Le geste d’après de Cécile Sans par Sarah Kéryna

Les Parutions

06 sept.
2020

Le geste d’après de Cécile Sans par Sarah Kéryna

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Le geste d’après de Cécile Sans

Cécile Sans vit à Marseille. Elle participe au comité de rédaction de la revue Nioques. Elle a publié des textes dans la revue PLI, et Teste n° 39.

Elle s’intéresse aux littératures expérimentales et aux albums pour enfants.  

Le geste d’après est un premier livre.

Un livre singulier, tant dans son projet littéraire que dans l’objet qui l’incarne.

Sur la couverture, le titre, en rouge, s’intercale entre les premières lignes du texte, se découpant sur le blanc ivoire, décalé sur la droite, dans une police augmentée. Pas d’information sur cette jaquette, sur laquelle le texte débute « Il a déjà commencé, il continue » m’explique Cécile Sans,  « J’ai beaucoup discuté avec mes éditeurs (Vincent Lafaille et Xavier Evstigneeff, basés à Bordeaux), ce choix était une manière de mettre en forme un flot pris en cours, qui se clôture en suspens, sur la dernière de couverture, comme un fragment. »

Le nom de l’auteur, absenté, (il ne devait au départ figurer nulle part, comme si le livre était un document anonyme), est inscrit sur le dos du livre. Un carton, glissé entre les pages, donne le titre, le nom et l’adresse de l’éditeur.

La construction du livre, dans sa structure même et sa fabrication épouse le processus de décantation d'une matière brute en mouvement, et sa révélation par strates successives. « Pas de chapitres, ni de titres, ni de sections, pas de progression, pas de bords. La dernière phrase est un saisissement, pas un aboutissement. »

Chaque phrase est précise, courte, simple, ciselée. Il s’agit de notes de carnets, reprises dans le sens de l’évidement, dont il ne reste que la tranche saillante, l’acmé,  « Comme une bulle d’eau qui vient remonter à la surface ». Le montage de ces segments créé un effet de matité, de vide, de blanc, d’opacité.

On y traverse « une cartographie personnelle faite de lieux existants, de points de passage et de points de mémoire » - Marseille, ses rues, le tramway, des maisons, un jardin, une église, un parc, un arbre…

Les robes, les poupées, la rivière, une aïeule dont les éléments biographiques tronqués nous sont livrés par quelques touches, la prostitution, la pornographie, des phrases entendues, des citations, des bribes de paroles, des figures (tantôt « je », tantôt « il » ou « elle »,  « ils » et « elles »), des indications de temps (mars, octobre…), de corps  (yeux, épaules, bras, jambes…), les éléments (pierre, terre, herbe), l’organique et l’abstrait, se déploient et s'agencent à la manière de chutes de tissus cousues entre elles. « C’est une couture disjointe, qui travaille à éteindre toute association. Une couture à trous, qui provoque de la matité. »

Les temps grammaticaux sont désajustés, ils s’entrechoquent. Dans une même page, le passé alterne avec le présent, et vice versa. « L' emploi du passé simple vient questionner le récit. M'intéresse le moment de suspens trouble, de tremblement, où le réel devient fiction, ou la fiction pourrait devenir réel. »

Des collisions et des « déflagrations », qui traduisent l’idée d’un décalage constant entre l’écriture et ce qu’elle tente de saisir, qui échappe, se dérobe, se multiplie, « Il est toujours trop tôt ou trop tard. » Un mouvement redoublé par la présence des éléments liquides, aquatiques, -rivière, hammam, mer, pluie - et par les motifs de l’écoulement, de la submersion.

 

Aller dans l’état de la passe.

 

Ainsi grimpa t-il très vite en haut d’un arbre. Le rocher se déplaça.

Les robes flottent d’abord sur l’eau, se gonflent, puis tombent

au fond. Il les regarde tomber au fond.

 

 J’étais endormie, je crois, quand nous avons passé la ligne

de partage des eaux.

 

Mêlé de forêt.

 

Nous nous aimons.

 

La fonction du silence ici est primordiale. Il est un élément d’articulation.

Et sans que rien ne soit entendu. 

« Dans mon texte, une page sur deux était blanche, ce n’était pas possible pour le livre, alors les éditeurs m’ont proposé une mise en page, qui met en avant le blanc. »

Des marges en haut, en bas, à droite, à gauche. Un texte justifié au centre et des espaces entre les lignes, des pages blanches au cœur du livre : ce qui est donné à voir, et ce qui est en creux.

La question de l’enfance traverse Le geste d’après de part en part.
« L’ enfance passée ou ce que peut être un regard d’enfant sur le réel ».
Formules enfantines, jeux, rituels :
On dirait qu’on se perdrait dans la forêt transparente,
L’enfance dans ce qu’elle a d’immuable, d’intangible, d’invariant,
« L’enfance toujours réelle, au présent. »

 

Pour faire un bateau en papier, je plie cinq fois. Je prends la feuille. J’appuie avec mon doigt. Je plie cinq fois. 

 

À certains endroits, des extraits bruts de documents copiés-collés, contrastent avec la douceur apparente du texte.

La liste est : Anal,  Européen,  Sexe,  Hétéro,  Amateur,  Pipe, Âgé, Jeunes,  Lesbiennes, Japanese,  Allemand,  Vieille et belle, Romantique,  Trav/trans, HD, Gros seins, Jeunes/vieux, Asiatique,  Ejaculation f, Ejaculation  s, Trio, Partouze (…) 

Sans commentaires, saisis dans un geste objectiviste, mis sur le même plan que les autres fragments, ils trouent le texte et y instillent une violence déroutante.

Le geste d’après, est un texte où le banal et l’anodin font surgir, à la manière d’un négatif, le terrible, le tragique. La mort s’y inscrit en filigrane.

 

Ce que l’on nomme les cendres est en réalité la partie
calcaire des os qui subsiste après la crémation.

 

Une expérience charnelle et sensorielle, qui semble renfermer son secret au plus profond et qui parsème des indices ça et là, comme des petits cailloux, à la manière d’une énigme.

 

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