Notes de voix d'Anael Chadli par Éric Darsan

Les Parutions

20 sept.
2017

Notes de voix d'Anael Chadli par Éric Darsan

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Voi-es/x, comme en écho, vois : ce qui s'avance, se dessine, sans entendre encore d'où (pro)viennent ces Voix. A la suite de Marie Cosnay qui les préface, (re)chercher les mots qu'il faut pour lire, (pré)dire, ce que (pré)figurent ces Notes. Poser comme condition (sine qua non sinon à quoi bon) le(s) silence(s) et les rés-eau/on(n)ances qui naissent de l'absence de l'œuvre dont il est question. Secouer le livre, en tirer (à part) trois reproductions, prémices aux correspondance(s) que nous dévoile le premier volume de ces Notes de Voix parues aux éditions Approches en mai 2017, journal et prolongement de tout et partie de l'œuvre du poète et plasticien Anael Chadli.

« En janvier 2014, Anael Chadli explorant les paysages d'une écriture manuscrite dessinée sur le papier, imagina une œuvre rassemblant des extraits de textes issus de la littérature du monde entier (…) A travers Voix, l'écriture fut double : dessin et notes n'ont cessé de travailler ensemble. »

Du lisible au visible, de la page noircie au bruit blanc, synesthésie plus que cénesthésie d'un corps espace-temps : pour former ses paysages d'écritures, Anael compose, comme en musique, des séries de mouvements à partir d'extraits librement retranscrits, travaille les textes autant que ceux-ci le taraudent, les dessine autant qu'il les découvre, les explore pour aller plus loin, en médium ou canal, prête et entend Voix, in-/at-tention à ce flux in-/ex-térieur, à ces influences et affluents qui le charroient. Tout à la fois recueil d'aphorismes, de poèmes et de citations, ces Notes se présentent comme le journal – intime et extime – d'atelier en même temps que l'athanor de ces Voix. L'esquisse de la forme, de ses contours, atours et atermoiements, les rapports qui (co)existent entre le haut et le bas, le vide et le plein, participent de ce travail ana(e)logique, chaque nouvelle idée ouvrant de nouvelles directions et voi-es/x, concomitantes, conc(o)ur[r]entes à Voix : Jardins à mirages, Pornographies, poème-Vague, Ellipse, Palimpsestes.

« Je ne recopie pas le livre, mais en prélève ici, et transcris là avec ma fourche à une seule pointe, les germes et pousses de la phrase de Voix (…) De quoi suis-je l'auteur ? Quelle importance ? »

Circulation, articulation, phénoménologie de la perception — « Traverser, se laisser traverser, fragile équilibre ». Si l'œuvre d'Anael Chadli ne commence pas avec ces Notes, celles-ci coïncident néanmoins avec la volonté de donner Voix au corps déjà constitué d'une œuvre polymorphe, d'ex-ister à travers. D'être lu, vu, entendu. De chercher en soi, en l'autre – « rien ne remplace le regard de l'Autre », auteur ou lecteur – un miroir, une chambre d'échos, jusqu'à la plainte, la dissonance. Lyrique jusqu'à l'excès, intime jusqu'à l'étrange, Anael Chadli s'explique, se décrypte, s'analyse, se mire sans parvenir toujours, pour se reconnaître, à être reconnu, (dé)campé dans son rôle d'artiste en devenir, Narcisse qui, tour à tour, s'ignore et se déplore, se cherche et se fuit. Ainsi, au moment même où, composé de textes personnels, Le Colosse originel s'érode, Anael envisage avec Voix de donner un nouveau corps à son écriture, composé de milliers d'autres, sous la forme organique d'un paysage.

« Je serai un jour peut-être obnubilé par un besoin de reconnaissance grandissant, retentissant, assourdissant, étourdissant, bien que cela m'étonnerait, mais à présent j'ai avant tout besoin de créer dans des conditions décentes. »

Contre temps et courants, vents et marées, états des lieux, bilans de santé, saillies politiques et sociales, poétiques et techniques émaillent également ces Notes de Voix, dressant le portrait du jeune homme en « candidat-artiste à la littérature au ventre qui réclame et à la bourse vide » (Jack London, Quiconque nourrit un homme devient son maître, traduction de Moea Durieux, Les Editions du Sonneur, 2009) exposé aux affres d'un quotidien qui affame plus qu'il ne nourrit le créateur et ses créations : les dettes, l'impossibilité de nourrir sa famille, de vivre de son art, des expositions et des demandes de subvention. Avec le désir, la volonté, la nécessité de produire plus ou moins rapidement — « Ecart fascinant entre la durée de réalisation et le sentiment de fluidité qui se dégage au regard de cette matière écrite ». Malgré la peur, l'anxiété, les insomnies, la sensation de vacuité, de désespoir, de vie, les douleurs, le corps qui lâche ou résiste, la fatigue, la fièvre, la maladie, la « vacance du mauvais repos », le coma, il y a quelques années de cela — « En vie ! Comme me parût absurde ensuite cette guerre pour l'existence. »

« Et lorsque j'en ai marre de tout ce cirque,
je dégage le bazar par-dessus bord. »

Collecte, reproduction et répétition, sérendipité et synchronicité, coïncidences et coexistences, cohérence et cohésion : c'est en parcourant plus avant les galeries de ce travail souterrain qui sourd bruissant ici, rai-/ré-son(n)ant là, que l'on voit enfin. Par-delà les contraintes liées à la création et à sa représentation, quel incessant et éreintant, humble et conséquent, travail de fourmi constitue ces Voix et leurs Notes. A travers l'évocation d'une lecture, d'une rencontre, d'une approche familière – le désir de la forme courte, le rapport à la traduction, le recours à l'écriture automatique, à l'ellipse, à l'analogie – combien l'on peut – sur le principe au moins – être sur la même longueur d'onde — au point de pouvoir deviner la phrase qui suit. Dialogue ou cadavre exquis – tirets à part – entretenu par Anael Chadli, qui consiste à écrire aux lecteurs, lectrices, déjà acquis. A leur faire (sa)voir le dessin de Voix grandir – de 50 par 150 centimètres à 2 mètres par 4,5 – en même temps que les Notes – une quarantaine de pages pour 2014, cent de plus de janvier à septembre 2015 – gagner en ampleur, en volume(s), en concepts.

« Et si vous saviez comme il pleut ici, vous imagineriez comme tout cela pourrit vite, c'est pourquoi j'ai construit un petit abri pour laisser au sec toute cette quincaillerie, mais comme tout ici est bizarrement foutu, je ne sais jamais où j'ai rangé l'abri. »

Dans le fond(s), Notes de Voix demeure, en soi et pour soi, un(e) geste poétique, syn-a>o-ptique, persistance rétinienne d'un monde réversible (jeu de Khasar, de lettres et du dictionnaire). Dans la forme, il manquerait encore au texte l'autorité que pourrait lui conférer la renommée de son auteur ou la présence pleine et entière de sa matière, si ce n'était cette matière même que l'on retenait ici, son désir qui nous assaillait. Celui de (re)découvrir tout ou partie de l'œuvre des quelque 130 auteurs et auteures – parmi lesquels Valère Novarina, Antonin Artaud, Marina Tsvetaeva, Bernard Noël, Jacques Abeille, Jean Dubuffet, Henri Michaux ou encore Anaïs Nin – cités et indexés à la fin de l'ouvrage, mais aussi d'Anael Chadli, à l'occasion d'une prochaine exposition – près d'une trentaine déjà à son actif – ainsi que sur son site où esquisses et travaux se dessinent et se déploient, écho à ces Notes de Voix.

« (L'image n'est rien sans le désir de voir. Son pouvoir est de l’éveiller.) »

 

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