Réponse à Tardy par Philippe Boisnard

Les Incitations

22 nov.
2002

Réponse à Tardy par Philippe Boisnard

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Autrement je viens de lire le texte de Nicolas Tardy, je ne suis pas entièrement d'accord avec lui : ce qui manque en effet actuellement en France au niveau de la littérature contemporaine est une réelle réflexion sur les enjeux de l'écriture et donc de ce qu'est lire. Il y a deux ans j'avais eu l'idée d'un volume sur ce qu'est la lecture : qu'est-ce que lire, en quel sens cela s'inscrit toujours dans des lignes généalogiques ? La lecture est-elle seulement l'exercice d'une curiosité, ou bien nécessite-t-elle de se placer dans une expérience ?
Prigent marquait dans Salut les modernes/Salut les anciens, qu'on manquait, dans les nouvelles générations, d'aperçus critiques. A savoir, non pas de discours (n'est-ce pas une époque du bavardage ?), mais d'interrogations sur ce qu'est l'engagement de l'écriture. C'est en ce sens qu'il reliait cela à la question d'un désengagement politique de l'écriture. La micro-édition étouffe à mon sens de la camaraderie sans lecture : je t'achète mais ne te lis pas. Ce qui conduit à un effet d'égalisation : du tout se vaut on est ami !!! Le nihilisme, et ici il s'agit d'une évidence, agit par aplanissement, égalisation, réduction des aspérités, démultiplication des valeurs, sans que soit reconnue une quelconque propriété aux valeurs. C'est cela qui par moment m'insupporte : par exemple Tardy critique Pennequin, que j'ai connu d'abord en tant que lecteur, en disant qu'il est dans un processus réitératif, qu'il se répète, or, il me semble confondre entièrement le style de l'écriture et ce qui est parlé dans cette écriture. Charles me semble absolument approfondir une thématique de l'érosion de soi et du rapport à l'autre, qui se perçoit sans ambiguïté dans la différence entre Dedans et Bibi. Bibi est véritablement un prolongement/approfondissement de ce qui était dans Dedans. Et l'enjeu de son écriture est clair : une déconstruction aussi bien linguistique qu'ontologique de toute de constitution de soi selon l'axe de l'intersubjectivité (de soi et avec l'autre). Pourquoi Pennequin m'apparaît important, et pourquoi ai-je consacré plusieurs articles à ses textes? parce qu'il invente, sans volonté révolutionnaire ou suprématisme de la subjectivité (ce qui appartient encore aux avant-gardes héritées des années 60-70) une nouvelle symptomatologie de l'occident par sa syntaxe (certes après on réfléchira à la lignée de Stein, Beckett, Artaud, etc...).
Lire, et là je pense qu'il est nécessaire de séparer l'acte de courage de la microédition, du contenu publié, n'est pas reconnaître la seule volonté de publier, mais discerner selon des lignes généalogiques de sens ce qui se construit par et dans une tentative d'écriture. Autrement, peu importerait le texte, seul serait reconnu le bon sentiment de l'édition. Or les bons sentiments ne font que des livres fermés, clos, consensuels : une grégarité culturelle.
Trop de copinage malheureusement tue cette littérature et ne permet plus de percevoir les différences, de juger de l'effort propre à chaque écriture, aux horizons qu'elles inaugurent. On mélange tout, on se croit génial, mais tout cela à la lumière de la petite bougie qui n'éclaire que notre propre ego. Pourquoi l'écriture est en crise,? parce que la lecture est en crise. Cela tient au suprématisme du narcissisme lié à l'écriture : ne plus s'ouvrir à l'autre, prendre l'autre comme une évidence qui n'offre plus de réelle résistance.
De même que l'on ne perçoit plus les efforts pour ne pas s'enfermer dans le formalisme : qu'est-ce que le sens ? Qu'est-ce qui fait la différence entre un texte qui pense une négativité en retrait au sein du singulier (Prigent) ou un texte qui ne croit qu'au fourmillement phénoménal de l'événement sans retrait (Sivan) ? Cet exemple de dualité théorique, mais aussi dans le fonds politique entre Prigent et Sivan, est resté inaperçu. Leur contradiction fort intéressante, éminemment problématique, s'est résumée à ce que j'ai pu constater à la seule compréhension d'un différend affectif, d'une querelle de clocher. Or, leur distance est celle impliquée par deux formes/contenus radicalement hétérogènes au niveau de la littérature. Ce qui m'amène à dire, que chez nombreux, la forme n'implique plus le contenu. On fait du cut'up car c'est la mode. On utilise les nouvelles technologies de même.
Tout cela pour dire que je vois dans la lettre de Tardy davantage l'esprit partisan que la volonté d'une réflexion, davantage la défense du bout de gras, que la volonté de comprendre un organisme et ses rouages (tant il est vrai que je suis pour ma part très critique sur ce qui a lieu dans ce petit monde - ce qui a pu me causer de réels torts depuis deux ans).