Manifeste par Les Sons Fédérés, extraits

Les Incitations

24 févr.
2020

Manifeste par Les Sons Fédérés, extraits

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Par plus de cent-soixante artisan·es de la radio, de l’écoute, de la critique et de la création sonore, initialement réuni·es en assemblée générale à Brest le 9 février 2020, à l’occasion du festival Longueur d’Ondes. Les signataires sont investi·es dans les structures suivantes, sans que cela n’engage la signature de ces dernières : Acentrale, Addor (Association pour le développement du documentaire radio et de la création sonore), Arte Radio, Asu (Association sonore et utopique), Bricoles - fabrication sonore, dB (Dixième de Bel), canalsud, Le Caso (Collectif des autrices et auteurs sonores d’Occitanie), La CNRA (Confédération nationale des radios associatives), Collectif Rada-Labelle Bleue, Compagnie Ondas, Convergence, Le Creadoc, L’École Louis Lumière, Espaces Sonores, Faïdos Sonore, Fair_Play, France Culture, France Inter, Fréquence Paris Plurielle, Ici ta Voix, Jef Klak, Jet FM, Le Bruitagène, Modulation, Nova, Phaune Radio, ?node, rAAdio cAArgo, Radio Campus Paris, Radio Déclic, Radio Dedans Dehors, Radio Escapades, Radio Fañch, Radio Pikez, Radio Station Essence, Transmission.

Nous existons. Nous sommes à l’écoute du monde. Nous explorons des espaces d’écoutes et de créations. Nous travaillons collectivement et individuellement, souvent en réseau. Nous sommes les artisan·es de la création sonore et radiophonique, du documentaire, de la fiction, du field recording, des balades sonores, du hörspiel, des dispositifs acousmatiques, de l’art radiophonique et sonore, des ateliers sonores, des écoles sonores, de l’écoute, des formations à la radio et à la création sonore, de l’éducation aux médias radios, de la critique sonore et radiophonique, de l’audionaturalisme, des reportages, des entretiens, des mille formes diffusées à la radio, en podcast, en flux, dans les musées, dans l’espace public, au théâtre, sur internet, dans de multiples endroits et sous de multiples formats. Nous sommes ensemble, riches de nos diversités. Toutes nos pratiques fabriquent du commun et nous sommes fier·es d’y contribuer.

Nous sommes cependant fragiles. Ce que nous produisons n’est que très rarement rémunéré à la hauteur du temps, de l’énergie et des savoir-faire engagés. Salarié·es, pigistes, intermittent·es, autoentrepreneurs·euses, auteurs·trices, artistes ou bénévoles, nous demeurons précaires et devons bien souvent tisser des formes de vie complexes entre plusieurs métiers.

Nous amplifions l’écoute et la compréhension de ce monde. Nous sommes tout autant déterminé·es à en faire résonner les violences et les fragilités que les beautés et les solidarités. Nous sommes très heureux·ses de voir combien ces univers sonores attirent de nouvelles personnes, toujours plus diverses. Quelles que soient leurs connaissances techniques ou esthétiques, nous ouvrons nos oreilles à ces nouveaux possibles qui surgissent et tentons d’en être les passeuses et les passeurs. Mais aujourd’hui, nous sommes inquiet·es face à la montée en puissance de ce que nous nommons le podcast industriel, à savoir les structures de production et de diffusion (au premier rang desquelles des studios privés et des radios publiques) qui se saisissent du son de façon comptable, pour en détruire tout ce qu’il fabrique de commun : modèle consumériste de la production sonore, réduction drastique des temps de captation comme de montage, recours massif à des banques de sons, centrage sur le discours efficace aux dépens de l’immense “reste” de la voix et du sonore, confusion entre formats publicitaires et journalistiques, quantification de l’écoute des auditeurs et des auditrices... Nous constatons dans ce milieu un appauvrissement de l’écriture sonore, ainsi qu’une récurrente méconnaissance de l’histoire de la radio et des expressions sonores les plus diverses, comme de leurs acteurs et actrices. Sans parler de l’abandon manifeste du travail sonore, comme si un siècle de recherche sur la narration et la musicalité des sons n’avait pas existé …

Ce sont aussi, de manière sourde, des micros tendus qui disparaissent, des minorités que l’on n’entend plus, des mondes qui ne sont plus écoutés. Cette mission relève en partie des médias locaux de proximité que sont par exemple les radios locales associatives et un nombre croissant de webradios aux formats très variés. Il est nécessaire de se prononcer pour un projet de société où ces caisses de résonance locales puissent aussi continuer à porter la parole de celles et ceux qui sont peu présent·es dans les flux mainstreams. Ceci d’autant plus que la standardisation des formats d’écriture sonore au profit d’une manière de raconter des histoires centrée sur une voix narrative (storytelling promu par le podcast nord-américain) contribue à une sur-représentation de certaines thématiques et classes sociales. A contrario, l’écoute des radios associatives non-commerciales ou des webradios indépendantes donne à entendre la tentative de bâtir en actes une véritable démocratie sonore, où chacun·e, indépendamment de son niveau de richesse ou de rhétorique, peut prendre la parole et où le sonore dans toute sa variété trouve sa place. Nous nous réunissons au sein des Sons Fédérés, assemblée des artisan·es radiophoniques et sonores, car nous voulons retrouver les moyens d’avoir le temps et l’espace nécessaires pour développer une création sonore protéiforme, élaborée, libre, artisanale... Nous voulons une autre politique du son – de sa création, de sa diffusion, bref de sa place dans la formation démocratique – mais nous voulons aussi un autre son de la politique. Pas la politique dans sa version managériale et sécuritaire, aujourd’hui dominante, mais la politique comme questionnement sur notre façon de nous organiser collectivement. Que les beautés, les fragilités, les solidarités, la gratuité et le partage que nous travaillons à amplifier ne deviennent pas des objets industriels appauvris et produits en série. Qu’au contraire, ils demeurent possibles.

Nous voulons que résonne un autre son du monde.

Les Sons Fédérés
Assemblée des artisan·es radiophoniques et sonores

ecoute@sons-federes.org