Les refusés du Printemps!

Les Incitations

27 mars
2003

Les refusés du Printemps!

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En partie éclipsé par les préparatifs de guerre américains, le Printemps des Poètes a encore frappé ces jours-ci pour la cinquième fois. Vaste opération de communication surannée ayant allégrement surfé sur le récent regain d'intérêt pour la poésie en France, décriée dès sa naissance quant à ses objectifs et ses moyens, et ayant du moins laissé dubitatifs bon nombre d'observateurs et de poètes eux-mêmes, cette édition a davantage senti l'automne, pour ne pas dire l'hiver du déplaisir, qu'elle n'a manifesté une volonté réelle d'innovation et de diffusion de la création contemporaine.
Esbrouffe socio-pédagocico-culturelle au budget conséquent (près de 400 000 €) où la poésie ne sert en fin de compte que d'alibi vaguement culturel, relayée par une certaine presse étrangement complaisante, le Printemps des Poètes semble s'être définitivement enfermé dans un discours consensuel, ne permettant plus de comprendre l'enjeu même de la poésie. Si bien que force est de se demander : à quoi, et à qui, cela sert-il vraiment, en des temps où chaque cent pour l'aide à la création contemporaine est compté ?
Jean-Pierre Siméon, son directeur, quelque peu coincé par un héritage assez lourd à gérer, avait placé cette édition sous le signe de la « lecture » considérée non seulement comme la voie royale de la poésie, mais surtout comme l'unique vecteur de sa « popularisation ». Soit : pourquoi pas ? Sinon qu'il n'y avait déjà là pas grande originalité et, qu'en ce début de 21° siècle, on s'attendait tout de même à une autre approche, plus en phase avec l'actuelle grave crise internationale (dans laquelle certains poètes contemporains ne cessent d'intervenir, essentiellement sur le web - par l'image ou le texte - , depuis quelques temps, tel Philippe Boisnard avec sa série WarZ). Ainsi, après le traditionnel meeting poétique inaugural toujours mené de main de maître par André Velter, et qui aurait amplement suffi à l'exercice du genre, cette édition proposait des « brigades d'intervention poétique » conduites par des poètes dans le cadre scolaire, mettait à disposition de qui en voulait des « poètes en appartement », ou continuait de parsemer nos environnements urbains de « bannières poétiques », et autres initiatives curieusement propagandistes paraissant héritées d'une certaine époque de la culture obligée pour tous... Bref, tout était fait, à force de marquer le trait, pour indisposer qui désirait vraiment prêter une demi oreille une fois l'an à la « poésie », comme si, décidément, le cœur n'y était plus.
Toute cette démagogie ne prêterait pas à conséquence (depuis le temps qu'on nous intime le garde-à-vous culturel) si, cette année, le Printemps des Poètes ne s'était targué d'innover en lançant l'opération « L'écran des poètes », ayant pour moment phare un festival du film de poésie, « Poem », dont l'objectif initial était de faire découvrir ou de refléter ce qui s'était fait depuis vingt ans en matière d'images et de poésie, le tout sous forme de concours (ayant pour seul enjeu une hypothétique diffusion sur Arte), entre des oeuvres supposées postérieures à 2000 qui se devaient d'être « denses » & poétiques tout en ayant pour sujet la poésie ou les poètes, créées par des poètes ou à partir de textes poétiques. Vaste programme, alléchant s'il avait été tenu, présenté durant trois jours dans une petite salle d'arts et d'essai parisienne, et qui devait déboucher sur des relais simultanés par des cinémas en province puis, « à terme », le soutien à la création numérique ou multimédia en la matière. Or le moins que l'on puisse dire de ce volet « novateur » du Printemps des poètes est qu'il fut organisé avec un amateurisme, témoignant d'une méconnaissance et d'un mépris pour la création contemporaine tels qu'on n'en retiendra que le ratage en format cinémascopique.
En effet, outre des procédures et des critères de présélection pour le moins opaques (impossible de savoir qui participait vraiment au comité de présélection et sur quels critères objectifs ils se basaient pour faire leur choix), l'absence dans le jury de personnalités emblématiques en terme de création poétique & d'images, une crasse ignorance revendiquée de ce qui se fait en la matière depuis déjà une dizaine d'années ou même des procédures d'aide publique à ce genre de manifestation (en particulier du dispositif Dicréam mis en place par le CNC), bon nombre des professionnels et artistes oeuvrant dans ce domaine se sont étonnés de n'avoir même pas été sollicités pour y participer. Quant aux rares, étonnés de cet « oubli », qui se sont spontanément manifestés et ayant fait parvenir leurs œuvres, ils eurent la surprise de se les voir refusées en bloc et, pour ceux qui eurent cette chance, retournées ! Ainsi, c'est toute la « génération numérique » qui a été poliment priée de rester à la porte, sans doute pour ne pas troubler les projections de ce qui s'était autoproclamé comme étant du "cinémapoem". Car à part du Pierre Alféri à chaque séance (toujours sympathique à se visionner mais sans grande novation réelle), et un film court de Vincent Ravalec (dont on ignorait qu'il était poète) datant de 1994, tout ce qui avait été sélectionné, relevant exclusivement du cinéma expérimental ou du film documentaire pontifiant, ne reflétait absolument pas la création poétique en lien avec l'image depuis vingt ans. Or, s'il y a bien eu une révolution artistique et esthétique, en France et dans le monde, depuis le milieu des années 80, c'est bien dans le domaine « numérique », et plus spécifiquement de la poésie numérique (mêlant textes, images, et sonorités électroniques grâce aux nouvelles technologies) où se retrouvent bon nombre des poètes de la nouvelle génération ; celle qui, concrètement, ouvre aujourd'hui les lignes d'une poésie de demain.


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Ainsi, grâce au Printemps des Poètes, la France pourra se féliciter cette année d'avoir renoué avec ses bonnes vieilles traditions, ignorant ses créateurs les plus novateurs pour les reléguer au Salon virtuel des refusés...


Noms _ Structures :
Franck Laroze _ EvidenZ ; Philippe Boisnard _ Trame Où est ; Eric Sadin _ eca/rtS ; Philippe Castellin _ AKENATON/DOC(K)S ; Joachim Montessuis _ Erratum / Julien d'Abrigeon _ T.A.P.I.N. ; Jérôme Duval _ artiste nouveaux médias
Le commentaire de sitaudis.fr Extraits d'un communiqué de la "génération numérique".