08 févr.
2002
Contes z'à diction par Alain Frontier
PORTRAIT DE JACQUES DEMARCQ EN CONTEUR N»GRE
J'aime beaucoup Jacques Demarcq. Pas seulement parce qu'il a su très bien dessiner les méandres de sa colonne de vers ("La danse du dos", le premier texte que j'ai entendu de lui, maison de la culture d'Amiens, 26 janvier 1980 !... ) ; pas seulement parce qu'il est un drôle d'oiseau chanteur ("- Rhahaaa ! Kri-iéhéhêk. Qui qu'c'est qu'? on croise là. - Kroaa... Quoi qu'al' croit faire craquer les gars ?... ") et qu'il tenait naguère la rubrique "Echos-risées" dans Tatalacrème ; pas seulement à cause de ses nombreux écrits sur l'art et de ses traductions de Cummings, de Zanzotto ou du "De Bello Gallico" ; pas seulement non plus à cause de ses incroyables lectures publiques, de sa gentillesse (il adore ses amis) ou de son caractère de cochon (il déteste ses ennemis), mais aussi parce qu'il a publié, tout récemment, ses "Contes z'à diction". Six ou sept contes, qu'il faut lire, mais avec les oreilles : "La baignoire", "Crie ! souris", "Vampires hiboux vaudous", "Voyelle", "Les animaux malades de la Poste", "L'Everest, histoire vraie"... (comme si les autres ne l'étaient pas!... )
Je vous raconte vite fait le livre.
L'apprentissage d'une langue, normalement, c'est affaire de mémoire et d'obéissance. (Il y a, sur le Portail royal de la cathédrale de Chartres, un haut-relief qui passe pour être une allégorie de la Grammaire : deux enfants, accroupis sur le sol, apprennent à lire ; derrière eux, debout, sévère, se dresse une femme. Elle tient dans sa main gauche un livre ouvert, et dans sa main droite un faisceau de verges. Son regard s'abaisse vers les deux enfants qu'elle surveille ; elle est prête à frapper...). On apprend toujours sa langue de papa-maman (ou de leurs ayants droit). Jacques Demarcq voudrait ne l'apprendre que des oiseaux, ou bien du vent. Si vous ne comprenez pas pourquoi, lisez donc l'énorme protestation en quoi consiste l'histoire de la baignoire, au début du recueil ! Couper court à la cruauté des filiations, voilà son souci à Jacques Demarcq, et tout reprendre à zéro - échapper une bonne fois à l'horreur généalogique. Impossible ? Pas sûr ! N'avez qu'à demander à la tribu des Ouichs : ils ont bien réussi, eux ! Mais pour les entendre, encore faut-il avoir des oreilles, ce que, paraît-il, tout le monde n'a pas (ou n'a plus).
Les langues obéissent à des règles auxquelles il nous est enjoint d'obéir, et qui comportent, c'est bien connu, des kyrielles d'exceptions à apprendre par cœur. Jacques Demarcq balance tout ça. Chez lui, plus de déclinaisons, plus de conjugaisons, plus de paradigmes : tout est exceptionnel ! C'est là son truc. Une langue impossible, très efficace. Une langue vraie, enfin ! Voyez les couleurs, par exemple : les langues ont beau multiplier les mots (Patrick Beurard-Valdoye vous l'expliquerait mieux que moi), impossible de les toucher. Jacques Demarcq, lui, il touche. Tout comme les Ouichs il a compris "... que bêtes et plantes varient autant que les gens, que rien n'est tout à fait le même ici ou là, hier ou demain, et qu'il serait préférable de désigner chaque chose par ses circonstances plutôt que de lui agrafer l'étiquette définitive d'un mot... " Une langue extraordinaire ! Une langue de l'évidence retrouvée, en quelque sorte paradisiaque (plusieurs années-lumière avant Babel). Difficile à entendre ? Pas du tout. D'ailleurs l'auteur donne toutes les explications nécessaires, vous n'avez qu'à vous laisser porter :
"a, c'est le bas, soir qui tombe, arbre et ombre, souvenir
... i : petit, qui arrive rapide, les volatiles, le rire ou l'ivresse, les filles et l'esprit, la pluie, les fruits, jaune
... œ : l'entre-deux, ou jambes, le creux, le feu au milieu.
è : le vert, l'herbe, le rêve, l'oreille, ce qui se perd, derrière.."
Jacques Demarcq a de la tendresse pour les voyelles, qui disent tout ! Pas étonnant qu'il en fasse tout un sonnet et plus ! Les consonnes, il les manie très bien aussi, c'est le côté critique et narquois du personnage, comme les voyelles sont son côté lyrique. Pas n'importe quelles voyelles ! Plutôt celles qui glissent et qui volent, multicolores... Une vraie folie ! Pas étonnant dans ces conditions que même la typographie parfois s'affole.
Or cet ornithologue atypique, ce musicien chinois, ce rimbaldien du tout ou rien, a toujours des tas de trucs à raconter. Il suffit souvent d'un mot (un mot très simple, comme baleine, vraquier, adresse, paquet en souffrance, ou bien la ligne de chemin de fer qui reliait autrefois Compiègne à Pierrefonds) et le voilà parti. Intarissable ! Ne se lasse pas. Aime qu'on fasse cercle autour de lui. C'est un griot, Jacques Demarcq, une manière de nègre conteur. Les gens qui prétendent qu'il n'est pas un nègre conteur n'ont absolument rien compris à Jacques Demarcq ! Et pas le genre hâbleur à vous faire avaler n'importe quoi, ce qu'il vous raconte est toujours vrai (que, par exemple, les ailééphants peuvent voler comme de gros zozios). Tout est vrai, puisqu'il invente.
Jacques DEMARCQ
J'aime beaucoup Jacques Demarcq. Pas seulement parce qu'il a su très bien dessiner les méandres de sa colonne de vers ("La danse du dos", le premier texte que j'ai entendu de lui, maison de la culture d'Amiens, 26 janvier 1980 !... ) ; pas seulement parce qu'il est un drôle d'oiseau chanteur ("- Rhahaaa ! Kri-iéhéhêk. Qui qu'c'est qu'? on croise là. - Kroaa... Quoi qu'al' croit faire craquer les gars ?... ") et qu'il tenait naguère la rubrique "Echos-risées" dans Tatalacrème ; pas seulement à cause de ses nombreux écrits sur l'art et de ses traductions de Cummings, de Zanzotto ou du "De Bello Gallico" ; pas seulement non plus à cause de ses incroyables lectures publiques, de sa gentillesse (il adore ses amis) ou de son caractère de cochon (il déteste ses ennemis), mais aussi parce qu'il a publié, tout récemment, ses "Contes z'à diction". Six ou sept contes, qu'il faut lire, mais avec les oreilles : "La baignoire", "Crie ! souris", "Vampires hiboux vaudous", "Voyelle", "Les animaux malades de la Poste", "L'Everest, histoire vraie"... (comme si les autres ne l'étaient pas!... )
Je vous raconte vite fait le livre.
L'apprentissage d'une langue, normalement, c'est affaire de mémoire et d'obéissance. (Il y a, sur le Portail royal de la cathédrale de Chartres, un haut-relief qui passe pour être une allégorie de la Grammaire : deux enfants, accroupis sur le sol, apprennent à lire ; derrière eux, debout, sévère, se dresse une femme. Elle tient dans sa main gauche un livre ouvert, et dans sa main droite un faisceau de verges. Son regard s'abaisse vers les deux enfants qu'elle surveille ; elle est prête à frapper...). On apprend toujours sa langue de papa-maman (ou de leurs ayants droit). Jacques Demarcq voudrait ne l'apprendre que des oiseaux, ou bien du vent. Si vous ne comprenez pas pourquoi, lisez donc l'énorme protestation en quoi consiste l'histoire de la baignoire, au début du recueil ! Couper court à la cruauté des filiations, voilà son souci à Jacques Demarcq, et tout reprendre à zéro - échapper une bonne fois à l'horreur généalogique. Impossible ? Pas sûr ! N'avez qu'à demander à la tribu des Ouichs : ils ont bien réussi, eux ! Mais pour les entendre, encore faut-il avoir des oreilles, ce que, paraît-il, tout le monde n'a pas (ou n'a plus).
Les langues obéissent à des règles auxquelles il nous est enjoint d'obéir, et qui comportent, c'est bien connu, des kyrielles d'exceptions à apprendre par cœur. Jacques Demarcq balance tout ça. Chez lui, plus de déclinaisons, plus de conjugaisons, plus de paradigmes : tout est exceptionnel ! C'est là son truc. Une langue impossible, très efficace. Une langue vraie, enfin ! Voyez les couleurs, par exemple : les langues ont beau multiplier les mots (Patrick Beurard-Valdoye vous l'expliquerait mieux que moi), impossible de les toucher. Jacques Demarcq, lui, il touche. Tout comme les Ouichs il a compris "... que bêtes et plantes varient autant que les gens, que rien n'est tout à fait le même ici ou là, hier ou demain, et qu'il serait préférable de désigner chaque chose par ses circonstances plutôt que de lui agrafer l'étiquette définitive d'un mot... " Une langue extraordinaire ! Une langue de l'évidence retrouvée, en quelque sorte paradisiaque (plusieurs années-lumière avant Babel). Difficile à entendre ? Pas du tout. D'ailleurs l'auteur donne toutes les explications nécessaires, vous n'avez qu'à vous laisser porter :
"a, c'est le bas, soir qui tombe, arbre et ombre, souvenir
... i : petit, qui arrive rapide, les volatiles, le rire ou l'ivresse, les filles et l'esprit, la pluie, les fruits, jaune
... œ : l'entre-deux, ou jambes, le creux, le feu au milieu.
è : le vert, l'herbe, le rêve, l'oreille, ce qui se perd, derrière.."
Jacques Demarcq a de la tendresse pour les voyelles, qui disent tout ! Pas étonnant qu'il en fasse tout un sonnet et plus ! Les consonnes, il les manie très bien aussi, c'est le côté critique et narquois du personnage, comme les voyelles sont son côté lyrique. Pas n'importe quelles voyelles ! Plutôt celles qui glissent et qui volent, multicolores... Une vraie folie ! Pas étonnant dans ces conditions que même la typographie parfois s'affole.
Or cet ornithologue atypique, ce musicien chinois, ce rimbaldien du tout ou rien, a toujours des tas de trucs à raconter. Il suffit souvent d'un mot (un mot très simple, comme baleine, vraquier, adresse, paquet en souffrance, ou bien la ligne de chemin de fer qui reliait autrefois Compiègne à Pierrefonds) et le voilà parti. Intarissable ! Ne se lasse pas. Aime qu'on fasse cercle autour de lui. C'est un griot, Jacques Demarcq, une manière de nègre conteur. Les gens qui prétendent qu'il n'est pas un nègre conteur n'ont absolument rien compris à Jacques Demarcq ! Et pas le genre hâbleur à vous faire avaler n'importe quoi, ce qu'il vous raconte est toujours vrai (que, par exemple, les ailééphants peuvent voler comme de gros zozios). Tout est vrai, puisqu'il invente.
Jacques DEMARCQ