14 avril
2005
A l'Ouest du nouveau. par Pierre Ménard
Parfois on se dit que certains critiques feraient mieux de passer plus de temps à lire les livres dont ils sont censés faire la recension. Quand on lit la critique de Baptiste Liger dans le magazine Lire on est bien obligé de se rendre à l'évidence. Un article en kit du genre QCM, rédigé à la hâte autour de sept mots clés : le titre, l'auteur, l'histoire, les influences, la phrase, le verdict, qui donne l'impresion que le principal intérêt est d'en finir au plus vite.
Je ne sais pas ce qui doit faire le plus mal à l'auteur. Ne pas être lu ou l'être si mal? J'en viens à me dire qu'il est peut-être plus enviable d'être moins lu que de l'être aussi mal.
Prendre un livre comme un vulgaire objet de consommation courante (rebut) et le décrire sous la forme cinglante de vignettes (rébus). Croire que cette seule description nous exempte d'une lecture, je ne parle pas d'une lecture approfondie, une simple lecture. D'Ouest en Est comme nous le conseille l'auteur.
Encore faut-il savoir ce qu'on entend par là. En effet, c'est quoi la lecture ? Une façon d'écrire ? Mais n'allons pas trop vite.
Prenons notre temps. Revenons à l'article, puisque c'est de cela qu'il s'agit ici, faire l'article. A moins que ce ne soit tenir le rôle du vendeur?!
...En librairie (L'Arbre à Lettres pour la nommer), trouver le livre de Julien d'Abrigeon, c'est tout un poème. Le titre? Pas Billy the Kid. Oui, mais le titre? Bon d'accord. L'auteur alors? D'Abrigeon. On cherche à A. A D. On tape le nom comme on peut sur le clavier de l'ordinateur qui nous indique qu'il se trouve dans le rayon littérature française. D'abri. Jus. Judas. Julien. Jus d'abri. D'Abrigeon. Voilà c'est 15 euros. Et roulez jeunesse...
Le titre donc : Pas billy the kid. Jusque-là, c'est un sans faute. Enfin presque. C'est oublier le sous-titre. Si l'auteur place sous le titre un autre titre (généralement c'est écrit en plus petit, et cela permet de préciser le sens du titre, lui donner une direction qui n'est pas forcément celle que nous indique en premier lieu le titre), ce n'est pas juste pour embêter les bibliothécaires quand ils cataloguent l'ouvrage et leur donner du fil à retordre. De même la phrase liminaire a un sens. Ici il y en a deux pour le prix d'une. Et pas des moindres. Tout un programme s'y dessine en filigrane. Le cahier des charges.
La vérité est un mensonge qui n'a pas encore été dévoilé.
En somme, F M R F I J / Sommes-nous des cow-boys de l'Arizona dans un laboratoire / Ou des cobayes prenant l'horizon pour un labyrinthe.
La première est une citation du metteur en scène américain Sam Peckinpah. La seconde de Robert Desnos, extraite de l'Aumonyme, tiré du recueil Corps et biens publié en 1923.
Il faut retenir ces deux noms et l'univers qu'ils impliquent, que l'on pourra résumer par l'usage de mots clés pour faire court :
Cinéma, western, Billy the Kid, pour le premier. Poésie, langage, jeux de mots. Et quand il faudra parler de références (c'est impératif pour montrer qu'on a des lettres) au lieu de citer Michaux qui n'a pas grand chose à voir avec ce texte (ou alors j'ai loupé un épisode) on pourra peut-être évoquer sans trop se tromper... Robert Desnos ?
Mais revenons au sous-titre. Il faut lire ici :
Alias Le roman avorté de Lew Wallace Alias L'arme à gauche.
Oui mais là, impossible de faire court. Il faut rentrer dans les explications. Se mouiller un peu. Au moins citer l'auteur. Montrer qu'on a lu son livre un minimum.
Lew Wallace est un précurseur, un visionnaire, un inventeur. Général Lewis Wallace est un héros car il a inventé, bien avant l'heure, les tirailleurs sénégalais.
Et synthétiser l'idée qui est derrière, la critique de la société américaine. Mais comme l'on qualifie cet aspect du livre de divagations sur l'Amérique contemporaine on ne peut guère creuser la question et s'y confronter sereinement.
L'auteur. Né en 1973, Julien d'Abrigeon est poète. Créateur de la revue BoXoN, il est également l'auteur d'un site web consacré à Jean-Luc Godard.
Stop. Stop. Si Julien d'Abrigeon a effectivement œuvré sur le web, ce n'est pas ce site consacré à Jean-Luc Godard qui retiendra vraiment l'attention, d'abord parce que ce n'est pas un site, mais l'édition électronique de son passionnant mémoire sur Jean-Luc Gogard, cinéaste écrivain. Pour dire cela il faut l'avoir lu bien évidemment, ce mémoire. Mais c'est une autre histoire. Sur le web Julien d'Abrigeon est très actif (Tapin, e-critures, doc(k)s, ubuweb, Tapinblabla et autres forums littéraires et artistiques...) mais il faut utiliser d'autres ressources que Google pour le savoir.
Le genre. Un poème-western biographique.
Jolie trouvaille un peu creuse. Dans le genre, j'aurais préféré: Un livre dont vous êtes le héros. Quand on qualifie un texte comme Pas Billy the Kid d'Objet littéraire Non identifié, quand on se cache ainsi derrière le jeu des étiquettes pour cacher son incapacité à nommer simplement les choses, on ne peut guère être étonné d'une telle approximation dans la qualification.
L'histoire. Pourquoi ? Il faut forcément une histoire à tous les livres ? Une bonne histoire.
Entre réalité historique et délires imaginaires, il s'agit de l'évocation de la vie de William H. Bonney dit Billy the Kid. De sa naissance à sa mort en 1881 (assassiné par Pat Garrett), la biographie de cette légende de l'Ouest est entrecoupée de photos, de jeux typographiques, de poèmes et de divagations sur l'Amérique contemporaine.
Délires ? Divagations ? Délires imaginaires. Divagations sur l'Amérique contemporaine.
Il est temps de reprendre son dictionnaire comme le fait l'auteur pour définir les différents sens d'un même mot, dans son cas il s'agit de forfait. C'est un signe assurément.
Les influences. Henri Michaux, la nouvelle poésie (Nathalie Quintane, Christian Prigent, Tarkos...), Michel Butor, Sam Peckinpah, Lucky Luke, Michael Ondaatje (auteur de Billy the Kid, œuvres complètes)...
Dans ce bric-à-brac foutraque, un universitaire ne retrouverait pas ses petites fiches. Michaux? J'ai beau chercher je ne vois pas le rapport, à moins de suggérer que Julien d'Abrigeon écrit sous l'influence de je ne sais quelle drogue actuelle d'Est-Asie.
La nouvelle poésie ? Ca sonne un peu Gallimard antique et en toc. Et puis le tiercé cité, je ne crois pas qu'il soit gagnant ni dans l'ordre, ni même dans le désordre. Dans le tiercé j'aurais mis Laure Limongi gagnante, mais bon je peux me tromper...
Michel Butor ? Pour le Butor d'Amérique peut-être ?! Je veux dire Butor et l'Amérique. Une bonne partie de l'oeuvre de Michel Butor porte en effet l'empreinte de ses voyages et séjours aux Etats-Unis, au Canada, au Mexique. D'accord, d'accord. Mais bon, c'est mieux en l'expliquant. Et puis pourquoi chercher des références aussi lointaines quand on vous les apporte sur un plateau...
Michael Ondaatje, c'est tout de suite beaucoup plus intéressant mais c'est un peu court. Citer son nom et le titre de son ouvrage sans s'apesantir, alors que se joue-là, le tournant du livre de Julien d'Abrigeon. Sa force, sa faiblesse. Sa fêlure. Son trou béant. Son trouble. Sa beauté. En 1998, les éditions de l'Olivier, publient un livre de Michael Ondaatje : Billy the kid, oeuvres complètes: Poèmes du gaucher.
Les premiers romans d'Ondaatje qui ont pour titres Billy the kid, oeuvres complètes (1970), Les Blues de Buddy Bolden (1976), Un air de famille (1982) et La Peau d'un lion (1987) , sont des ouvrages hybrides, à la croisée de la fiction, du texte poétique et du documentaire. Ils ont pour thème la quête de soi, une quête qui s'appuie, ici, sur des photos de familles jaunies par le temps, ailleurs, sur le parcours emblématique de héros oubliés de l'histoire culturelle et sociale américaine. Ce sont des récits ludiques, faits de collages narratifs et de séquences lyriques, que Michael Ondaatje qualifie de puzzles dont le lecteur est invité à recoller lui-même les morceaux.
En plein milieu de la recherche de d'Abrigeon, son livre se présente ainsi, à tâtons, se compose et décompose devant nos yeux, le puzzle de son roman, avoue son impuissance. Un livre existe qui porte presque le même titre et repose sur le même sujet que le sien. C'est poignant. A la fois banal et pas banal. Les plagiats par anticipation sont légions. Mais là c'est un peu différent. La classe au-dessus. Ce livre est magnifique. Simple, efficace. Une biographie-collage sur la figure du hors-la loi, Billy the Kid, ce héros moderne qui n'existe pas en dehors de sa légende : Non pas une histoire à mon sujet vue par leurs yeux. Trouver le début, la petite clé en argent pour la débloquer, la déterrer. Voici un labyrinthe pour commencer, pour se perdre.
Ce n'est pas une citation de Julien d'Abrigeon. C'est Michael Ondaatje qui écrit cela.
Réaction de l'auteur face à ce contrecoup :
Je pense sérieusement arrêter Billy. Mettre un arrêt définitif. Arrêter le massacre. Je crois que je vais cesser de construire mon héros car il est déjà en place. Bloqué au fond de la mine, je dois creuser de nouvelles galeries.
Voilà tout est dit. Ambitieux programme. Faire son trou. Creuser son sillon.
Comme le dit la chanson, on a tous quelque chose en nous de Tennessee / Cette volonté de prolonger la nuit / Ce désir fou de vivre une autre vie / Ce rêve en nous avec ses mots à lui , pour Julien d'Abrigeon (qui écoute plutôt du Bob Dylan), c'est Billy the Kid. Pour Michael Ondaatje aussi. Et alors ?
Mes héros me construisent comme moi en tant que héros écrit d'Abrigeon.Je me construis comme mes héros se sont construits.
Peut-on écrire un livre qui ait déjà été écrit ? Peut-on s'intéresser au même sujet ? Peut-on lui donner la même forme, aborder le travail sur le langage de la même manière? En s'attardant sur le même personnage ? Le même héros ?
Le verdict. Après l'excellent Western de Christine Montalbetti, les cow-boys semblent décidément inspirer l'avant-garde littéraire.
Comme ce cher Baptiste Liger a lu et commenté le livre de Christine Montalbetti en février 2005, il juge qu'un deuxième bouquin sur le même sujet non mais vraiment c'est trop. Quel manque d'originalité ! Quel déficit d'inspiration chez nos jeunes poètes de la nouvelle poésie ! Pas de chance pour le second. Que penser du troisième larron ? Fallait l'écrire plus vite votre livre espèce de fainéant! Ce qui compte en matière littéraire c'est bien connu c'est l'originalité, c'est d'être toujours le premier. Génération succès. Réussite garantie pour les premiers de la classe. Les meilleurs ? Non les premiers.
Le verdict, ce n'était donc pas un article, aussi court soit-il mais un procès. Un procès d'intentions ?
Il y a un tel mépris dans ces mots. Je ne devrais même pas les commenter et simplement les ignorer. Mais c'est trop tard.
Pas billy the kid nous interroge habilement sur la mythologie du héros.
Je ne crois pas, tout autre chose est en jeu. C'est quoi l'originalité ? C'est quoi l'origine ? Deux questions qui n'ont apparement pas grand chose à voir ensemble, et pourtant.
C'est bien ce qui est au centre de l'œuvre de Julien d'Abrigeon. Penser le monde qui nous entoure sous la forme d'un palimpseste.
On imprime, la marque, en creux.
Le processus d'emprunt/d'empreinte est-il contact de l'origine ou bien perte de celle-ci? L'emprunt/l'empreinte c'est aussi bien la trace, le contact du pied qui s'enfonce dans le sable, que l'écart, la perte, l'absence du pied dans son empreinte, l'écriture alors comme représentation de cet entre-deux en forme d'anagramme : trace / écart.
Le livre de Julien d'Abrigeon est un texte émouvant et drôle, troublant et attachant, en somme éphémère et figé.
Je ne sais pas ce qui doit faire le plus mal à l'auteur. Ne pas être lu ou l'être si mal? J'en viens à me dire qu'il est peut-être plus enviable d'être moins lu que de l'être aussi mal.
Prendre un livre comme un vulgaire objet de consommation courante (rebut) et le décrire sous la forme cinglante de vignettes (rébus). Croire que cette seule description nous exempte d'une lecture, je ne parle pas d'une lecture approfondie, une simple lecture. D'Ouest en Est comme nous le conseille l'auteur.
Encore faut-il savoir ce qu'on entend par là. En effet, c'est quoi la lecture ? Une façon d'écrire ? Mais n'allons pas trop vite.
Prenons notre temps. Revenons à l'article, puisque c'est de cela qu'il s'agit ici, faire l'article. A moins que ce ne soit tenir le rôle du vendeur?!
...En librairie (L'Arbre à Lettres pour la nommer), trouver le livre de Julien d'Abrigeon, c'est tout un poème. Le titre? Pas Billy the Kid. Oui, mais le titre? Bon d'accord. L'auteur alors? D'Abrigeon. On cherche à A. A D. On tape le nom comme on peut sur le clavier de l'ordinateur qui nous indique qu'il se trouve dans le rayon littérature française. D'abri. Jus. Judas. Julien. Jus d'abri. D'Abrigeon. Voilà c'est 15 euros. Et roulez jeunesse...
Le titre donc : Pas billy the kid. Jusque-là, c'est un sans faute. Enfin presque. C'est oublier le sous-titre. Si l'auteur place sous le titre un autre titre (généralement c'est écrit en plus petit, et cela permet de préciser le sens du titre, lui donner une direction qui n'est pas forcément celle que nous indique en premier lieu le titre), ce n'est pas juste pour embêter les bibliothécaires quand ils cataloguent l'ouvrage et leur donner du fil à retordre. De même la phrase liminaire a un sens. Ici il y en a deux pour le prix d'une. Et pas des moindres. Tout un programme s'y dessine en filigrane. Le cahier des charges.
La vérité est un mensonge qui n'a pas encore été dévoilé.
En somme, F M R F I J / Sommes-nous des cow-boys de l'Arizona dans un laboratoire / Ou des cobayes prenant l'horizon pour un labyrinthe.
La première est une citation du metteur en scène américain Sam Peckinpah. La seconde de Robert Desnos, extraite de l'Aumonyme, tiré du recueil Corps et biens publié en 1923.
Il faut retenir ces deux noms et l'univers qu'ils impliquent, que l'on pourra résumer par l'usage de mots clés pour faire court :
Cinéma, western, Billy the Kid, pour le premier. Poésie, langage, jeux de mots. Et quand il faudra parler de références (c'est impératif pour montrer qu'on a des lettres) au lieu de citer Michaux qui n'a pas grand chose à voir avec ce texte (ou alors j'ai loupé un épisode) on pourra peut-être évoquer sans trop se tromper... Robert Desnos ?
Mais revenons au sous-titre. Il faut lire ici :
Alias Le roman avorté de Lew Wallace Alias L'arme à gauche.
Oui mais là, impossible de faire court. Il faut rentrer dans les explications. Se mouiller un peu. Au moins citer l'auteur. Montrer qu'on a lu son livre un minimum.
Lew Wallace est un précurseur, un visionnaire, un inventeur. Général Lewis Wallace est un héros car il a inventé, bien avant l'heure, les tirailleurs sénégalais.
Et synthétiser l'idée qui est derrière, la critique de la société américaine. Mais comme l'on qualifie cet aspect du livre de divagations sur l'Amérique contemporaine on ne peut guère creuser la question et s'y confronter sereinement.
L'auteur. Né en 1973, Julien d'Abrigeon est poète. Créateur de la revue BoXoN, il est également l'auteur d'un site web consacré à Jean-Luc Godard.
Stop. Stop. Si Julien d'Abrigeon a effectivement œuvré sur le web, ce n'est pas ce site consacré à Jean-Luc Godard qui retiendra vraiment l'attention, d'abord parce que ce n'est pas un site, mais l'édition électronique de son passionnant mémoire sur Jean-Luc Gogard, cinéaste écrivain. Pour dire cela il faut l'avoir lu bien évidemment, ce mémoire. Mais c'est une autre histoire. Sur le web Julien d'Abrigeon est très actif (Tapin, e-critures, doc(k)s, ubuweb, Tapinblabla et autres forums littéraires et artistiques...) mais il faut utiliser d'autres ressources que Google pour le savoir.
Le genre. Un poème-western biographique.
Jolie trouvaille un peu creuse. Dans le genre, j'aurais préféré: Un livre dont vous êtes le héros. Quand on qualifie un texte comme Pas Billy the Kid d'Objet littéraire Non identifié, quand on se cache ainsi derrière le jeu des étiquettes pour cacher son incapacité à nommer simplement les choses, on ne peut guère être étonné d'une telle approximation dans la qualification.
L'histoire. Pourquoi ? Il faut forcément une histoire à tous les livres ? Une bonne histoire.
Entre réalité historique et délires imaginaires, il s'agit de l'évocation de la vie de William H. Bonney dit Billy the Kid. De sa naissance à sa mort en 1881 (assassiné par Pat Garrett), la biographie de cette légende de l'Ouest est entrecoupée de photos, de jeux typographiques, de poèmes et de divagations sur l'Amérique contemporaine.
Délires ? Divagations ? Délires imaginaires. Divagations sur l'Amérique contemporaine.
Il est temps de reprendre son dictionnaire comme le fait l'auteur pour définir les différents sens d'un même mot, dans son cas il s'agit de forfait. C'est un signe assurément.
Les influences. Henri Michaux, la nouvelle poésie (Nathalie Quintane, Christian Prigent, Tarkos...), Michel Butor, Sam Peckinpah, Lucky Luke, Michael Ondaatje (auteur de Billy the Kid, œuvres complètes)...
Dans ce bric-à-brac foutraque, un universitaire ne retrouverait pas ses petites fiches. Michaux? J'ai beau chercher je ne vois pas le rapport, à moins de suggérer que Julien d'Abrigeon écrit sous l'influence de je ne sais quelle drogue actuelle d'Est-Asie.
La nouvelle poésie ? Ca sonne un peu Gallimard antique et en toc. Et puis le tiercé cité, je ne crois pas qu'il soit gagnant ni dans l'ordre, ni même dans le désordre. Dans le tiercé j'aurais mis Laure Limongi gagnante, mais bon je peux me tromper...
Michel Butor ? Pour le Butor d'Amérique peut-être ?! Je veux dire Butor et l'Amérique. Une bonne partie de l'oeuvre de Michel Butor porte en effet l'empreinte de ses voyages et séjours aux Etats-Unis, au Canada, au Mexique. D'accord, d'accord. Mais bon, c'est mieux en l'expliquant. Et puis pourquoi chercher des références aussi lointaines quand on vous les apporte sur un plateau...
Michael Ondaatje, c'est tout de suite beaucoup plus intéressant mais c'est un peu court. Citer son nom et le titre de son ouvrage sans s'apesantir, alors que se joue-là, le tournant du livre de Julien d'Abrigeon. Sa force, sa faiblesse. Sa fêlure. Son trou béant. Son trouble. Sa beauté. En 1998, les éditions de l'Olivier, publient un livre de Michael Ondaatje : Billy the kid, oeuvres complètes: Poèmes du gaucher.
Les premiers romans d'Ondaatje qui ont pour titres Billy the kid, oeuvres complètes (1970), Les Blues de Buddy Bolden (1976), Un air de famille (1982) et La Peau d'un lion (1987) , sont des ouvrages hybrides, à la croisée de la fiction, du texte poétique et du documentaire. Ils ont pour thème la quête de soi, une quête qui s'appuie, ici, sur des photos de familles jaunies par le temps, ailleurs, sur le parcours emblématique de héros oubliés de l'histoire culturelle et sociale américaine. Ce sont des récits ludiques, faits de collages narratifs et de séquences lyriques, que Michael Ondaatje qualifie de puzzles dont le lecteur est invité à recoller lui-même les morceaux.
En plein milieu de la recherche de d'Abrigeon, son livre se présente ainsi, à tâtons, se compose et décompose devant nos yeux, le puzzle de son roman, avoue son impuissance. Un livre existe qui porte presque le même titre et repose sur le même sujet que le sien. C'est poignant. A la fois banal et pas banal. Les plagiats par anticipation sont légions. Mais là c'est un peu différent. La classe au-dessus. Ce livre est magnifique. Simple, efficace. Une biographie-collage sur la figure du hors-la loi, Billy the Kid, ce héros moderne qui n'existe pas en dehors de sa légende : Non pas une histoire à mon sujet vue par leurs yeux. Trouver le début, la petite clé en argent pour la débloquer, la déterrer. Voici un labyrinthe pour commencer, pour se perdre.
Ce n'est pas une citation de Julien d'Abrigeon. C'est Michael Ondaatje qui écrit cela.
Réaction de l'auteur face à ce contrecoup :
Je pense sérieusement arrêter Billy. Mettre un arrêt définitif. Arrêter le massacre. Je crois que je vais cesser de construire mon héros car il est déjà en place. Bloqué au fond de la mine, je dois creuser de nouvelles galeries.
Voilà tout est dit. Ambitieux programme. Faire son trou. Creuser son sillon.
Comme le dit la chanson, on a tous quelque chose en nous de Tennessee / Cette volonté de prolonger la nuit / Ce désir fou de vivre une autre vie / Ce rêve en nous avec ses mots à lui , pour Julien d'Abrigeon (qui écoute plutôt du Bob Dylan), c'est Billy the Kid. Pour Michael Ondaatje aussi. Et alors ?
Mes héros me construisent comme moi en tant que héros écrit d'Abrigeon.Je me construis comme mes héros se sont construits.
Peut-on écrire un livre qui ait déjà été écrit ? Peut-on s'intéresser au même sujet ? Peut-on lui donner la même forme, aborder le travail sur le langage de la même manière? En s'attardant sur le même personnage ? Le même héros ?
Le verdict. Après l'excellent Western de Christine Montalbetti, les cow-boys semblent décidément inspirer l'avant-garde littéraire.
Comme ce cher Baptiste Liger a lu et commenté le livre de Christine Montalbetti en février 2005, il juge qu'un deuxième bouquin sur le même sujet non mais vraiment c'est trop. Quel manque d'originalité ! Quel déficit d'inspiration chez nos jeunes poètes de la nouvelle poésie ! Pas de chance pour le second. Que penser du troisième larron ? Fallait l'écrire plus vite votre livre espèce de fainéant! Ce qui compte en matière littéraire c'est bien connu c'est l'originalité, c'est d'être toujours le premier. Génération succès. Réussite garantie pour les premiers de la classe. Les meilleurs ? Non les premiers.
Le verdict, ce n'était donc pas un article, aussi court soit-il mais un procès. Un procès d'intentions ?
Il y a un tel mépris dans ces mots. Je ne devrais même pas les commenter et simplement les ignorer. Mais c'est trop tard.
Pas billy the kid nous interroge habilement sur la mythologie du héros.
Je ne crois pas, tout autre chose est en jeu. C'est quoi l'originalité ? C'est quoi l'origine ? Deux questions qui n'ont apparement pas grand chose à voir ensemble, et pourtant.
C'est bien ce qui est au centre de l'œuvre de Julien d'Abrigeon. Penser le monde qui nous entoure sous la forme d'un palimpseste.
On imprime, la marque, en creux.
Le processus d'emprunt/d'empreinte est-il contact de l'origine ou bien perte de celle-ci? L'emprunt/l'empreinte c'est aussi bien la trace, le contact du pied qui s'enfonce dans le sable, que l'écart, la perte, l'absence du pied dans son empreinte, l'écriture alors comme représentation de cet entre-deux en forme d'anagramme : trace / écart.
Le livre de Julien d'Abrigeon est un texte émouvant et drôle, troublant et attachant, en somme éphémère et figé.