Le courage de mourir par Marc Cholodenko
Peut-être les Grecs en ont-ils eu l’intuition, qui se disaient les mortels. Ceux à qui il est donné de mourir. C’est cela que nous sommes, les mortels, pas mortels mais les mortels. Différant, plus que des dieux, d’eux-mêmes comme mortels. Dédaignant de mourir de la mort annexe de l’immortalité.
Mourir n’est pas touché par la mort. La mort reste en dehors de mourir. La mort est un événement à venir en tant qu’il sera passé. Qui est d’être en tant que passé. Eventualité sur le mode du passé. Fantôme d’événement ou façon de parler. Mourir est un verbe d’action. Mourir est un acte. De ce mourir il est un courage qui saisit mourir dans son acte même, l’action qui nous accompagne continûment qui est à chaque instant notre action première et dernière. Comment l’appeler courage à moins de décider qu’il est le seul réel possible courage qui fonde tous les autres courages, sans avoir rien des attributs ni qualités du courage. Il est donné à tous. Même celui qui saisit la mort, se laisse saisir par la mort, en pensée ou en action, ne peut abandonner le courage de mourir, s’en délivrer, s’en dessaisir. Ce courage ne peut être dessaisi, il est notre essentialité même ; celui qui nous est le plus propre, étant celui de mourir, le mourir qui nous est le plus propre, que nous sauvegardons dans le courage de mourir. Sans le courage de mourir qui n’attend pas la mort mais la précède et l’annonce dans tout ce qui nous est, nous n’existerions pas de cette existence. Cependant que, vague, obscur, indistinct, atténué au point de ne pas sembler être, neutre quant à notre vie et sa fin, il nous anime à captiver tout notre être d’un sens inabordable. Celui du temps qui excède notre temps et depuis son surplomb oppresse notre temps qui nous étreint et que nous étreignons comme nôtre et duquel le courage de mourir nous dessaisit, t’élargit de la prison d’être, sa cellule que tu es. L’éloignement dans l’infini du sens de cet entr’aperçu à l’apogée d’un surpassement qui retombe immédiatement sur soi, de ce mourir qui n’est pas de la mort qui prête temps au temps, évide le temps du temps, je ne pourrais que le mimer, l’ajuster à ma visée, en le réduisant à la dimension d’une possibilité d’événement, l’alternative d’une action, leur imagination ou fiction. Rien pourtant de plus réel, que le courage de mourir, plus véritable que toutes les vérités. Sans doute, la vérité est ce qui aime le plus profond pour se cacher. C’est dans le profond des organes que se cache la vérité. La vérité du courage de mourir, qui est le courage de mourir même, est dans ton cœur, qui est le courage même, que nos aïeux appelaient le cœur. Et quel plus grand courage que le courage de mourir. Le courage de mourir est dans ton cœur où est le cœur ; tant que ton cœur bat vit le courage de mourir auquel la mort seule met fin. Entre deux battements il pourrait se faire sentir. C’est là qu’il faudrait le saisir. Cet éclair dans cet éclair, ce saut dans ce saut. Ce n’est pas une petite affaire, cette affaire de rapidité, de vivacité d’imagination. He must have looked at the sky through fightening leaves and shivered as he found what a grotesque thing is a rose and how raw the sunlight was upon the scarcely created grass. A new world, material without being real*… Mais cependant l’imagination, même lorsqu’elle a pénétré au plus profond de ses ressources, est encore l’affaire de l’intellect qui n’a pas accès au cœur pas plus qu’au courage de mourir. Ce n’est donc qu’ a contrario que son idée peut être suscitée. Lorsque par l’ évocation de la mort, le pressentiment de la mort, nous pénétrons dans ce monde matériel sans être réel que le courage de mourir transcende, en vérité qu’il ignore, étant le plus immatériel et le plus réel. L’empire de la mort est matériel et irréel. La mort est matière, tout ce qui touche à la mort, est touché par la mort, est matière. Tout ce qui est matière s’y résout, dans la mort se résout le problème de la matière. C’est là qu’est tout son effet auquel nous ne pouvons rien opposer. Le courage de mourir ne s’oppose ni ne se confronte à la matière ou à la mort, il ne déborde pas de notre être. Si nous pouvions concevoir l’étance de l’être nous pourrions concevoir aussi le courage de mourir, l’étance de notre être fondé dans notre capacité à mourir qu’elle soutient jusqu’à la mort. Exploit qui serait parfaitement inutile puisque nous ne pouvons rien ajouter à son action par la nôtre, sinon une action de grâces pour ce que nous ne nous sommes pas donné, l’ajustant ainsi à notre visée en le réduisant à la dimension d’une possibilité d’événement, l’alternative d’une action, par un saut imaginaire qui consisterait à le nommer la gratitude, recueillement dans la gratitude.
* Francis Scott Fitzgerald. The Great Gatsby