17 mai
2005
Mehdi Belhaj Kacem ou du pi(è)tre philosophique. par Philippe Boisnard
Mehdi Belhaj Kacem, grand philosophe de la sphère médiatico-pop made in technikart, vient à son grand âge (33 ans), de sortir un gros (500 pages) livre d'entretiens qui a été mené par le non moins génial ingénu Philippe Nassif, expert philosophique à la Jean-Luc Delarue, prompt à jeter des lauriers (« le plus grand philosophe de sa génération ») et à acquiescer à toutes les erreurs du premier (à commencer par le fait qu'il ne relève même pas que Socrate ne fut jamais démocrate, mais fut surtout condamné pour avoir participé à une tyrannie, et que son hagiographe de Platon pour sa part décrit la démocratie comme le pire des …tats).
Dans ces pages incontinentes, à vite jeter aux oubliettes, un ennemi apparaît d'emblée, mentionné à plusieurs reprises : « Philippe Boisnard », en l'occurrence moi-même. Quand je dis ennemi, je pèse évidemment mes mots, du fait que lui-même peut dire au long cours de son egotisme : « je suis schmittien », à savoir se revendiquer de la logique développée par l'un des idéologues purs crus du nazisme, qui a fondé La notion du politique sur le critère de cette altérité : ami/ennemi.
Pour quelle raison, suis-je ainsi stigmatisé ? Non parce que selon lui je serais fils de Derrida (ce qui me semble préférable que rejeton de Badiou tel que MBK s'affilie), mais parce qu'un 21 avril 2002, au lieu d'acquiescer - comme sa cour le fit - à son appel à la révolution, j'ai pu mettre en critique cette posture « révolutionnaire », la dire inadéquate à ce temps, utopique, voire dangereuse quant à la compréhension de la dynamique politique actuelle. Mais pour comprendre cela, faisons dialoguer ce livre d'entretien pop, avec un autre, plus modeste en sa taille (160 pages), car certainement consacré à un auteur plus jeune donc ayant « moins à dire » : celui de Christian Prigent conduit par Hervé Castanet.
D'un côté, MBK, immédiatement, fort de son moteur philosophique ronronnant, embraye à toute allure sur la révolution, voulant une « politique de masse », se reconnaissant dans le maoïsme certainement relié à son porte-voix Badiou (p.288), même s'il peut reconnaître que c'est une utopie (ce qui n'est pas le moindre paradoxe pour quelqu'un qui revendique le réel et l'événement). Sa pensée se structure sur le fait que les masses peuvent être moralisées et éduquées, et qu'il est nécessaire de briser la falsification médiatique qui lui paraît totale et synthétisable en une seule unité. Sa révolution est celle qui doit mener à un « grand parti politique très fort et visible » (p.303) qui ferait « une vraie politique, disciplinée, organisée » (p.324).
De l'autre, nous avons Prigent, qui revient sur son engagement maoïste de la fin des années 60 début 70, qui explique que dans celui-ci, il y avait bien une «foi charbonnière », une « naïveté fourvoyée » (p.86), au point qu'il puisse avoir « honte de s'être trompé et d'avoir trompetté ostensiblement la tromperie », même s'il est évident qu'il est légitime éthiquement de vouloir changer radicalement « l'insupportable ordre politique du monde » (p.87). Ce qui l'a amené peu à peu à défendre la bandaison molle de la démocratie, non comme l'assomption du meilleur …tat, mais comme lieu même possible de la circulation de la parole politique.
Alors qu'est-ce qui les différencie ? Ce qui est en jeu là, peut être compris tout à la fois philosophiquement et littérairement.
Alors que MBK, se place dans une position messianique, et autoritaire, s'accompagnant de l'abandon du littéraire pour la révélation philosophique, condamnant toute parole qui n'est pas la sienne (Derrida, Wittgenstein, Heidegger, tout en faisant de très nombreux contresens sur leur texte), Prigent semble avoir peu à peu compris que tout au contraire le politique, loin de devoir mener à une révolution fondée sur l'égalisation des masses (Mao) par une culture sociale et politique, devait être le lieu où la monstruosité d'autrui apparaît. Or, et là Derrida est très intéressant, c'est justement la littérature qui se révèle comme le signe de cette monstruosité des autres, comme cet imprésentable, cet incontenable qui brise toute uniformité représentationnelle en faveur de l'illisible présence d'une différance. Lorsque Prigent parle de l'illisibilité des modernes, et ceci dans le même horizon qu'un Lyotard, il ne dit pas ici apparaît la vérité, mais pose justement la différence inqualifiable entre chacune des présences illisibles.
La révolution, contrairement à la démocratie, n'est pas le lieu de la différence du multiple, des multitudes, mais celle de la revendication d'une vérité qui se révèlerait et qui viendrait contresigner l'histoire en lui imposant sa signature. Sa figure tutélaire et totalitaire. À l'opposé, la démocratie, dans sa forme certes molle (« la démocratie bande mou ») est la démultiplication des différences dans la possibilité individuelle, éthique, fondée souvent sur l'intérêt personnel, de poser sa voix comme l'incommensurable, comme l'indialectisable à l'ordre politique.
C'est pour cela que la démocratie se doit d'être fondée sur les lignes de fuite des médias, le prisme démultiplié de possibilités d'expression, et que la littérature en tant qu'elle existe dans un …tat de droit, sans être censurée, est le signe de cette vivacité dans la mollesse de ce qui ne semble plus avoir d'histoire, d'un temps où la transcendance d'un grand mouvement n'apparaît plus.
Prigent ici a raison de souligner que la révolution est un fantasme qui peut mener - comme la révolution culturelle chinoise - à la « barbarie » (p.90), car par derrière, la différence de l'humain n'est plus acceptée, or : « Humain, c'est erreur de la nature (elle le paie cher, lui aussi). Humain, c'est persévérance diabolique dans l'erreur symbolique » (p.91).
Dès lors, oui, en effet, il y a bien une différence entre MBK et moi-même, comme celle qu'il y a entre la volonté d'un …tat totalitaire reposant idéologiquement sur une logique fasciste (Carl Schmitt), et de l'autre la volonté d'une démocratie horizontale, dans laquelle chaque individu pourrait participer du politique par la libre circulation de sa parole (la démocratie-médiatique).
Pour conclure, si MBK, explique que je représente « un estudiantisme philosophique très bavard et inconsistant », cependant il ne m'aura fallu pour ma part que quelques lignes pour démontrer à quel point sa logorrhée répandue sur 500 pages est problématique voire dangereuse ; tandis que Prigent dans son court entretien comparé au sien, arrive à témoigner d'une vie, sans jamais concéder à la superficialité ou bien au raccourci facile.
Christian Prigent, Ne me faites pas dire ce que je n'écris pas, entretiens avec Hervé Castanet, Cadex, 2004, p.160.
Mehdi Belhaj Kacem, Philippe Nassif, Pop philosophie, Entretiens, Denoël, 2005, p. 497.
Dans ces pages incontinentes, à vite jeter aux oubliettes, un ennemi apparaît d'emblée, mentionné à plusieurs reprises : « Philippe Boisnard », en l'occurrence moi-même. Quand je dis ennemi, je pèse évidemment mes mots, du fait que lui-même peut dire au long cours de son egotisme : « je suis schmittien », à savoir se revendiquer de la logique développée par l'un des idéologues purs crus du nazisme, qui a fondé La notion du politique sur le critère de cette altérité : ami/ennemi.
Pour quelle raison, suis-je ainsi stigmatisé ? Non parce que selon lui je serais fils de Derrida (ce qui me semble préférable que rejeton de Badiou tel que MBK s'affilie), mais parce qu'un 21 avril 2002, au lieu d'acquiescer - comme sa cour le fit - à son appel à la révolution, j'ai pu mettre en critique cette posture « révolutionnaire », la dire inadéquate à ce temps, utopique, voire dangereuse quant à la compréhension de la dynamique politique actuelle. Mais pour comprendre cela, faisons dialoguer ce livre d'entretien pop, avec un autre, plus modeste en sa taille (160 pages), car certainement consacré à un auteur plus jeune donc ayant « moins à dire » : celui de Christian Prigent conduit par Hervé Castanet.
D'un côté, MBK, immédiatement, fort de son moteur philosophique ronronnant, embraye à toute allure sur la révolution, voulant une « politique de masse », se reconnaissant dans le maoïsme certainement relié à son porte-voix Badiou (p.288), même s'il peut reconnaître que c'est une utopie (ce qui n'est pas le moindre paradoxe pour quelqu'un qui revendique le réel et l'événement). Sa pensée se structure sur le fait que les masses peuvent être moralisées et éduquées, et qu'il est nécessaire de briser la falsification médiatique qui lui paraît totale et synthétisable en une seule unité. Sa révolution est celle qui doit mener à un « grand parti politique très fort et visible » (p.303) qui ferait « une vraie politique, disciplinée, organisée » (p.324).
De l'autre, nous avons Prigent, qui revient sur son engagement maoïste de la fin des années 60 début 70, qui explique que dans celui-ci, il y avait bien une «foi charbonnière », une « naïveté fourvoyée » (p.86), au point qu'il puisse avoir « honte de s'être trompé et d'avoir trompetté ostensiblement la tromperie », même s'il est évident qu'il est légitime éthiquement de vouloir changer radicalement « l'insupportable ordre politique du monde » (p.87). Ce qui l'a amené peu à peu à défendre la bandaison molle de la démocratie, non comme l'assomption du meilleur …tat, mais comme lieu même possible de la circulation de la parole politique.
Alors qu'est-ce qui les différencie ? Ce qui est en jeu là, peut être compris tout à la fois philosophiquement et littérairement.
Alors que MBK, se place dans une position messianique, et autoritaire, s'accompagnant de l'abandon du littéraire pour la révélation philosophique, condamnant toute parole qui n'est pas la sienne (Derrida, Wittgenstein, Heidegger, tout en faisant de très nombreux contresens sur leur texte), Prigent semble avoir peu à peu compris que tout au contraire le politique, loin de devoir mener à une révolution fondée sur l'égalisation des masses (Mao) par une culture sociale et politique, devait être le lieu où la monstruosité d'autrui apparaît. Or, et là Derrida est très intéressant, c'est justement la littérature qui se révèle comme le signe de cette monstruosité des autres, comme cet imprésentable, cet incontenable qui brise toute uniformité représentationnelle en faveur de l'illisible présence d'une différance. Lorsque Prigent parle de l'illisibilité des modernes, et ceci dans le même horizon qu'un Lyotard, il ne dit pas ici apparaît la vérité, mais pose justement la différence inqualifiable entre chacune des présences illisibles.
La révolution, contrairement à la démocratie, n'est pas le lieu de la différence du multiple, des multitudes, mais celle de la revendication d'une vérité qui se révèlerait et qui viendrait contresigner l'histoire en lui imposant sa signature. Sa figure tutélaire et totalitaire. À l'opposé, la démocratie, dans sa forme certes molle (« la démocratie bande mou ») est la démultiplication des différences dans la possibilité individuelle, éthique, fondée souvent sur l'intérêt personnel, de poser sa voix comme l'incommensurable, comme l'indialectisable à l'ordre politique.
C'est pour cela que la démocratie se doit d'être fondée sur les lignes de fuite des médias, le prisme démultiplié de possibilités d'expression, et que la littérature en tant qu'elle existe dans un …tat de droit, sans être censurée, est le signe de cette vivacité dans la mollesse de ce qui ne semble plus avoir d'histoire, d'un temps où la transcendance d'un grand mouvement n'apparaît plus.
Prigent ici a raison de souligner que la révolution est un fantasme qui peut mener - comme la révolution culturelle chinoise - à la « barbarie » (p.90), car par derrière, la différence de l'humain n'est plus acceptée, or : « Humain, c'est erreur de la nature (elle le paie cher, lui aussi). Humain, c'est persévérance diabolique dans l'erreur symbolique » (p.91).
Dès lors, oui, en effet, il y a bien une différence entre MBK et moi-même, comme celle qu'il y a entre la volonté d'un …tat totalitaire reposant idéologiquement sur une logique fasciste (Carl Schmitt), et de l'autre la volonté d'une démocratie horizontale, dans laquelle chaque individu pourrait participer du politique par la libre circulation de sa parole (la démocratie-médiatique).
Pour conclure, si MBK, explique que je représente « un estudiantisme philosophique très bavard et inconsistant », cependant il ne m'aura fallu pour ma part que quelques lignes pour démontrer à quel point sa logorrhée répandue sur 500 pages est problématique voire dangereuse ; tandis que Prigent dans son court entretien comparé au sien, arrive à témoigner d'une vie, sans jamais concéder à la superficialité ou bien au raccourci facile.
Christian Prigent, Ne me faites pas dire ce que je n'écris pas, entretiens avec Hervé Castanet, Cadex, 2004, p.160.
Mehdi Belhaj Kacem, Philippe Nassif, Pop philosophie, Entretiens, Denoël, 2005, p. 497.