Un spin-off de Norbert par Vanessa Morisset
Alors d’accord, au départ, Norbert est loin de sembler parfait. Il porte une chemise mauve entr’ouverte, et déjà ça, c’est un fashion faux pas qui sème un affreux doute quant à son potentiel de séduction (de nos jours, entendons-nous — le contenu narratif du livre nous est strictement contemporain — car il fut une époque où plaisaient les looks deep purple). Pire, des bouclettes blondes encadrent son visage, façon chérubin défraîchi, elles se secouent gentiment quand il fait l’amour, toujours façon chérubin défraîchi… comment dire, humm, le malaise… Norbert est un tantinet ringard. Un peu vieux beau, un peu largué, pas le mec dont nous, les femmes, rêvons a priori (je n’ai pas fait d’étude sur la question — qui, cela dit, serait intéressante — mais je présume fortement).
Par contre, le livre donne bien l’impression qu’il faudra s’en contenter — d’un Norbert. Car les autres hommes dépeints, chauves, prétentieux, peu attentionnés, sont définitivement repoussants.
À quel point la fiction reflète-t-elle la réalité?
Quoi qu'il en soit, Norbert a vraiment de bons côtés. Tout d’abord, comme l’indique le titre du roman, il daigne accompagner la narratrice régulièrement à la piscine, et vu ce qu’elle nous en dit, il n’a pas trop l’air de se la jouer dans l’eau, il l’attend. Dans les lignes dévolues au crawl sportif, il y a bien un jeune connard qui lui se la pète parce qu’il nage mieux qu’une femme de cinquante ans (waouh, la prouesse, pouce levé pouce levé) mais cette personne sert justement de contrepoint au patient et par là sage Norbert, qui pourrait sans doute nager vite, et crawler, et brasser et papillonner mais, en l’occurrence il n’a rien à prouver et préfère nager au rythme de son amoureuse. Norbert n’est pas viriliste, voilà tout. Norbert, one point.
Ensuite, Norbert discute, acceptant d’aborder tous sujets, il n’est pas toujours à l’unisson mais la narratrice le répète fréquemment, de sorte que les deux lettres ponctuent son discours, avec Norbert c’est « ok », on peut causer de retraite, de corps et de kilos, de solitude, de politique. D’ailleurs, il n’est pas contre une grève générale ni quelques subterfuges anti-capitalistes d’auto-réduction au Franprix du coin. Lorsque la narratrice se perd dans ses pensées mélancoliques, dans la superbe digression sur la tristesse des femmes tristes qui marque leur visage, Norbert reste silencieux, on peut supposer qu’il n’en mène pas large mais on le sent présent. Il ne s’enfuit pas en courant (se réjouir qu’un homme ne soit pas complètement lâche face au désespoir d’une femme, nous en sommes là). Sur certains sujets, il faudrait néanmoins l’éduquer plus. En particulier Norbert ne comprend pas très bien les mécanismes de la gentrification des quartiers périphériques de Paris, et s’étonne que son amie, intellectuelle, sans le sou, habite dans un quartier où vivent beaucoup d’hommes et de femmes noires. Il ne comprend pas très bien non plus comment le travail des femmes se répartit socialement, c’est-dire que son amie peut tout de même s’offrir le luxe d’employer, « au noir », une fois par semaine une femme de ménage, noire, ce qui à elle, femme blanche, octroiera du temps supplémentaire pour s’émanciper. La narratrice en est bien consciente et le lui explique, mais rien à faire. Peut-être que la lecture de quelques textes sur l’intersectionnalité et les théories féministes marxistes l’aideront à mieux comprendre les problématiques sociales dans lesquelles nous sommes toustes pris-e-s.
Norbert me rappelle une réplique dans un film, un homme dit à un autre : mon ami, si un militaire est ta seule solution c’est que ton avenir est bien sombre. J’ai envie de dire : mes sœurs, si Norbert incarne l’homme le mieux sous tout rapport que nous pouvons espérer aujourd’hui, nous sommes plutôt mal barrées.
Heureusement, nous avons l’humour pour le raconter.