Suf Marenda & the AAA, Le problème avec le skateboard par Johan Grzelczyk
Le problème avec le skateboard, pour Suf Marenda qui longtemps le pratiqua (peut-être d’ailleurs est-ce encore le cas façon père de famille accompagnant sa progéniture au skatepark municipal les dimanches pas trop pluvieux), c’est évidemment qu’il n’y en a pas.
Ou plutôt s’il y en a un c’est que la planche à roulettes s’impose à lui avec la force de l’évidence. Une évidence qu’autrui – catégorie dans laquelle il convient de ranger à peu près tout le monde, à savoir en l’occurrence quiconque n’a jamais fantasmé sur un simple plan incliné ou l’arrête d’un banc public – se plaît cependant à questionner.
Car après tout, c’est vrai : pourquoi donc le skateboard plutôt que rien ? Ou, pour le dire autrement et pour reprendre les termes de la « Table du matos »[1] qui ouvre l’ouvrage, pourquoi « le problème avec le problème ? », comment « le skateboard est[-il] aussi un objet ? » ou encore quid du skateboard en tant que « substrat » ?
Bien entendu, à toutes ces questions Suf Marenda n’apporte pas vraiment de réponse. Tout juste se contente-t-il de les poser, ce qui n’est déjà pas rien. Ce qui est même beaucoup si l’on veut bien observer qu’il est le seul à s’attaquer à pareille entreprise. Pensez-vous, un livre sur le skateboard qui serait à la fois un authentique livre de poésie en même temps qu’une analyse tout aussi subjective qu’informée[2] sur ce phénomène et ses représentations sociales !
L’auteur poursuit de la sorte l’entreprise entamée avec ses deux livres précédents (« Jours de manif à L.A. »[3] et « Mettre la gomme »[4]). A savoir questionner le sens et la valeur des mythes modernes sur lesquels lui-même comme une bonne partie de sa génération ont construit leur mode de vie (« Le problème avec le skateboard / c’est qu’il me fait Sujet. / Tant que je tiens dessus, / moi, / en équilibres ») et, dans une certaine mesure, continuent à le faire. Citons pêle-mêle, au nombre de ces « Mytheux » : les États-Unis d’Amérique, la musique punk-hardcore, une certaine forme de contestation politique et… le skateboard : « Le problème avec le skateboard c’est qu’il faudrait encore que ça m’inintéresse ».
On l’aura compris, le véritable problème avec le skateboard c’est qu’il nous fait autant que nous en faisons : « en cas d’urgence, le skate décroche de sa combine, / il monte un groupe moins politique, pour me[5] jouer si fort, au fond d’un container ». On a beau avoir franchi le cap de la cinquantaine et se consacrer à la poésie contemporaine, quand on est passé par cette école de la rue-là dans les années 80, on continue à s’habiller skateboard, à écouter skateboard, à parler skateboard voire même – et c’est bien là tout l’intérêt de ce livre – à écrire skateboard !
Changements impromptus de trajectoire, effet de saccades et d’à-coups (qui étonnamment ne nuisent en rien à la fluidité de l’ensemble) et jeu perpétuel avec la syntaxe (comme d’autres réinventent sans cesse sur leur planche à roulettes de nouveaux usages de l’espace public et du mobilier urbain) sont sans doute les principales caractéristiques de cette écriture skateboard. Laquelle a pour vertu d’offrir au lecteur l’impression grisante de dévaler la langue aux côtés de l’auteur (« Le problème avec le skateboard c’est la richesse du percept »), les mots venant à muter, à se mélanger entre eux et à exhiber leurs blessures sous l’effet de la vitesse et de l’adrénaline associées. « Le skateboard, il sue, suprême, par tant de pores, / et il se tue par tous les sorts ».