Temps mort (octobre 2006) par Hubert Lucot

Les Parutions

08 déc.
2007

Temps mort (octobre 2006) par Hubert Lucot

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Les populations occidentales et, plus encore, du tiers-monde refusent le dogme libéral ; aucune importance, ses tenants pontifient. En France, comment feront-ils la campagne présidentielle de Sarkozy ? Auraient préféré une personne
moins agitée ?
Chaque jour, ils accomplissent leur promotion personnelle auprès des médias, magnifiquement nous murmurent : « Chut ! ne nous dérangez pas, nous sommes en train d'écrire l'histoire des vainqueurs (nous-mêmes). » - et c'est à Sacha Guitry que l'on dit « Maître ! ».


Feux de joie à Marseille


Il y a quelques jours, dans la banlieue de Marseille, 5 adolescents de 15 à 17 ans ont mis le feu à un autobus empli de voyageurs. Une Franco-Sénégalaise de 26 ans n'a pu s'échapper ; « ses jours sont en danger ».
La folle pulsion collective et désintéressée nous bouleverse - au point que des témoins ont renoncé à « la loi du silence » ; une fois encore, à la condamnation absolue de l'absolu je préfère l'analyse relative :
Les 5 ont mis au-dessus de tout le principe de plaisir. Ils ne détestent pas leurs congénères, mais, non aimés par la société, ils les aiment moins que leur plaisir, comme le proxénète enchaînera et torturera des femmes parce qu'il DOIT s'acheter une Porsche et régler une dette d'honneur.
La disparition de l'autre (je refuse d'incriminer dès l'abord « la société du profit ») connaît de nombreux modes. Pour nous, le SDF a sombré... la banlieue maudite est interdite ; serait interdite : je me promène sans peur dans le Neuf-Trois.

Dans le coma la Franco-Sénégalaise. Le mot revient, récent. Construit sur le modèle « Afro-Américain », « Italo-Américain ».

Les images de l'arrestation : banalité s'élève à austérité ; principal acteur, le ciment ou béton de la « cité ». Un gaz électronique enveloppait les têtes des mineurs et des flics trop proches. Toutefois on a vu un père : une caricature d'Arabe (faciès, accent, coupe de cheveux, tee-shirt non impeccable) crachant son indignation : « Mon fils n'a rien fait, il était avec moi ce jour-là. » ; ainsi, les enfants cachés avaient un visage : l'appartenance à la communauté maghrébine. (J'apprendrai qu'il y avait aussi des Blacks.)
Il FALLAIT mettre le feu : préparer une mèche, attendre le bus (ou bien était-il à un terminus ?), ouvrir le réservoir... oublier les passagers - pour ne voir que l'OBJET, la CIBLE et L'ACTE, qui grandit ou gonfle.
Sarkozy voit l'objet, la cible : l'…lysée. Il oublie le peuple. Il voit l'application du dogme libéral, en sa pureté. Il ne voit pas ceux auxquels cela s'applique, ni les résultats de l'application. Dogme dur dont il n'est nullement l'auteur : il a voulu qu'on accepte sa personne dans le camp libéral, il en sera le chef, croit-il.
Il y a un autre AUTRE : l'avenir, la prison. Nos héros incendiaires ne considèrent pas qu'on mènera une enquête, qu'on les inculpera, que la punition sera terrible (mais faible au goût du grand public ?).


Les pitres tueurs


Bush a fait adopter une loi autorisant la torture - et même prônant ce blanc rempart de la liberté. Un sourire de nos médias condamne cela, s'étendant aux cent protestataires (4 banderoles à Washington ?). Les Grands demeurent muets dans le monde. La plupart de mes amis n'expriment pas leur terreur que le successeur de Bush (le 7 janvier 2009) poursuive cette politique, qui est celle du lobby dollaro-guerrier... et je passe par belle matinée printanio-éternelle devant le Collège de France... avec légèreté oui !... j'appuyerai en allégeant sur cette petite loi-torture - ô Algérie 1956 mes 20 ans nos pieds nus... le temps court, le temps long. La torture n'a cessé de sévir, et les exécutions sommaires ; fugitives les protestations fortes des humanistes, souvent jugés de vrais cons. De là je prévois l'échec de mon livre Grands Mots d'ordre : ce que nous, les intellos gauchisants, trouvons drôle et « naturel » est incompréhensible, voire abject, pour nos dirigeants et pour la masse, qui ont une autre conception, mutante, de tout.

Je place - avec un plaisir intellectuel - la LOI BUSH entre les colonnes qui dans Monsieur Smith au Sénat encadrent Lincoln, nouveau Moïse (de Michel-Ange : les Bras du fauteuil et de l'homme). Les notions EFFICACIT… et …TAU ont couleur et substance, nous serons pris là-dedans. En 1956, DUR s'imposa : « durcissement », « rétablissement de l'ordre en Algérie », mais : Sagan, pieds nus, rayonne le bonheur de la jeunesse réussie. Il y a quelques jours, quand la ville de New York a célébré les 120 ans de la Statue de Bartholdi, une jeune femme a INVENT… : « Elle incarne la liberté de mon pays, donc celle du monde », personne n'a ri ; pas davantage lorsqu'elle ajouta :
« Voilà ce que je pense personnellement. » La salle d'attente, dans l'Hôtel-Dieu, un petit journal gratuit sur un fauteuil en plastique. Page intérieure, un petit carré : la loi Bush fait SCANDALE, je m'approche, j'entre dans le carré : la protestation émane des quelques associations de défense des droits de l'homme. Le même journal indique que des bagagistes musulmans du Grand Aéroport de Paris ont été licenciés par mesure de sécurité.
Plus loin : « Le gouvernement conservateur du Canada ne veut plus appliquer le protocole de Kyoto sur l'émission des gaz. » Une note rapide, assortie d'un point d'exclamation, explique de façon lumineuse l'héroïsme du gouvernement américain refusant de lutter contre la pollution : le peuple des …tats-Unis ne croit pas au réchauffement climatique, pourquoi assouvir un désir qu'il n'a pas ?
Je glisse vers le thème réel/virtuel, foi/désir. Le peuple américain n'accorde nul crédit aux écologistes inquiets,... j'apprends qu'il ignore leurs thèses. Il vit sur une planète dont la dégradation virtuelle matérialise certaine angoisse qu'il vaut mieux accrocher à la terreur islamiste. Nul ne souligne qu'avant le peuple les chaînes audiovisuelles ne croient pas au réchauffement ; en 2003, quand Bush s'apprêtait à envahir l'Irak, elles mettaient en garde des millions de foyers pacifiques contre l'infestation par des molécules musulmanes :
« Aujourd'hui, jour ROUGE, encore. Alerte maximale ! Comme hier et avant-hier. Calfeutrez vos portes et fenêtres ! »

Les films qui ont marqué mon enfance, je ne les ai pas vus mais leur bande-annonce, mystérieusement prometteuse et jamais déçue.
Tout enregistrement sur pellicule me fascine, il est rare que les films suscitent cette fascination. Quelques cinéastes savent garder la crudité de l'instant où la pellicule s'impressionne de façon surprenante. Depuis peu, je sais que je sais remonter à la sensation première - l'idée juste a la fraîcheur de la sensation.
Préférant le film-annonce au film, la fresque au luisant chevalet, l'esquisse d'une tête de cheval au déferlement de la cavalerie (Rocroi, Eylau), je dévoile mes déterminations : « Je nais en 1935, nous (intellectuels franchouillards) allons bientôt découvrir Piero, Tintoret, Joyce... le moderne, allons préférer Cézanne à Renoir, Renoir à Carné et à René Clair. »
Le film-annonce d'un long documentaire sur le Rwanda - réalisé, chose étrange, par des Occidentaux hostiles au génocide de 1994 - montre le pitre Bernard Kouchner mimant l'indignation : « ILS (les gouvernements occidentaux) savaient. CES SALAUDS n'ont rien fait. » Un salaud dénonce courageusement et sans risque le monde qui l'a fait et qu'il fait, il se ceindra une fois encore des lauriers que lui décernera un public abusé. Le profiteur des guerres nous propose sa bonne foi et son indignation. Souvenons-nous de son idée géniale quand les Serbes se prirent à torturer Sarajevo musulmane : envoyer Barbara Hendrix chanter la messe de Noël dans une chapelle bosniaque. Puis il organisera un raid publicitaire de quelques heures du président Mitterrand dans le pays ravagé : pour quoi ? Personne ne pose la question. Souvenons-nous de Balladur, Premier ministre, et de Simone Veil, ministre des Affaires sociales, en 1994, rendant visite aux SDF parqués par une terrible nuit d'hiver dans le métro et décrivant mieux qu'eux leurs souffrances et leur désespoir.
Les nouveaux Diderot professent qu'un homme public doit feindre les bons sentiments, ne pas les ressentir, qui paralysent et n'apparaissent pas sincères. « …motion contenue, pudeur », mon magazine culturel vante cela dans les œuvres obscènes. « Pitres tueurs », je nomme ainsi nos gouvernants et vedettes médiatiques.
La dernière apparition de B.K. (avant le film-annonce) : expert divin, il annonce que la démocratie est rétablie dans la Birmanie dictatoriale, où une compagnie pétrolière lance des « opérations ». Dénégations immédiates : « C'est l'enfer, la barbarie, encore ! », mais nul ne condamne l'aBjeKt.

Le « Salauds ! » de B.K. est vulgaire et faible. Dit-on « Hitler était un salaud. » ? B.K. signifie : « Ils sont lamentables, ils se sont plantés, je suis très fort. » Il reste dans l'alternative « Salaud ou pas » : « Non moi, B.K., ne suis pas un salaud. »
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