A propos de " Belle et bête " de Marcela Iacub par Éric Clémens
D’une moitié de fiction
Les chroniques de Marcela Iacub, dans « Libération », m’ont toujours paru stimulantes voire décapantes : user de la logique juridique pour subvertir le moralisme ambiant ouvre des questions qui forcent à penser - ce qui n’est plus ‘vite dit’ du même coup…
Le tapage médiatique autour de son livre dit de fiction m’a interloqué : que quelques uns comme Gérard Lefort ou Philippe Lançon, critiques avertis, le mettent en exergue a suffi pour me donner envie de le lire.
Liquidons d’abord ce qui fait pseudo-polémique : que ce livre et plus encore l’entretien accordé au « Nouvel Observateur » portent atteinte à la vie privée de DSK et que celui-ci se pose en parangon de la moralisation de la presse ne méritent que le haussement d’épaule. Même si, d’évidence, Yacub, Libé et surtout le Nouvel Observateur ont parié sur le racolage médiatique, cet abus fait partie de la liberté d’expression. La décision chèvre-choutiste du tribunal est stupide.
Mais venons-en à Belle et bête (Stock éditeur). Marcela Iacub a senti et tenté de montrer une dimension qui aurait pu s’ajouter aux rares textes qui découvrent ce que les psychanalystes nomment le réel de jouissance et de mort et que, de Sade à Guyotat, bien d’autres énonciations tentent de mettre à nu. Cette dimension aurait été celle de la métamorphose de ce qu’elle désigne sous les mots d’homme et de cochon, une métamorphose, au-delà de la division du sujet, qui serait une décision active de la liberté. Qu’il y ait dans le parlêtre un évanouissement du langage qui permette ce passage à la jouissance absolue, indifférente et destructrice du désir, voilà peut-être ce que la fiction de Iacub aurait pu faire paraître. Malheureusement, son livre est resté à mi-chemin de cette révélation, de son creusement au-delà de l’étiquetage auquel elle se borne. Et cela pour deux motifs.
Le principal tient à l’engluement dans l’imagerie, sous prétexte, dixit l’auteur, de fantastique ou de merveilleux. Cette retombée dans l’ornière littéraire fait que l’oreille est mise pour l’anus, le clitoris ou je ne sais quoi, le doigt pour le pénis, etc., ce qui ne signifie pas que le mot référencié aurait été plus efficace, version métonymique. Et surtout, version métaphorique, le cochon - quoique justement épinglé comme aveugle, amoral, jubilant et triomphant ou en voie de triompher à travers le personnage principal - laisse planer tout au long du livre non seulement une équivoque vaguement transgressive et vaguement morale (sans parler de la méconnaissance de l’animal ou de la négligence de Baudelaire et de Rops), mais surtout une répétition ennuyeuse de ce qui reste impossible à dire. La scène décrite dans l’avant-dernier chapitre fait culminer l’échec de l’écriture dans une allégorie de semi-cannibalisme où le style, comme il se doit, se perd, nous perd et perd sa traque.
L’autre motif tient au coup publicitaire qui est inscrit dans le texte même où le personnage de DSK est transparent. La perte d’identité dont l’écriture aurait dû nous donner l’expérience sexuelle de la métamorphose est complètement occultée par la prégnance de l’identification.
Marcela Iacub pense souvent juste dans sa prose juridique dont elle soulève l’essence fictionnelle. La mise en abîme fictive de cet envers fictionnel de la rationalité est autrement plus périlleuse.