Billy the Kid, Œuvres complètes de Michael Ondaatje par Éric Darsan

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27 juin
2018

Billy the Kid, Œuvres complètes de Michael Ondaatje par Éric Darsan

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(Auto-)Biographie libre et sans-façon, réunie en une matière, manière de. Clichés néga-/posi-tifs, surex — posés là, tremblant comme sur de la gélatine. Pas à pas à côté de la plaque, mais tout comme. Fait de vrai(e)s faux comme il faut, de faux vrais pas comme il faudrait. Ici rien ne prêche, ne plaide, ne prétend — au contraire de La véritable histoire de Billy the Kid par Pat Garrett. La patte qu'il faut pour esquisser, jouer de et sur toute la palette. En cariste virtuose, en peintre furtif, sculpter à la gâchette et bomber le pochoir. Dans un mouchoir de poche : Billy, nœud coulant pour ne pas oublier de regarder devant soi(e), les oreilles en arrière, comme un chat.

 

« Non pas une histoire à mon sujet vue par leurs yeux. Trouver le début, la petite clé en argent pour la déterrer. Voici un labyrinthe pour commencer, pour se perdre. »

 

Portrait du jeune homme en artiste, en auteur (pas vu pas pris, comme Pynchon). Le bras en échappe, la main qui libère, par le colt accomplit ce qu'il aurait dû faire : (ab)battre Pat Garrett (comme un lapin) tant qu'il était chaud. Se passer de ses commentaires, donner enfin sa version. Balancer les noms, les faits. Action, action. S'attribuer quelques morts de plus. Et puis non : l'adrénaline descend, sueur froide qui coule le long de l'échine à la découverte de Boot Hill. Babel souterraine, chtonienne, archétype du cimetière de l'Ouest. Où se tiennent corps à corps, droits dans leurs bottes et les pieds devant, les victimes — mort(e)s violent(e)s, fait(e)s d'hommes exclusivement. Ce que c'est de tuer quand même.


Dans ces Œuvres complètes, Billy disserte (« si j'avais l'esprit d'un reporter je dirais eh bien que certaines valeurs sont physiques »), poétise, en rajoute (presque trop, comme s'il (ne) réalisait (pas)) une couche (de sang, d'épiderme) pour bien sentir les veines, les tempes. Il faut du corps pour survivre, des éléments pour se mouvoir. Eprouver enfin la sensation d'une soudaine, pleine et entière acuité (« en réalité c'est la couleur et la lumière qui m'ont incité à rester, pas la fièvre. »). Se découvrir sainement animal, vivre en bon voisinage, jusqu'à (entre)voir dans la folie des machines et des rats saouls la perversion des hommes. C'est pitié tout cela, mercy d'y mettre fin.

 

« Pat Garrett, l'assassin idéal (…) Il avait peur des fleurs parce qu'elles poussaient si lentement qu'il était incapable de deviner leurs intentions. Il devint un esprit supérieur en tirant profit des énormes erreurs de ceux qui l'entouraient. Les fleurs l'observaient. »

 

Passé(,) l'histoire des trépas, celle de la vie de Billy. Matin d'enfance (pas moyen > le souvenir de Charlie, plaie ouverte). Flirt (Sally Chisum < une balle). Garrett, toujours lui. Lui retourner comme une gi(ro)fl(é)e la morphopsychologie, le portrait angélique (plus fin Billy, plus fort aussi en ironie) que le shérif a établi. Garrett : fumier, alcoolique, malfrat devenu flic pour légitimer ses forfaits — « un assassin sensé un assassin sensé un assassin sensé un assassin sensé un assassin sensé assassin. » Censé assassiner donc, et le faire bien (sans pour autant bien faire). Comme pour asseoir la version des (mé)faits le marshall et un(e) photographe s'immiscent entre les pages.

 

Quelques clichés (ré)apparaissent, se développent avec l'histoire. Billy/Ondaatje reconstitue la matière, les images. Longuement, celles de cette vie. Belle, poétique, onirique, toute en sensations, aux côté de Sallie, de John Chisum — « A quinze pas il y avait des oiseaux aux couleurs éclatantes dans des cages, et John Chisum et moi on marchait, corps étranges. » Rattrapée par la contagion des rats fous, la proximité des « pas proches », des « choses qui rampent partout faut penser à la vague de fourmis » l'envahit. Billy songe, rêve, voit, imagine. Le réel parfois sur-git/-prend Billy à la gorge. Se dédouble, ou non. S'invente.

 

«  / pendant que je continue
le sang de mon poignet
a voyagé jusque mon cœur. »

 

William Bonney, le gaucher, fait irruption dans sa vie. Et c'est comme une révélation pour Billy ce Billy de trop, invité mystère et tueur de chat providentiel, surnaturel, terrifiant. Billy se reprend. Assassins et chasseurs, même combat (« les gens les plus gentils partout dans le monde »). Et l'absurdité (des raisons) de tout cela. Et Tom (Tom boy – Oh Boy – tombé pour de bon). Et Charlie, les fleurs, les mouches. L'histoire d'Henry le bâtard, Livingston et sa « race de chiens fous » dégénérés, consanguins et alcooliques (« C'est une vilaine histoire, Henry, hein ? »). La chanson de Miss Angela D., la mort de Tunstall. Un Billy vivant, humain, tout en sensations et sentiments, qui veille chastement, parle franc, cuve et décuve. Garrett est là – qui dort (lâcheur), intervient (contre les lyncheurs) – des siens, pour une fois/le moment.

 

Bientôt, à la chaleur du soleil, à l'obscure clarté des étoiles, succèdent. Le froid du barillet et de la raison du plus fort, le poids de la crosse et de la culpabilité. Le destin dont on se passerait bien. « Chevaux et trains chevaux et trains ». D'enfer, le rythme. Et le soleil, devenu tortionnaire [dans une scène surréaliste, lysergique et discordien, very bad trip déconseillé aux personnes sensibles où corps et sang et sexe et religion se mettent en méninge pour le pire]. Billy, victime d'Ondaatje ou de Jésus, ne sort pas (grandi/vivant) de son rite d'initiation. Il est pris, condamné à mort (suit son interview en prison). S'enfuit, aidé par des gosses à sa sortie. Les témoignages diver(gent/)s. Se suivent et ne lui ressemblent guère. Au fond, une fois encore, Billy n'est jamais que ce que les adultes font de lui, Ondaatje compris.

 

« Sur la base de ces sources, j'ai modifié, reformulé et quelque peu retravaillé les documents originaux. Mais les sentiments restent ceux de leurs auteurs. »

 

Fast is fine, but accuracy is everything. On l'a dit, on le répétera : la rapidité c'est bien, mais la précision c'est tout. Billy, s'il perd la vie, conserve l'avantage de celui qui tire le second. On ne peut plus le tuer et il peut répondre plus justement (la meilleure défense c'est la contre-attaque) à son dézingueur. Les leçons et constats, le portrait qu'il tire de Garrett valent à leur pesant d'or. Mais c'est l'angle, le regard intérieur, sensible et déréglé (on le serait à moins) par les événements qui lui sont attribués qui font toute la richesse de ce Billy. Sorti en 1970, traduit Marie-Odile Fortier-Masek et édité pour la première fois en grand format chez Actes Sud en 1996 puis cette seconde fois par Michel Lederer chez l'Olivier et réédité dans la collection poche Points du Seuil en 2007, Billy the Kid, Œuvres complètes, de Michael Ondaatje, initialement intitulé plus justement The Collected Works of Billy the Kid et adapté par lui pour le théâtre, porte de manière ostentatoire la marque de son époque et de son auteur.

 

Phrases inachevées, décalées, collages, retraits, onomatopées, encadrés, extraits, cut-up et détournements en tous genres ; entre documentaire, fantastique, réalisme magique, éristique et expérimentations littéraires, ces travaux poussent à regarder dans toutes les directions. Les variations se multiplient, superfétatoires, autour de Billy. Tentent de trouver une place au mort réfractaire malgré lui (« Désolé d'avoir semé un peu de désordre, Princesa. ») au cœur de cet ouvrage fin, aéré, mais dense et parfois oppressant. Works in progress, ces minces Œuvres complètes en complètent de plus vastes en vérité. Il y aura d'autres Billy, on le souhaite plutôt qu'on ne l'espère (la tentation d'en écrire un, la sensation que l'effet ne dépassera jamais les faits, du déjà fait, le désir d'autres mèmes). En attendant, à l'instar du Pas Billy the Kid de Julien d'Abrigeon (en révolté porté par le flot, qui grandit avec sève), le Billy the Kid, Œuvres complètes d'Ondaatje (déjà mû par la vie, qui s'éteint) – évoqués de concert, A l'ouest du nouveau, par Pierre Ménard sur Sitaudis – ravit et fige par sa beauté.

 

 

 

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