La Dernière Fois Que J’ai Présenté Odete par Marie Borel
à Paris le 8 décembre 2016.
Odete est sorti en 2005.
À voir le film aujourd'hui, il est aisé de l'inscrire dans l'œuvre d’un auteur dont le fil rouge est la métamorphose. La métamorphose comme passage d’un état à l’autre, d’un lieu à l’autre .
Il s'agit de donner à la métamorphose force de métaphore, vivant poème en marche, en arme,
(en grec moderne, metaphora veut dire déménageurs)
Et la question fondatrice: comment vivre avec les fantômes?
(qui, en portugais, se confondent avec les fantasmes)
Il s'agit de son deuxième long métrage.
Après avoir triomphé de la monomanie, après la réussite et la perfection formelle de O Fantasma, la question qui se pose pour lui est la suivante :
comment ne pas se trahir sans se répéter ?
(voire en se répétant, l’impression que ses films sont des chambres d’échos des films passés et à venir)
Joao Pedro Rodrigues prend des risques:
il choisit d’ajouter une seconde figure, féminine.
un homme une femme, c'est une histoire d'amour, de désir
forces agissantes contraires et contrariées
un homme, une femme, un autre homme, une histoire de deuil, de désir d'enfant, d'amour vécu sans qu'il advienne.
un film porté par un obscur objet en constante redéfinition
(interrogation, interruption, affirmation, ré- appropriation) de lui-même
quel espace inédit peut alors se dessiner entre deux passions solitaires ?
en somme, entre deux archipels de solitude
(une insularité urbaine se dessine souvent chez ses personnages)
C'est un mélodrame. On pense à Douglas Sirk, aux années 1950 en Technicolor
un film improbable, une intrigue non réaliste compliquée de situations violentes, pathétiques, emphatiques, exagérées
Deux personnages, deux pôles électriques vont ancrer leurs folies solitaires.
Ancrer et s’arrimer, une bague passe de doigt en doigt,
force performative, symbolique,
quand montrer, c’est dire (c’est faire, c’est sublimer)
L' apparition du personnage:
une longue jeune femme brune en patins à roulette dans un supermarché de la banlieue de Lisbonne Elle s'appelle Odete, comme l'amour de Swann
on ne sait pas ce qu'elle va devenir,
là encore tout se propage, se projette, passe,
légère brise ou frisson dans l’air,
dans la persistance rétinienne de son dire et de son désir
Toutes les images suivront de front.
Ce film difficile, à l’architecture fine et compliquée, en anglais a pour titre:
Two Drifters. Ils sont adrift, à la dérive, oui
- ce qui joue avec la couleur liquide du film, l’eau des rêves, du deuil, du Léthé, fleuve de l’oubli, de ce qui glisse
(amusant en grec, la vérité se dit aletheia, ce qui ne glisse pas, considérer qu’oublier c’est laisser glisser les choses, mais ça, c’est seulement pour l’étymologie)
et l’écran se conçoit alors, en premier et en dernier lieu,
comme la surface nourricière et réfléchissante
- déformante, déformée jusqu’à la laideur, miroir aux alouettes
dont nous, spectateurs, approchons bouche bée, avide,
cherchant dans les reflets du film quelques débuts de réponse à la question du désir d'être quelqu'un d'autre.
peut-être que ce qui porte le cinéaste, c’est ce désir d'être quelqu'un d'autre,
mais je n'ai pas de réponse à cette question,
je ne suis pas cinéaste et je ne suis pas quelqu'un d'autre.
Comme le héros de O Fantasma, Odete accomplit son destin
(ici le possessif est déceptif, brouille, heurte encore un peu plus )
et, ce faisant, elle perd progressivement sa personnalité
L' auteur est cinéaste : il assume une position moderne de responsabilité,
un mode individualiste de brusquer les choses :
c'est beau et efficace,
mais absolument pas là où, ni comme on s'y attend.
Ce qui lui plaît le plus, à lui, à ce cinéaste,
c'est de penser à ce que les gens ne voient pas dans ses films.
Alors, savoir se laisser porter par le film et accepter de se perdre
comme eux dans cette histoire.
accepter de se laisser surprendre, se laisser aller dans la fiction de l'auteur, s’égarer, se perdre ou être trouvé dans le jardin des possibles,
dans les grands cimetières sous la lune et des pluies torrentielles
On ne peut ni tout comprendre ni tout savoir.
Et on peut rester perplexe devant tant d'audace et d'excès maitrisés.
les paroles - les romances sans paroles sont des énigmes plus grandes que la vie,
et derrière le miroir life is bigger than life.
Dès la première image, celle où se construit le film,
un couple s'embrasse et s’embrase
c'est le flash clash de départ :
deux hommes, ou un homme et une femme, on ne sait pas,
vous allez le voir tout de suite,
c'est filmé de très près.
Voilà, c'est tout.
(C'est l'amour fou)