et comment nous voilà moins épais d'Anne Portugal par Catherine Pomparat

Les Parutions

02 mai
2017

et comment nous voilà moins épais d'Anne Portugal par Catherine Pomparat

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la colocation (7)

Se taire. Elle leur avait dit « se taire ». Comme l’ultime solution, la voix de l’altérité l’avait quittée. Des phrases non ponctuées pointaient, en premier poème imprimé, dans des lits déjà faits (11). L’anagnoste avait rangé ses lits déjà défaits dans la bibliothèque de son atelier. Elle dormait. Elle lisait à haute voix comme sa fonction le doit faire.

Un rythme pas banal déjoua la linéarité des étagères. « J’erre », geignait le lit écœuré d’être ainsi bien fait-mal fait-pas fait comme un rat pompé. Avertie de son désarroi par le désordre du lit, elle cherche un roi : il rugira. Sans être saint Jérôme, elle a la vue brouillée par le lion qu’elle perçoit. Assurément, la liseuse regarde les poèmes d’une reine.

Le roux domine partout « jusque dans la verdure des cèdres » (33). Elle voit un fauve au pied d’une « pyramide » (33) en couleurs véritables. La traduction française de la langue rugie place dessous une légende guillerette « en 3d » (32) : « et comment nous voilà moins épais ». La lectrice s’en balance poussée élancée par le titre léger.

L’un, le lion, quitte « le sable du désert » (17). Les circonstances choisissent la forme rehaussée « à cet état de racler le fond » (22). Pour introduire, de la façon la plus commune [ordinaire et partagée] une figure qui y était déjà, l’autre protagoniste, l’ermite, ouvre sa chambre à la colocation. Dans la main tenant le livre, la patte du lion sent encore les « cailloux brûlant » (18).

Le conte se présente dans le mouvement alternatif d’une préhistoire. On voit dormir ensemble un vieil ermite et un lion hors d’âge. Plutôt qu’une origine, les actions sont saisies au niveau archaïque (34). La prédilection de Jérôme1 et Gérôme2 pour le félin fidèle est bien connue. La dompteuse lit dans l’espace de la cage du langage et réactive la rencontre entre l’ermite et le lion.

L’incipit inscrit la « fidélisation » (11) dans l’épaisseur d’une matière épistolaire. Dès la première ligne l’écrit aime et estime les lions, les chéris, qui sont si fidèles et dont le caractère est souvent mieux que celui de ce méchant monde. Écrire. La seule façon de se taire accepte l’invitation à la colocation.

Elle y prend goût, à la vie cénobitique. Elle parle mutique. La rigueur de l’ordre fait parler muet. Elle contemple l’image du lion contemplant le soleil couchant « et [les] joues [de l’ermite] se colorent en campagne » (36). Ce qu’elle écrit lui est dicté par ce qu’elle observe dans les tableaux de sa réserve. Ses seins se gonflent « en cœur croisé » (37) tant la patte blessée du fauve l’a touchée.

le bon air a de beaux draps (47)

Une héraldique éradiquée devient le blason trinitaire qui fait passer la gravité. « Je »/ la lectrice qui « peut le faire vraiment » (33), lis/lit à travers une vitre qui réverbère la formule flirt http://remue.net/spip.php?article3650. Le lion et les deux lionnes s’envoyèrent en l’air du Jardin des Plantes. Il y a sept ans exactement, aujourd’hui même, le premier mai. Les lionnes sont aussi fidèles que le lion.

Le poème donne des ailes au brin de muguet. Figure multiple entraînée par l’élan de son érudition, sa majesté monte aux Phares. Elle regarde le paysage en plongée. Elle envoie des mails à Baudelaire (49), à Mallarmé (50), à Poussin (51), à Courbet (66)… aux conteurs, Perrault (72), Grimm (76), Andersen (80) … aux fablieurs, aux romanciers, aux peintres jansénistes ou coloristes… et au doux Desdichado dénoué. Elle écrit un protocole à Mantegna, elle veut dormir dans La Chambre des époux :

« moi je dors avec vous » (83). Et voilà où ça mène le lion du Douanier Rousseau (71) : ayant faim, se jette sur l’antilope (le titre entier fait quatre phrases). C’est une « couchette moyenne en notre langage de petit métier » (70), comme le vante le mailing en vis-à-vis « sous pli sommaire » (70). Messieurs les démons, laissez-moi donc ! Elle passe d’un corps (de texte) à un autre « conditionnement aux corps conséquent » (70).

Madame Shakespeare tourne la page et clame un slogan en pendu-devinette en 11 lettres. Madame Rimbaud a « un petit creux » (67). Elles s’engagent, ensemble et séparées d’elles-mêmes, à « l’afflux des signes » (67) de l’école du plein air. Sur un ton d’emmenthal allégé, elle est trouée par ce « petit monde raffiné » (67). L’une avance sur le bitume surchauffé de résidences secondaires en logis premiers. L’autre piétine de livre en livre : elle range sa bibliothèque.

j’ai plein air (89)

Le décalage entre les deux parties défie le pouvoir de dédoublement de la langue qui marche à son allure. Et ça dure : « le désert des généralités colle à ses pieds » (100). Route des vacances, encombrements, embouteillages sur la plage, file indienne en « binini sexy » (98)… à chacun son petit édicule. Ridicule ? Chaque bloc de texte versifiant joue à gratter l’ « unité de contentement d’action » (94). Bâtir c’est habiter : un récit prend forme de quadrangles en matériaux de construction.

La sainte dormition est une élévation. Comment parler de la mort de l’aimé/e sans connaître le fond meurtrier de l’histoire ? Le biographisme bon ton demeure une illusion. La science animalière, la connaissance des lumières (du Sud), le « holy à cent % pour cent de noter ça holy » (101). J’entends l’homophonie… Je ris, je ris, et je m’esclaffe : « splash » (100) pipi au lit !

Le format au carré (102-103-104) me fait une période à gerber les germes de blé. La « praxis en canette » (102) et le bocal de cornichons génèrent du gaviscon. Contre le vieillissement des tissus, plus qu’une issue : recoller les morceaux jusqu’à la « mise en bière » (102), la dernière. Le poème n’occupe qu’un quart de la surface ; propagande, slogans, doxa, idéologies font de la place à la folle du logis ; « toutes les vertus sont dans les fleurs » (103).

Anecdote de bord de mer. Un vent fripon, une nappe s’envole. L’olfaction sent bon la fraise et se répand. Question : à quel instant sommes-nous dans le domaine de plein air ?
L’intention d’y aller que j’ai rayée d’un trait dans le paysage me fait signe de souffler. Mes yeux diplopiques arrêtent leur optique devant Le Bain de Diane. Les études sur le motif se font en plein air. Question : qui songerait à évoquer un voyage sans avoir une idée du paysage ? La réponse nécessite un détour par la plage.

Tout décor hèle la ventilation de ses énonciations. Le poème appelle de sa voix la plus forte. Une suite d’énoncés chuchotés joue une partita : « les forêts les ruisseaux avec des charmants petits gourmets » (111) qui grignotent une ligne d’erre dans le sens convenu de la lecture. Une « logique d’échantillon » (113) décrit une traversée de sable mouvant dans l’espace plein air qui rejoue interminablement la pièce écrite pour orchestre de chambre.

Les dernières éclaboussures (113) de la nature, « des parties découpées au hasard » (113) ou une « aire de jeu » (114), concentrent la langue à part « que nous commentons d’un café devant la gare » (la 116 non paginée). Un nuage passe ; un ensemble de points portés sur un graphe rectangulaire résultant des relations entre les noms communs et les verbes d’action : « nous comme ce qui est dit passons à peu près » (ibid.)

« et puis ajoutons une ligne autre avec un espace à remplir » (p 11)

 

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