24 déc.
2004
Pierre Assouline, le journaliste et son double.
La grande presse rend compte du conflit qui oppose la Commission Poésie du CNL au Président de celui-ci : il y a eu d'abord l'Humanité du 8/12 qui a publié la pétition et ses premiers signataires puis un article de Libération dans le supplément Livres du 9/12 ; mais avec le temps qui s'écoule et l'écho qui nous parvient de hauts responsables ébranlés, il semble que la parole ne puisse désormais plus être le fait des seuls journalistes, d'autres s'y collent avec plus ou moins de talent.
Pierre Assouline, auteur de biographies à succès (surtout celle d'Hergé), signe chaque semaine des billets d'aigreur dans Le Monde 2, ce magazine qui essaie de faire du people pour penseurs du week-end et permet de vendre 2 € 50 le quotidien daté du samedi.
Avec le ton du journaliste d'investigation et sous un titre emprunté à la première ligne de l'article de Libé ci-dessus mentionné (ce n'est pas la 1ère fois qu'au Monde, on suit ou plagie le grand rival), RIFIFI CHEZ LES PO»TES, il tente de se faire le porte-voix d'Eric Gross, ce Président du CNL que la pétition de la Commission Poésie vient de mettre en difficultés en dénonçant ses incroyables abus de pouvoir.
Pour notre enquêteur, digne héritier de Rouletabille, l'affaire est limpide : il y a dix ans, les enquêteurs de la Cour des Comptes auraient mis au jour que l'Etat entretenait un certain nombre de plumitifs selon des critères flous et guère transparents mais nul n'osa donner un coup de pied dans la fourmilière, si bien que le récemment nommé Eric Gross s'emploierait désormais à le faire comme sa mission le lui impose. Les choses étant ainsi cadrées avec la meilleure foi du monde et le moins de clichés possibles, on peut aligner ensuite une série d'arguments, certainement puisés à la meilleure source affectionnée des milieux bien informés et qui font leur bon travail de vrais professionnels de la profession, recoupant vrais mensonges avec mensonges vrais et fausses confidences, justifiant toutes les contre-décisions de Gross et tentant de présenter les poètes de la Commission comme un réseau d'assistés irresponsables, exemple : Assouline se permet d'écrire que Gross a rétabli des subventions dont (la Commission) ne voulait pas entendre parler...aux éditions José Corti comme si cet éditeur était victime des lubies d'un réseau hostile alors qu'on peut compter sur les doigts de la main les fois où DES LIVRES proposés par cette maison n'ont pas recueilli l'assentiment des poètes-experts! Tout est de la même eau, du même fiel finement distillé au fil de faits soigneusement omis et ce pourrait être quasiment normal dans le cadre d'une bonne guerre, de la part d'un écrivain à succès (commerciaux), défenseur zélé des gens mis en place par le pouvoir, au moment même où Eric Gross risque d'être fragilisé par une mobilisation ; avec un clivage évident, d'un côté dix-sept poètes soutenus par plus de 355 écrivains et de l'autre Pierre Assouline qui, dans l'isolement de son natif génie, se demande comment d'autres grands esprits (il en distingue trois : Michel Deguy, Yves Bonnefoy et Hélène Cixous, une femme pour le quota!), comment des intellectuels d'aussi haute qualité peuvent se trouver dans le camp d'en face, dans le camp de ceux qui, contrairement à lui, ne haïssent pas la poésie qui se publie aujourd'hui! Sans doute ces trois-là (et peut-être quelques autres?!) auront été abusés par quelques meneurs?!
Rhétorique familière et transposable dans bien d'autres domaines ; ce qui étonne davantage et scandalise, ce qui fait basculer cet article dans l'abject de la guerre sale, c'est la façon dont Assouline livre à la vindicte publique et au poujadisme ambiant, les noms de Dominique Meens et d'Emmanuel Laugier. Le premier se voit reprocher d'obtenir tous les quatre ans depuis dix ans...cette allocation que ses défenseurs voulaient augmenter à l'ancienneté, affirmation aussi fausse qu'idiote... et pourtant non dénuée d'efficacité, peut-être en raison de sa fausseté et de son idiotie mêmes ! Car une fois le doute savamment instillé chez le lecteur non averti, comment le convaincre que l'aide accordée à Meens l'a été en toute impartialité, et sur la base de critères exclusivement artistiques ? On pourrait certes rappeler que si la commission a voté à l'unanimité une année sabbatique pour Meens, c'est parce que celui-ci répondait à tous les critères administratifs (validés par le bureau compétent), que la somme était budgétée mais surtout parce que son travail littéraire justifiait amplement de la lui attribuer, sur la base d'un rapport écrit argumenté, lu devant toute la commission en séance pleinière, en présence de la représentante d'Eric Gross, secrétaire générale du CNL. Hélas, cela n'empêchera probablement pas le doute de persister dans l'esprit du lecteur de l'article d'Assouline. C'est le but recherché, le procédé bien connu, est éprouvé mais indigne. Inutile de le nommer, il apparaît sous la plume même de celui qui l'utilise, dans son attaque, tout aussi détestable, contre Emmanuel Laugier. Celui-ci est accusé de surenchérir dans le catastrophisme pour embarquer en vain tous les experts (des autres commissions NDLR) du CNL...sur un ton légèrement diffamatoire, sic !!! Il n'y a guère que le réseau maintenant fameux du député Didier Julia pour manipuler de l'information avec autant de...légèreté.
Là, l'habituelle et notoire servilité du plumitif a basculé dans la peur et une haine rageuse (qui n'exclut malheureusement pas les stéréotypes habituels sur les poètes), témoignant de l'importance prise par cette affaire pourtant qualifiée de minuscule! Et lorsqu'on découvre dans ce lyrisme assoulinien qui flirte si souvent avec les degrés les plus hauts du Parnasse, que les dix-sept poètes experts...boycottèrent le déjeuner offert par le CNL mais n'allèrent pas jusqu'à renoncer à leur pouvoir en démissionnant en bloc, ce qui n'aurait pas manqué de panache, l'on saisit tout le désappointement du sieur qui aurait aimé voir les poètes d'aujourd'hui en lecteurs-imitateurs du Cyrano de Rostand tandis qu'ils lui préfèrent le Clausewitz de Debord et tous ceux qui, comme lui, désaffublent les gros nez des laquais.
Lors d'une interview publiée sur le site de Gallimard à propos de son livre Double vie, Pierre Assouline affirme avoir amorcé grâce à son œuvre une réflexion éthique qui n'est pas sans rapport avec la façon dont il exerce son métier et ne peut que soulever notre admiration non pas tant à cause de son originalité que pour l'intense franchise qui en travaille la forme :
À partir de là, mes personnages me servent à réfléchir sur la duplicité : où s'arrête le mensonge, où commence la trahison ?
L'article d'Assouline aurait pu commencer là où s'arrêtait l'interview téléphonée d'Eric Gross, par des éléments recueillis auprès de la Présidente de la Commission Poésie et d'autres membres du CNL puis par une tentative d'analyse du conflit et de ses enjeux, mais sans doute trop absorbé par les spéculations déontologiques que l'on voit et l'élaboration des romans qui l'assistent dans cette tâche sublime, il s'est bien gardé de le faire.
Pierre Assouline, auteur de biographies à succès (surtout celle d'Hergé), signe chaque semaine des billets d'aigreur dans Le Monde 2, ce magazine qui essaie de faire du people pour penseurs du week-end et permet de vendre 2 € 50 le quotidien daté du samedi.
Avec le ton du journaliste d'investigation et sous un titre emprunté à la première ligne de l'article de Libé ci-dessus mentionné (ce n'est pas la 1ère fois qu'au Monde, on suit ou plagie le grand rival), RIFIFI CHEZ LES PO»TES, il tente de se faire le porte-voix d'Eric Gross, ce Président du CNL que la pétition de la Commission Poésie vient de mettre en difficultés en dénonçant ses incroyables abus de pouvoir.
Pour notre enquêteur, digne héritier de Rouletabille, l'affaire est limpide : il y a dix ans, les enquêteurs de la Cour des Comptes auraient mis au jour que l'Etat entretenait un certain nombre de plumitifs selon des critères flous et guère transparents mais nul n'osa donner un coup de pied dans la fourmilière, si bien que le récemment nommé Eric Gross s'emploierait désormais à le faire comme sa mission le lui impose. Les choses étant ainsi cadrées avec la meilleure foi du monde et le moins de clichés possibles, on peut aligner ensuite une série d'arguments, certainement puisés à la meilleure source affectionnée des milieux bien informés et qui font leur bon travail de vrais professionnels de la profession, recoupant vrais mensonges avec mensonges vrais et fausses confidences, justifiant toutes les contre-décisions de Gross et tentant de présenter les poètes de la Commission comme un réseau d'assistés irresponsables, exemple : Assouline se permet d'écrire que Gross a rétabli des subventions dont (la Commission) ne voulait pas entendre parler...aux éditions José Corti comme si cet éditeur était victime des lubies d'un réseau hostile alors qu'on peut compter sur les doigts de la main les fois où DES LIVRES proposés par cette maison n'ont pas recueilli l'assentiment des poètes-experts! Tout est de la même eau, du même fiel finement distillé au fil de faits soigneusement omis et ce pourrait être quasiment normal dans le cadre d'une bonne guerre, de la part d'un écrivain à succès (commerciaux), défenseur zélé des gens mis en place par le pouvoir, au moment même où Eric Gross risque d'être fragilisé par une mobilisation ; avec un clivage évident, d'un côté dix-sept poètes soutenus par plus de 355 écrivains et de l'autre Pierre Assouline qui, dans l'isolement de son natif génie, se demande comment d'autres grands esprits (il en distingue trois : Michel Deguy, Yves Bonnefoy et Hélène Cixous, une femme pour le quota!), comment des intellectuels d'aussi haute qualité peuvent se trouver dans le camp d'en face, dans le camp de ceux qui, contrairement à lui, ne haïssent pas la poésie qui se publie aujourd'hui! Sans doute ces trois-là (et peut-être quelques autres?!) auront été abusés par quelques meneurs?!
Rhétorique familière et transposable dans bien d'autres domaines ; ce qui étonne davantage et scandalise, ce qui fait basculer cet article dans l'abject de la guerre sale, c'est la façon dont Assouline livre à la vindicte publique et au poujadisme ambiant, les noms de Dominique Meens et d'Emmanuel Laugier. Le premier se voit reprocher d'obtenir tous les quatre ans depuis dix ans...cette allocation que ses défenseurs voulaient augmenter à l'ancienneté, affirmation aussi fausse qu'idiote... et pourtant non dénuée d'efficacité, peut-être en raison de sa fausseté et de son idiotie mêmes ! Car une fois le doute savamment instillé chez le lecteur non averti, comment le convaincre que l'aide accordée à Meens l'a été en toute impartialité, et sur la base de critères exclusivement artistiques ? On pourrait certes rappeler que si la commission a voté à l'unanimité une année sabbatique pour Meens, c'est parce que celui-ci répondait à tous les critères administratifs (validés par le bureau compétent), que la somme était budgétée mais surtout parce que son travail littéraire justifiait amplement de la lui attribuer, sur la base d'un rapport écrit argumenté, lu devant toute la commission en séance pleinière, en présence de la représentante d'Eric Gross, secrétaire générale du CNL. Hélas, cela n'empêchera probablement pas le doute de persister dans l'esprit du lecteur de l'article d'Assouline. C'est le but recherché, le procédé bien connu, est éprouvé mais indigne. Inutile de le nommer, il apparaît sous la plume même de celui qui l'utilise, dans son attaque, tout aussi détestable, contre Emmanuel Laugier. Celui-ci est accusé de surenchérir dans le catastrophisme pour embarquer en vain tous les experts (des autres commissions NDLR) du CNL...sur un ton légèrement diffamatoire, sic !!! Il n'y a guère que le réseau maintenant fameux du député Didier Julia pour manipuler de l'information avec autant de...légèreté.
Là, l'habituelle et notoire servilité du plumitif a basculé dans la peur et une haine rageuse (qui n'exclut malheureusement pas les stéréotypes habituels sur les poètes), témoignant de l'importance prise par cette affaire pourtant qualifiée de minuscule! Et lorsqu'on découvre dans ce lyrisme assoulinien qui flirte si souvent avec les degrés les plus hauts du Parnasse, que les dix-sept poètes experts...boycottèrent le déjeuner offert par le CNL mais n'allèrent pas jusqu'à renoncer à leur pouvoir en démissionnant en bloc, ce qui n'aurait pas manqué de panache, l'on saisit tout le désappointement du sieur qui aurait aimé voir les poètes d'aujourd'hui en lecteurs-imitateurs du Cyrano de Rostand tandis qu'ils lui préfèrent le Clausewitz de Debord et tous ceux qui, comme lui, désaffublent les gros nez des laquais.
Lors d'une interview publiée sur le site de Gallimard à propos de son livre Double vie, Pierre Assouline affirme avoir amorcé grâce à son œuvre une réflexion éthique qui n'est pas sans rapport avec la façon dont il exerce son métier et ne peut que soulever notre admiration non pas tant à cause de son originalité que pour l'intense franchise qui en travaille la forme :
À partir de là, mes personnages me servent à réfléchir sur la duplicité : où s'arrête le mensonge, où commence la trahison ?
L'article d'Assouline aurait pu commencer là où s'arrêtait l'interview téléphonée d'Eric Gross, par des éléments recueillis auprès de la Présidente de la Commission Poésie et d'autres membres du CNL puis par une tentative d'analyse du conflit et de ses enjeux, mais sans doute trop absorbé par les spéculations déontologiques que l'on voit et l'élaboration des romans qui l'assistent dans cette tâche sublime, il s'est bien gardé de le faire.