Le nom de Charlie par Philippe De Georges
Depuis hier, sept janvier 2015, Charlie est le nom le plus porté en France. C’est devenu en quelque sorte un nom commun. De quoi Charlie est-il le nom ? Pas seulement d’un journal que je ne lisais pas et dont je n’appréciais pas la ligne : c’est le nom de celui qu’on tire à vue comme un lapin, qu’on abat d’une balle comme un chien. C’est aussi le nom de celui qui peut dire qu’il préfère mourir libre et debout, que de vivre à genoux. Et c’est devenu le nom de ceux qui refusent qu’on attente à la liberté d’opinion. En ce sens, c’est le nom du courage, « le courage de juger et de conclure », disait Lacan (Les quatre concepts, page 40), dont on aimerait pouvoir dire que c’est pour nous tous une vertu retrouvée.
Permettez-moi de revenir sur l’apologue des trois prisonniers, plus que jamais d’actualité. Ce petit texte a été écrit par Lacan aux lendemains de la dernière guerre, après un temps où, nous dit-il, régnaient les ennemis du genre humain. Il veut montrer, par une sorte de jeu ou de fable, comment un sujet seul, qui est comme tous les autres c’est à dire n’importe qui, peut décider après un bref instant de voir, comment choisir la voie juste, celle qui mène à la liberté. Il n’a besoin pour cela ni de talent particulier, ni de qualités exceptionnelles, mais seulement de l’exercice de sa capacité logique. La solution ne lui vient pas des autres. C’est plutôt sur l’hésitation des autres qu’il va pouvoir anticiper sa certitude et décider du pas qu’il doit franchir. C’est seul, sans aucun recours et surtout sans attente d’une reconnaissance d’autrui, qu’il peut résoudre l’énigme qui lui est proposée par le caprice de l’Autre et dire : «Je m’affirme être un homme, de peur d’être convaincu par les hommes de n’être pas un homme »(Ecrits, page 213).
Car en posant les choses en logique, le choix est simple. Comme aujourd’hui. Il y a la voie des replis identitaires, devant le monde qui change : c’est la voie le-peno-zemmourienne, de ceux qui dénoncent « Le suicide français » et ont la nostalgie d’un âge d’or imaginaire…le temps béni des colonies ; et c’est la voie de l’islamo-fascisme qui a frappé hier. Je dis ce mot, parce qu’il n’y a eu que les nazis pour commettre dans les années trente des crimes comparables contre la presse.
En face, il y a ce devant quoi tous ceux-là tremblent et qui porte le beau nom de liberté. C’est notre choix.
Aujourd’hui comme au temps de Freud, liberté et psychanalyse sont indissociablement liées.