La Race des orphelins d'Oscar Lalo par Jean Miniac
Oscar Lalo s'était fait remarquer il y a quatre ans avec Les Contes défaits (Belfond, 2016), relation d'une enfance dévastée par les abus d'un prédateur, directeur d'un home d'enfants. Le texte mettait en évidence le singulier pouvoir d'occultation d'un événement traumatique sur les fondements mêmes de l'identité. L'écriture se donnait pour mission de les ressaisir. Et de rassembler ainsi le puzzle d'une vie défaite. Cette quête de soi est inscrite au cœur de La Race des orphelins. Le livre se présente comme le journal d'Hildegard Müller, enfant de la honte née dans un Lebensborn, une de ces maternités SS où Himmler nourrissait le projet dément de favoriser l'éclosion d'une race pure, conforme aux critères ethniques de l'eugénisme nazi. Comme dans un élevage, des géniteurs de souche aryenne y étaient réunis dans le seul but de reproduire des enfants de type nordique. Puis, ils étaient séparés, et toute trace de leur identité soigneusement effacée.
Hildegard ne connaît donc pas ses parents. Son enfance lui a été volée, et, devenue une vieille femme, elle tente une patiente, une difficile reconquête de son passé, assistée d'un scribe, double de l'auteur.
Le livre tire sa tension particulière de cette quête trouée de silences : écrit en fragments, l'émotion naît autant de la page écrite que du suspens qui la sépare de la suivante. Sans que jamais l'attention soit rompue. Ce qui relie, tel un fil, les jalons de sa quête, c'est l'obstination de la chercheuse dépossédée d'elle-même. L'introuvable origine joue le rôle d'un pôle d'aimantation. Car, comme le dit Hildegard, « ce que l'on ne sait pas est plus violent que ce que l'on sait ».
Histoire intime et grande Histoire se nouent dans sa destinée. Mais ce que le livre montre aussi, c'est le lien inextricable entre les Lebensborn et l'entreprise exterminatrice du régime nazi. Le peuplement aryen que les Lebensborn entendaient favoriser avait précisément pour but de compenser la dévastation opérée au sein des populations racialement « non valables », en tout premier lieu les Juifs. La lente remontée d'Hildegard vers son passé propose ainsi une histoire oblique, inattendue de l'Holocauste, par grands pans d'ombre qui surgissent inopinément au fil du récit. Puis disparaissent.
En a-t-on fini avec eux ? s'interroge Hildegard à la fin du livre. Alors que la recherche de ses origines n'aboutit à aucun résultat probant, c'est plutôt la certitude du pire qui semble peser sur notre avenir commun : « Le passé est en train de renaître de toutes les cendres de la guerre. La haine s'infiltre dans toutes les démocraties… La race refait surface… Ça recommence. »
Pour autant, le livre ne se réduit pas à cette sombre perspective. Écrire, pour Hildegard — avec le talentueux concours d'Oscar Lalo —, c'est faire surgir du néant des pépites qui transforment l'échec en offrande, c'est déterrer « des tonnes de gravier pour provoquer des mots en moi. Certains brillent parfois. Petites particules d'or enfin libérées des anfractuosités rocheuses de ma mémoire ».
Ainsi, la quête d'Hildegard n'aura pas été vaine. Pour notre plus grand bonheur de lecture.