privée où le mot d'ordre, une fois de plus, n'est autre que l'attente et la passivité. Je sais avoir écrit à cette époque à l'intéressé qu'il nous entraînait vers une défaite que pour ma part je refusais. Sa réponse m'apprend alors que nos stratégies diffèrent et donc se séparent - comme si elles s'étaient jamais accordées ! Au comité de soutien que ces gens fondent, j'envoie un texte qui sera publié amputé, tronqué, censuré. Je n'ai par la suite plus rien écrit à ces gens-là qui se sont servis de mon nom pour leur propre cause et pour lesquels je n'avais de valeur que muet. Très vite, en effet, la question centrale pour moi de l'outrage, des injustices policières : la question de départ est recouverte au profit de la question tellement plus correcte d'internet. Ce bâillon, je ne l'oublie pas. J'ai assisté à la défense de M. Maulpoix dans les deux procès ; peut-on se mettre, et donc nous mettre, en danger d'une façon plus évidente ? Faire part de sa mauvaise conscience et de ses regrets, d'une gêne, d'un malaise, est-ce la meilleure manière de plaider son innocence ? Dire que l'on est injustement la seule victime, que d'autres sites ont publié le texte incriminé, que ces sites n'ont pas été accusés, se défausser sur autrui d'un geste courageux au lieu d'organiser une réaction de solidarité de tous les sites en question, voilà qui m'a toujours paru très en deçà de ce qu'une telle lutte implique. La vérité et la bonne foi ne parlent pas cette langue.
Pour moi, je suis allé à la barre avec mes témoins remarquables de courage et de lucidité, des citoyens vivants, et nous y avons dit la vérité sans rougir ni baisser la tête ; nous n'avions rien à nous reprocher, rien à cacher et c'est cette voix-là qui a été entendue. Il est vrai qu'il faut pour cela donner de sa personne. M. Maulpoix n'a jamais voulu s'appuyer sur cette évidence : le 28 avril 2004, une sale machination avait été commise qui justifiait sa réaction. Il lui suffisait de se laisser porter par la vérité dont nous étions porteurs. Cette défense sans calcul, qui était la seule valable, il n'a pas souhaité la faire sienne. Au fond, je me demande s'il a jamais pris la mesure de ce qui se jouait, de la violence d'état que cette affaire impliquait, de la souffrance de ceux qui ont à subir pareil sort. Tant pis.
A France Culture, il y a quelques semaines, je me suis encore étonné du refus de M. Maulpoix de se joindre à la pétition destinée à de Villepin. A ma voix lointaine, enregistrée une semaine plus tôt en province, M. Maulpoix a répondu dans le confort du direct et donc du dernier mot. Je suis heureux qu'il ait enfin dit ouvertement le fond de sa pensée me concernant. J'ai ainsi entendu que je me conduisais en « martyr », que mon ton était « persifleur », que je me « drapais dans des poses romantiques », que j'étais pour finir « un donneur de leçons ». Ce que je comprends dans ces viles attaques c'est qu'on aurait souhaité que je passe mon temps à me taire, que l'injustice impitoyable qui pesait sur mes épaules ne trouve pas le ton d'indignation voire de révolte qui lui convient. Je ne suis certainement pas amateur du vent atlantique et des postures qu'il procure, je le suis encore moins des victimes expiatoires. C'est bien pour cela que le 28 avril 2004 je n'ai pas accepté qu'un homme fût battu sur l'autel de la république sécuritaire. La seule chose de juste que j'ai enfin entendue de sa part, c'est que nous n'avions pas « la même poétique ». C'est vrai. Le poème tel que je l'entends ne craint ni la vérité ni le réel.Ce que je constate, après ces deux années éreintantes, c'est qu'il n'est pas d'institution prête à s'engager en faveur des valeurs qui font de nous des hommes vivants. La solidarité prend corps dans les marges vives. A l'absence de soutien de la communauté enseignante a répondu la sollicitude de nombre de mes anciens élèves. Deux d'entre eux sont allés jusqu'à fournir au tribunal des témoignages de moralité sur l'homme que je suis et qu'ils connaissent. Que ces jeunes citoyens, qui passent souvent de loin, en cette matière, ceux censés les instruire, soient remerciés de tout cœur. Au désir des institutions littéraires de voir mon cri assourdi ont répondu les poètes, les lecteurs, qui savent les vertus de l'ombre et du retrait. Au silence de la plupart des journaux (merci à Thierry Guichard, à Pierre Daum, à Xavier Frison : les seuls) ont répondu l'amitié, le dévouement de ceux avec qui je vis et écris en poésie, l'espace restreint mais tenace de notre revue, moriturus, qui a publié des textes essentiels pour que notre liberté demeure. A l'incompréhension de quelques uns des miens, membres, par exemple, éminents de ma famille (qui se crut longtemps humaniste) ont répondu des hommes, des femmes que je ne suis pas près d'oublier.M. Maulpoix se plaint d'avoir à débourser 8500 euros, tout frais de condamnation compris. Pour ma défense et cette victoire, nous avons, nous, dépensé plus de 10000 euros. L'argent de chacun d'entre vous a permis une défense modèle, riche, argumentée, tonique et une victoire à laquelle nous nous devions. Il reste environ 1500 euros non dépensés. Il est fort possible, étant donné que les policiers pensent se pourvoir en cassation (rien ne les lasse), que cette nouvelle procédure engloutisse le peu qu'il reste. Si tel n'est pas le cas, une restitution au pro rata me semblant plus que fastidieuse vu la centaine de donateurs, l'idée de la réalisation d'un livre, un vrai nouveau moriturus qui dise le temps que nous vivons, fait son chemin. Dans ce cas, il sera à chacun adressé, avec l'amitié et la reconnaissance.