RAFLE (collectif) par Sarah Kéryna

Les Parutions

22 janv.
2014

RAFLE (collectif) par Sarah Kéryna

  • Partager sur Facebook

 

 Sur la couverture, blanc cassé, carrée, le titre : Rafle, et trois noms : Frédérique Guétat-Liviani, Colas Baillieul, Liliane Giraudon.

Trois artistes, trois contributions croisées.

Le principe collectif est ici à l’œuvre, et ce n’est pas la moindre des qualités de cette belle réalisation.

 En amont du livre, une performance réalisée courant septembre 2012, dans le cadre du festival art- performance de Marseille « Préavis de désordre urbain » :  sur l’invitation de Colas Baillieul, artiste, auteur de structures en cagettes, Frédérique Guétat-Liviani a imaginé un dispositif, la « Baraka », cabane démontable, construite par « une petite troupe » à l’aide de 250 cagettes, « glanées en fin de marché des Capucins ». Au cœur d’un quartier du centre ville de Marseille, proche dudit marché, durant une après-midi, elle a convié des passants, habitants du quartier pour la plupart, à venir s’asseoir avec elle dans cette Baraka, le temps d’une dégustation de raisin.

Le mot Rafle, dans son sens commun et botanique (qui désigne ce qu’il reste d’une grappe quand on a mangé tous les grains), leur était proposé, ainsi qu’une image de la rafle de Marseille du 24 janvier 1943. Les réactions diverses : bribes d’histoires personnelles, témoignages historiques, déclinaisons polysémiques, étaient collectées sur un registre, « mot pour mot  sans omission », (avec le prénom de chaque acteur, parfois épelé). De la nécessité à les rendre publiques et partageables sous forme de textes, est né le livre où elles ont été imprimées telles quelles, sur deux feuillets 40 x 40 pliés en quatre, intitulés: Baraka Marché des Capucins septembre 2012 (1) et (2), et accompagnées de photographies couleur. 

 En aval du livre, sur le troisième feuillet qui le compose : des dessins de Liliane Giraudon, titrés : Avant scène.

Ils nous rappellent l’étymologie ancienne de « rieflare », qui au Moyen Âge signifiait : « dérober, spolier, enlever par force ». Des traits en pointillés, horizontaux, verticaux, obliques, sont tracés sur la page, comme autant de biffures, de trajectoires brisées, sur lesquels s’impriment des traces de pas, et expriment la violence de l’exil, de l’arrachement.

 Sur le rabat de droite du livre est reproduit le communiqué de préfecture de janvier 1943, qui a présidé à l’évacuation des quartiers nord du Vieux-Port de Marseille, et dont la commémoration approchait à l’époque où Frédérique Guétat-Liviani a proposé sa performance. 

On peut y lire : « Ainsi est entreprise une action salutaire d’épuration que l’immense majorité des Marseillais approuvera ».

Ces mots rencontrent un écho troublant à l’heure actuelle où certaines populations indésirables sont malmenées, violentées, parfois évacuées de manière directe ou insidieuse.

Le quartier des Capucins, cosmopolite et populaire, délaissé par la Mairie de la ville, qui véhicule tous les clichés sur « Marseille la populeuse » en matière d’insalubrité et d’insécurité que d’aucuns aimeraient voir disparaître, n’a pas été choisi au hasard : il est un emblème de cette guerre contre les pauvres, engagée au prétexte de lutte contre la pauvreté.

 Rafle est en cela un livre important, qui interroge notre rapport aux mots, notre rapport à la mémoire, et au commun, à travers une subtile et salutaire articulation entre le poétique et le politique.

Orchestré magnifiquement par Frédérique Guétat-Liviani, fil rouge et passeur, il démontre avec force que le partage et l’échange, à l’heure on l’on valorise l’individualisme, est vecteur de savoir et fait acte artistique.

Retour à la liste des Parutions de sitaudis