MOINDRE MAL par Daniel Farioli
Mots : Poétesse ? Poète ?
Pour ma part, je préfère, de très loin et de très près : une « poétesse. » C’est un mot qui certes peut rimer avec des choses fort désagréables comme fesse, fèces, stratoforteresse, scélératesse (mot sympathique à l’occasion) et bien d’autres, mais qui a le privilège de rimer avec déesse et princesse, deux mots qui font partie de mes mythologies, mots que j’emploie souvent avec plaisir et que j’aime.
Poétesse, fait mystérieux et désuet : cela m’enchante : maintenant, au minimum, la poésie se doit d’être désuète.
En désuétude la poésie ?
Je souhaite ardemment qu’elle le devienne de plus en plus et qu’elle perde son air de revenez-y.
Je souhaite que cette désuétude, qui au contraire de la faire tomber, l’élève, soit le sceau du secret sucré et du sacré salé.
Je souhaite aujourd’hui, qu’après avoir été parmi les moyens d’expression les plus populaires (au temps des trouvères), la poésie puisse devenir le moment d’expression le plus sophistiqué, le plus élitiste, le plus exclusif : une nouvelle Arche d’Alliance, introuvable (même par le plus zélé des anthropologues troubadours grassement payé par Hollywood).
Je souhaite que cette Arche d’Alliance soit dédiée aux dieux de certains végétaux, ni ceux des poireaux, ni ceux des pommes de terres (comme dit la chanson), mais ceux des plantes vénéneuses ou carnivores, des acacias, des yarpic et des cactus aux épines les plus acérées.
Aux environs de 1970, j’ai crié :
« A mort la poésie »
Il est temps de proclamer son enterrement.
Je souhaite, qu’extirpé du Bottin mondain, délivré de son régime alimentaire – la bouillie pour pioupiou –, ce mot devienne si maigre et si rare qu’il ne puisse plus, par ignorance, être employé par toutes les bouches pleines de crocs brossés avec le meilleur des dentifrices.
Je souhaite que son souffle fatigué (épuisé) cesse de passer entre toutes ces dents trop blanchies.
Je souhaite que ce mot Poésie, qui a trop fait l’aumône, qui a assez arpenté nos trottoirs le cul à l’air, se fasse oublier, se couvre d’une multitude de couches de lichens, qui, contrairement à l’eau de Saône, ne font pas le beau teint aux demoiselles.
Je souhaite que Paulette Poésie, arrête de branler les bites gratos avec moins de dignité que la vieille et ridée 3615 ULA.
Je souhaite que Paulette Poésie arrête de faire des pipes qui n’en sont pas avec moins de charme que le hardcore de Méga porn.
Je souhaite, qu’émancipée au plus profond d’elle-même, la poésie oubliée, sans attaches, devienne un plan de guerre à très long terme, destiné aux ultra rares alchimistes du sens de nos jours et ceux encore plus rares de demain. Une discipline trempée dans le curare, tabouisée sans totems. Réservée, hors de sa réserve de Sioux si peu Apaches. Une espèce de l’esprit protégée, le plus possible à l’abri de la vulgarité des humains. Cette vulgarité, comme un lisier, coule, coule encore et recouvre tout. Tout. C’est-à-dire : tout.
Poètes, au nom qui sonne comme un piètre klaxon, mettez vos textes à l’abri dans des petits coffres en plomb et enterrez-les dans les clairières de forêts inaccessibles, sous des anciennes aires de battage oubliées. Ne communiquez que poisons et antidotes à ceux dont vous savez avec certitude, mais extrême méfiance, qu’ils ont la délicatesse de ne pas laisser l’univers mettre n’importe quel mot à côté d’un autre. Cryptez les bribes fulgurantes de vos esprits, comme s’ils étaient un code secret pour intensifier vos belligérances. Oui, un langage crypté à vie, pour qu’il puisse un jour, dans quelques millénaires, si possible, se préparer à l’irruption d’une autre conscience : celle des mandragores à venir.