Aurélie Foglia, Natacha Nikouline, Green feelings / Espace à la couleur close par Lydie Cavelier

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07 déc.
2024

Aurélie Foglia, Natacha Nikouline, Green feelings / Espace à la couleur close par Lydie Cavelier

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Aurélie Foglia, Natacha Nikouline, Green feelings / Espace à la couleur close

 

 

Auprès des éditions « Épousées par l'écorce » a germé cet ouvrage entremêlant les poèmes d’Aurélie Foglia, Green feelings, et les photographies de Natacha Nikouline, Espace à la couleur close. L’union artistique tient sa force de la nature et s’inscrit au cœur même de la ligne éditoriale :

« Écorce : enveloppe protectrice du corps végétal. Épaisseur publiée de l’arbre entre la mobilité renfermée de la sève brute dans l’aubier et l’atmosphère venteuse et sèche du pays. On appelle liber – le “livre” – la partie la plus intérieure de l’écorce où rampe la sève élaborée. Les livres sont veines et galeries où circule le sens vif. L’autre nom du liber est le phloème. Le poème des arbres sur lesquels écrivent les poètes et tracent les artistes des images ».

Entre les « épousées », l’osmose est esthétique – « deux arbres deux arts », mais « ne te laisse pas prendre / par la séparation entre » (p. 7 et 16) –, car il est uniment question de peaux et de poses forestières, où l’en ver(t)s consiste à transmuer poétiquement l’écran, mots, pages et photographies, pour trouver « place / perdue dans la nature » (p. 24).

 

Sous forme d’écorces, de feuillages, d’herbes, de mousses, mais aussi bien d’humus, de terre, de racines ou de pierres, la « verté » (p. 32) s’éprouve comme sève intime, comme substance active de conversion sanguine, et parfois sanguinaire, entre le corps féminin et le corps-vert. Cette « verté » n’est pas que décor, elle agit à la manière d’un bain révélateur, à condition d’y laisser sa peau, de l’y (in)visibliser, en toute transparence et en toute opacité. Visions poétiques et photographiques se polarisent autour d’« une femme-forêt / fantôme de dos pelée / par son drap en plastique » (p. 16). Les mues et les nus exposent la nudité d’un corps féminin avalé autant que dévoilé par ver(t)s. Des coulées de peaux plastifiées et translucides, des nitescentes fluides ou herbeuses sont emportées par l’obscure profondeur des verts, glacés et glaçants : « abandonnant sur la berge / [s]on maillot de corps », dénudée « aussi des mots », « o / phélie » veut se fondre en épousailles (p. 26). La couleur est flux, lignées entrelacées, de vers, de textiles et de textures organiques : corps sur écorces, veines verdoyantes ou os parmi les branches. Spasmes, rigidités, fraîcheurs et froideurs extatiques, hypnotiques, courent sous peau, innervent les sens jusqu'à l’insensibilité. Le ver(t)s-« dispositif » (p. 16) déplie le vivant et le mourant, éros et thanatos s’y transversent ; l’ordre de l’artéfact s’impose, en termes chromatiques et sensitifs. Les sucs verts se décolorent à vie, leur artifice est naturel, qui fixe les blancs, se fige de nuit, et précipite tout en corps-temps : « vient un moment où le vert / est le véritable événement / une fois la femme-témoin morte / dans le formol de l’image » (p. 9).

 

Ver(t)s saturent et suturent corps végétaux et aspirations humaines. Sous leur emprise, membres, éléments et feelings s’incorporent et se découpent, se détachent et déposent des mues d’existence. Ils président à toutes sortes d’involutions discordantes mais chiasmatiques : ils « nous rentreront dans la peau // une fois désuni / l’univers » (p. 40).

En somme, deux artistes se sont épousées en vue de « sécréter », « saliver » (p. 30) une moelle si « contagieuse que tu t’y roules / qu’elle déteigne perce te peigne / criarde échevelée qu’elle imbibe / jusqu'à l’invisible de l’extérieur » (p. 22).

 

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